Coups bas et injustices : le long sanglot du rugby samoan

FYI.

This story is over 5 years old.

Sports

Coups bas et injustices : le long sanglot du rugby samoan

Les rugbymen des îles se font entuber par les instances internationales depuis des années, au point que certains renoncent à porter le maillot de la sélection. Mais quelques joueurs sont bien décidés à se faire entendre.

Eliota Fuimaono-Sapolu a porté le maillot de la sélection samoane pendant six ans, de 2005 à 2011, mais il est nettement plus connu pour ses coups de gueule sur les réseaux sociaux que pour ses exploits sur le terrain. Il n'est pas question de minimiser ses qualités de joueur ; lorsqu'il est en forme, c'est un trois-quarts centre rugueux et doué. C'est plutôt un hommage à sa ténacité lorsqu'il s'agit de s'attaquer à tous ceux qui, dans le monde du rugby, ont été incorrects et irrespectueux vis-à-vis de lui et de son pays. En mai dernier, par exemple, il saisissait l'occasion du "Deflategate" en NFL pour dresser un parallèle à un comportement similaire de la part de la sélection anglaise à la Coupe du monde de rugby en 2011.

Publicité

Good to see Tom Brady suspended, club fined for ball tampering. Remember when England did it at the RWC and nothing happened? Shit house.
— fuimaono-sapolu (@Eliota_Sapolu) May 12, 2015

Selon Fuimaono-Sapolu, on ne compte même plus les injustices dont l'équipe des Samoa a été victime sur lesquelles le World Rugby (l'instance de décision internationale, anciennement nommée International Rugby Board) a fermé les yeux, et qu'il continue à ignorer. L'anecdote la plus frappante remonte justement à 2011, lorsque les joueurs samoans se sont présentés pour leur premier entraînement et se sont aperçus que personne n'avait pris la peine de leur fournir des ballons.

« Cette histoire de ballons a été le cadet de nos soucis lors de la Coupe du monde, raconte Fuimaono-Sapolu. Les plus gros problèmes, ça a été que l'un d'entre nous se prenne une énorme amende pour avoir porté un protège-dents frappé du logo d'une marque, et surtout le temps de récupération entre nos matches. A chaque fois, c'étaient des conneries imposées par le World Rugby. On peut se débrouiller sans ballons, ça fait partie de notre façon de jouer au rugby aux Samoa. Mais n'avoir que trois jours de repos alors que notre adversaire, les champions en titre, en avaient huit, c'est de l'abus. Et le pire, c'est que si tu l'ouvrais pour dire que c'était injuste, comme moi, tu étais suspendu direct. Ils ont même essayé de me retirer mon passeport ! »

Publicité

Fuimaono-Sapolu sous les couleurs de sa sélection en 2007

Forcément, il existe deux versions de cette histoire. Fuimaono-Sapolu a écopé de six mois de suspension pour avoir accusé un arbitre de racisme lors de la Coupe du monde, un bel exemple de moment où son tempérament l'a amené à dépasser les bornes. Mais ses envolées médiatiques et ses coups d'éclat sur Twitter ne doivent pas faire oublier qu'il existe un problème très concret qui dure depuis longtemps déjà : le mépris dont font preuve les dirigeants du rugby mondial envers les plus petits pays, à l'échelle nationale et internationale.

Avant même la Coupe du monde, à l'époque, la Fédération samoane galérait à trouver de quoi financer la participation de son équipe au tournoi. C'est finalement le peuple samoan qui s'est débrouillé pour trouver quelques millions d'euros pour l'équipe nationale, et les joueurs affirment ne jamais en avoir vu la couleur. Le capitaine de l'époque, Mahonri Schwalger, raconta après la compétition que les joueurs n'avaient touché que 1000$ par match, et qu'ils avaient dû payer eux-mêmes le voyage. Dieu seul sait ce qu'il est advenu du reste de l'argent récolté auprès du grand public.

Et rien ne semble avoir changé depuis. En novembre 2014, les Samoa ont disputé un test match contre l'Angleterre à Twickenham. Dans la semaine précédant la rencontre, les joueurs samoans menacèrent de boycotter la rencontre pour protester contre le même type d'injustices que celles qui avaient rendus Fuimaono-Sapolu et Schwalger fous de rage depuis des années. Ils dénoncèrent le manque de transparence de la Fédération samoane, et l'organisation chaotique et honteuse qui avait conduit des joueurs à devoir payer eux-mêmes leurs billets d'avion pour disputer des matches internationaux – ce qui se fait encore aujourd'hui.

