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Music

Ce week-end, Solange nous invite de nouveau à sa table

À quelques jours de la venue de Solange à We Love Green, retour sur « A Seat At The Table », disque majeur qui a montré à toute une génération qu'il était encore possible de trouver l’apaisement et la lumière dans la musique.

« I got a lot to be mad about » – Il y a énormément de choses qui mettent en colère Solange, comme ce journaliste du New York Times qui l'accusait de « cracher dans la soupe » avec ses tweets de 2013, à propos du manque de journalistes R&B compétents dans les médias traditionnels. Elle en tirera d'ailleurs un morceau, « Don't You Wait ». Mais c'est l'expérience noire américaine qui lui a valu ses plus beaux accès de rage. Dans A Seat At The Table Solange traite de colère mais de colère transformatrice, celle qui rend pro-actif, celle à laquelle elle répond par la joie, la célébration de son identité et la réconciliation avec elle-même.

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« Expérimentation » a toujours été le mot d'ordre de la musique de Solange. À 14 ans, elle écrivait déjà des morceaux pour d'autres artistes et pour son premier disque, Solo Star, un mix d'influences R&B, reggae et pop rock d'où est issu l'étincelant « Crush ». Le deuxième arrive 5 ans plus tard, porté par les sonorités rétro-soul comme « I Decided » et des titres plus ambitieux comme « Cosmic Journey ». Avec l'EP True elle tente ensuite une pop teintée de sonorités venues tout droit des années 80. A Seat at the Table a, lui, marqué son retour à un R&B plus assumé, qu'elle n'a jamais vraiment quitté. Ses harmonies-marque-de-fabrique se sont affinées, sa plume s'est politisée et son talent pour choisir ses collaborateurs se confirme. Immergée dans la Louisiane de ses grands parents, c'est dans le carnet de notes de Solange que les premiers morceaux naissent. C'est d'abord un projet personnel. Alors, les collaborateurs sont là, sans être là. Ils la soutiennent, souvent vocalement, comme la voix de Raphael Saadiq sur « Rise » ou l'outro aux airs D'Angelo de BJ the Chicago Kid sur « F.U.B.U. ».

Le contexte compte. Solange a voulu, en écrivant cet album, renouer avec ses racines sudistes, apprendre et embrasser une histoire de famille douloureuse, généralement associée à la ségrégation et au racisme. Faire un parallèle avec son vécu, composer et expérimenter, nommer ce qu'elle vit « but it's like cranes in the sky » (c'est comme les grues dans le ciel) pour ensuite panser, évacuer « let's take it off tonight, break it off tonight » (partons loin ce soir, ne nous soucions de rien ce soir). Ce procédé de nommer pour évacuer, poser une question pour y répondre, on le retrouve tout au long de l'album. « F.U.B.U. » (For Us by Us) hymne à l'autosuffisance noire pourrait être une réponse à « Where Do We Go ? », une sorte d'état des lieux de la situation états-unienne. A Seat at the Table est le tunnel et la lumière au bout du tunnel. On passe du doute à la certitude, de la peine à la joie mais Solange ne se débarrasse pas de ses émotions, elle prend le temps de les décortiquer et de les justifier. « Don't touch my hair, when it's the feelings that I wear » (Ne touche pas à mes cheveux, parce que ce sont mes émotions que je porte).

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Et les cheveux sont importants parce que l'expérience de Solange est celle d'une femme noire, une femme noire entourée de femmes noires exceptionnelles et conscientes de leur valeur, « I got so much magic, you can have it » (J'ai tellement de magie, vous pouvez en avoir). Mais également une femme noire dont le père est noir, mariée à un homme noir et mère d'un garçon. Ainsi, elle accorde une place particulière à ces hommes avec lesquels elle partage plus qu'une identité, comme le couplet de Lil Wayne sur « Mad » et les voix de son père et de Master P, self-made-man et mogul du hip-hop sudiste, qui rythment la plupart des interludes et dont les ascensions inspirent. Dans ces témoignages on pourrait aussi déceler un message pour son propre fils, qu'elle doit élever dans un environnement qui ne lui fera pas toujours de cadeau. Elle lui donne les moyens d'aborder le monde en connaissant son histoire, et celle de ceux qui sont arrivés avant lui.

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Et elle le fait toujours en douceur, en chantant avec une délicatesse au croisement des Adventures In Paradise de Minnie Riperton et de Rufus featuring Chaka Khan. Le poétique A Seat at the Table est d'une cohérence incroyable et s'inscrit dans un mouvement politique qui s'est ré-emparé des musiciens noirs depuis Black Messiah de D'Angelo. Au milieu des très riches To Pimp a Butterfly, Freetown Sound, Coloring Book ou encore Telefone, elle apporte une nuance dont on ne soupçonnait pas l'existence mais qui devient essentielle dès les premiers accords. Avec ce nouveau disque, Solange montre à une génération, souvent à la recherche de réponses dans la musique, qu'il est possible de trouver de l'apaisement et la lumière où on ne les attend pas.

A Seat At The Table (une place à table) n'avait rien d'une demande : c'était une invitation. Avec ce disque, Solange nous invitait à sa table, dans ses pensées les plus intimes, pour partager, échanger, comprendre. En transparence, on peut aussi y voir une métaphore pour cette expérience Noire américaine qui n'est plus dans une démarche de revendication, mais d'affirmation. Le « nous » est primordial, il faut le nourrir, en prendre soin et surtout, il est à sa place parce que cette table, c'est bien lui qui l'a construite.

On vous fait gagner des places juste en-dessous pour le Festival We Love Green les 10 et 11 juin prochains :