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Music

Umwelt : le bon, le brut et le bruyant

Basé à Lyon, d’où il propulse une électro-techno sombre et intense depuis 20 ans, Umwelt trace une trajectoire sans concessions et livre un album fracassant, « Days Of Dissent ».

Décidément, 2016 s'avère une année faste pour les vétérans de la scène électro lyonnaise. Après In Aeternam Vale, projet culte piloté par Laurent Prot, réapparu en juin avec un excellent (triple) album, Umwelt – nom trompeusement teuton sous lequel officie Fred Poncet – frappe à son tour en cette rentrée automnale. Egrenant ses productions depuis 1996, le garçon décoche aujourd'hui un imparable nouvel album, Days of Dissent, qui vient s'ajouter à une discographie pour le moins imposante. Publié chez Boidae – nouveau label créé par le collectif/label berlinois Killekill – et orné d'une superbe pochette (signée par la photographe Cam Linh), Days of Dissent sonne comme un virulent manifeste en faveur d'une électro-techno puissamment organique, au fort parfum d'émeute. La musique idéale pour traverser la nuit debout… De ses débuts, dans l'enthousiasme fiévreux des années 90, à ce nouvel album, en passant par les nombreuses étapes intermédiaires, retour sur le parcours d'un combattant de l'ombre à l'intégrité inflexible et à la passion indéfectible.

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Noisey : Comment as-tu basculé dans la musique électronique ?
J'ai commencé à mixer assez jeune, vers l'âge de 14 ans. J'y suis venu par l'intermédiaire d'un ami, un peu plus âgé que moi, qui se produisait comme DJ de temps en temps dans le village près de Lyon où j'habitais à l'époque. Les premiers vinyles que j'ai achetés – ça devait être en 1986 ou 1987 – étaient des vinyles de new beat. J'ai connu mes premières sensations fortes avec la musique électronique via ce style. Avant, j'écoutais des choses plus commerciales, qu'on pouvait entendre à la radio, comme de l'italo-disco par exemple.

Quand Maxximum [mythique station de radio parisienne] a commencé en 1989, j'ai pris une grosse claque : je l'écoutais en non-stop, en enregistrant des trucs sur cassette. J'archivais tout et je réécoutais. C'était difficile de trouver des disques à l'époque. Galaxy Import, le premier disquaire électro important sur Lyon, est arrivé en 1991-92.

Ça coïncidait avec le début des raves à Lyon. J'ai eu un coup de chance à ce moment-là : un gars que je connaissais travaillait dans une radio associative, Radio Espace, qui cherchait des gens pour animer des émissions. C'est comme ça que j'ai eu l'opportunité de faire une émission techno, qui s'est appelée Teknoland. Toujours au même moment, via un autre pote, j'ai pu obtenir une résidence de DJ à l'Hypnotik, un club installé dans un parking désaffecté qui a joué un rôle essentiel dans l'avènement de la musique électronique à Lyon. C'est à partir de là que je suis vraiment devenu DJ. A cette époque, je jouais sous le nom de Freddy'J. J'ai participé à plein de soirées, plus ou moins légales, et de raves entre 1993 et 1996, en particulier dans le sud de la France. Je mixais des trucs plutôt durs et sombres, par exemple les disques de labels tels que Direct Drive ou Dropbass. C'était vraiment une période exaltante, assez dingue. Je suis très content d'avoir pu la vivre mais je n'en éprouve aucune nostalgie et je ne cherche absolument pas à capitaliser sur ce passé.

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Et tu es passé à la production à partir de 1996 ?
Oui, mais j'avais déjà commencé à m'équiper un peu avant. Le premier synthé que j'ai acheté, c'est un JUNO-106 – sans séquenceur, sans rien [Rires]. J'ai appris progressivement, sur le tas, avec d'autres personnes qui faisaient de la musique. A l'époque, il n'y avait pas internet. Il fallait se débrouiller autrement pour dénicher les infos, par exemple en épluchant les annonces dans les journaux locaux pour trouver des instruments. Je me suis constitué petit à petit un équipement hardware. J'ai notamment eu la chance de dégoter assez vite une TR 808 – que j'ai toujours. J'ai commencé à produire/enregistrer des choses, en les gardant pour moi dans un premier temps. En 1998, je me suis lancé pour de bon en montant mon premier label, Fundata, et en sortant d'emblée un premier album, Un :Real Convenience. Ensuite, j'ai créé un deuxième label, Shelter, plus axé électro. Un peu après, le distributeur s'est cassé la gueule, entraînant les deux labels dans sa chute…

A ce moment-là, fin des années 90-début des années 2000, je ne jouais presque plus dans les raves : il y avait beaucoup de répression, de plus en plus d'histoires de fric et de compétition entre DJ's… Ça ne me plaisait pas du tout : c'est pourquoi j'ai choisi d'abandonner la casquette Freddy'J pour me concentrer pleinement sur la production. Pendant longtemps, j'ai utilisé le pseudo Umwelt uniquement pour le live. Le DJ Umwelt est arrivé bien après.