Publicité

Le World Rugby a fini par proposer un arrangement, mais il a fallu que les joueurs menacent de boycotter un match très lucratif pour que les choses bougent un peu. Le test match a eu lieu, et la Fédération anglaise (RFU) s'en est mis plein les poches (plusieurs millions selon les estimations). Les Samoans sont repartis sans un sou.

Ce n'est certainement pas nouveau : ça fait bien longtemps qu'il est de coutume que le pays hôte engrange les profits réalisés grâce à l'organisation d'un test-match. Mais concrètement, ça me marche que dans un sens : parmi les "grandes" nations du rugby, il n'y a guère que l'Italie et l'Ecosse qui aient daigné aller disputer des matches dans le Pacifique au cours des dernières années. Il est logique que le pays hôte récolte la plus grosse part du butin, mais quand les Samoa ou les Fidji remplissent Twickenham et assurent des recettes confortables à la RFU, il doit y avoir une forme de réciprocité, la plus évidente étant que les Anglais aillent disputer un match dans les îles la fois suivante.

Manu Tuilagi, né aux Samoa, est international anglais alors que ses cinq frères jouent pour les Samoa | Photo : PA Images

Franchement, c'est une honte. Quelques-uns des meilleurs rugbymen du monde sont nés et ont grandi aux Samoa, et plus globalement dans les îles du Pacifique. Mais faute d'argent, ils sont tentés de partir vivre et jouer dans d'autres pays, où ils peuvent gagner bien plus et même représenter une autre nation une fois qu'ils ont résidé suffisamment longtemps sur place (actuellement, il suffit d'avoir vécu trois ans dans un pays pour pouvoir porter le maillot de sa sélection, ce qui est insensé).

Publicité

A l'ère du professionnalisme, alors que les salaires dans les meilleurs clubs sont souvent très élevés et que le risque de blessure grave ne cesse de s'accroître, pourquoi les joueurs ne feraient-ils pas tout ce qui est en leur pouvoir pour rentabiliser au maximum leur potentiel ? Personne ne leur reproche. Et vu l'état actuel des choses, ce n'est certainement pas dans les îles qu'ils y parviendront. La véritable frustration vient du fait que rien ne semble avoir été fait pour changer les choses au cours des quatre dernières années.

Fuimaono-Sapolu avoue ne pas comprendre que des joueurs continuent à jouer au rugby aux Samoa, vu l'absence totale de financements et le désintérêt du World Rugby pour le sort du pays.

« Je trouve ça fou qu'ils jouent. Personne n'est payé. Il n'y a aucune équipe professionnelle à intégrer. Il n'y a pas d'assurance. Aucun système de santé fiable. Il n'y a même pas de médecins lors des matches. Il est peut-être temps d'en finir avec toutes ces conneries, parce qu'en plus, une fois que tu as surmonté tous les obstacles pour jouer au rugby aux Samoa, si jamais tu es suffisamment bon pour intégrer la sélection, tu dois encore subir toutes les injustices et les crasses que te fera le World Rugby. »

Fuimaono-Sapolu n'essaye même pas de dissimuler sa rancœur et sa colère envers les institutions, et il n'est pas le seul. Récemment, un membre actuel de la sélection, l'ex-capitaine Dan Leo, a avoué dans la presse que des joueurs des îles s'étaient vus proposer de l'argent pour prendre leur retraite internationale. Porter le maillot de sa sélection est censé être l'aboutissement d'une carrière de joueur, et pourtant on les incite à y renoncer.

« Je peux vous assurer qu'absolument tous les joueurs des îles qui négocient avec des clubs subissent des pressions pour refuser leurs convocations en équipe nationale, expliquait Leo à Planet Rugby. Leur salaire peut varier de 30%, voire 40% s'ils acceptent ou non de renoncer aux test matches. »

Les Samoa sont l'un des pays les plus passionnés par le rugby au monde. Il n'y a pas beaucoup d'autres pays qui financeraient la participation de leur équipe à la Coupe du monde par le crowdfunding. Et surtout, aucune autre nation n'aurait jamais besoin de le faire. Mais rien ne semble avoir changé depuis que Fuimaono-Sapolu a coupé les liens avec sa sélection et les instances dirigeantes, après une dernière sortie médiatique qui a peut-être visé un peu trop juste.

Alors que l'on reparle de l'argent qui avait disparu en 2011, et que je lui demande où il a bien pu passer selon lui, sa réponse est extrêmement amère : « Je pense que tout est reparti dans les caisses du World Rugby. C'est toujours comme ça. On nous prend nos joueurs, on nous prend notre argent. Et on ne récupère jamais rien en retour. »