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Tu es un fervent partisan de l'analogique et du vinyle.
Oui, je n'utilise que du hardware pour produire mes morceaux et je ne mixe qu'avec des vinyles. J'ai testé un peu certains logiciels, Cubase par exemple, mais je trouve ça très contraignant et très froid. J'y perds beaucoup au niveau du feeling. L'ordinateur me sert seulement à enregistrer et masteriser un peu, en fin de processus. Ma méthode de travail est assez directe, brute. Je préfère largement les morceaux avec un son un peu sale, rugueux.

Ton dernier album est emblématique à ce niveau-là, avec des morceaux à la fois très percutants et très rêches, avec beaucoup d'aspérités. C'est du brut de brut.
Tous les morceaux ont été composés dans cet esprit. Autant que possible, j'essaie d'adapter ma musique aux attentes et aux options esthétiques des labels. J'envoie toujours pas mal de morceaux afin qu'ils puissent choisir. Au début, pour Killekill, il était question d'un EP mais Nico Deuster [le responsable du label, alias DJ Flush] n'arrivait pas à choisir entre les morceaux. Du coup, il a décidé de créer un nouveau label et de sortir un album [Rires]. Avec Killekill, il y a une vraie entente et ils me soutiennent à fond : ils m'ont aussi pris dans leur agence de booking – pour l'international.

Avant d'en arriver à cet album, comment as-tu atteint la reconnaissance à l'échelle internationale ?
Je n'ai jamais couru après cette reconnaissance, les choses se sont mises en place par paliers, au fil des années. Vers 2003-2004, j'ai envoyé des démos à plusieurs labels que j'aimais bien – à l'époque, on envoyait des CD par la Poste [Rires]. J'ai eu des réponses assez rapidement. Résultat : j'ai pu sortir un EP sur le label allemand Kommando 6 et un album et un EP sur le label américain Satamile. Ces disques m'ont permis de me faire connaître davantage, même si ça restait encore assez confidentiel, cantonné à la sphère des fans d'électro pure et dure.

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En 2007, au plus fort de la crise du disque, Satamile s'est cassé la gueule à son tour… Je me suis donc décidé à monter un nouveau label, New Flesh, en 2010, pour sortir mes morceaux mais aussi ceux d'autres producteurs. Au début, ça fonctionnait sur un mode ultra-artisanal et underground : uniquement des disques en séries limitées, que nous gravions nous-mêmes, moi et ma femme, avec notre propre machine à graver. En 2014, j'ai été contacté par le label néerlandais Shipwrec pour sortir un EP, en l'occurrence Cultures of Resistance, qui a bien marché. Grâce au réseau de distribution très étendu du label, j'ai pu toucher un public beaucoup plus large.

Dernièrement tu as aussi sorti un EP (Destruction Libératrice) sur Return To Disorder , le label de Helena Hauff. Quand et comment vous êtes-vous rencontrés ?
Les gens de Killekill m'ont invité à participer à leur festival, le Krake Festival, en 2015. Je ne les connaissais pas encore et je n'avais jamais joué à Berlin. Helena Hauff figurait parmi les autres invités, nous avons fait connaissance tout simplement durant le festival. J'y aussi rencontré les gens du label Modal Analysis, qui m'ont également demandé des morceaux. Ça va se concrétiser sous forme d'un EP qui paraîtra début décembre. Par ailleurs, je vais aussi sortir un EP sur Construct Re-Form, le label de Zadig (un gars super, soit dit en passant). A côté de ça, je me suis remis sérieusement au DJing depuis environ un an et demi. J'ai aussi lancé un sous-label de New Flesh, Rave or Die, plus orienté techno, avec lequel j'organise des soirées régulièrement en France ou ailleurs. Et j'anime une émission – Ravoluson – sur LYL Radio, une webradio lyonnaise. Au total, ça tourne plutôt pas mal [Rires].


Umwelt jouera au festival Astropolis le samedi 1er juillet dans le Manoir de Keroual.