Les enfants de Daech ne sont pas des écoliers comme les autres
Toutes les photos sont tirées des « Enfants de Daech », paru aux éditions inculte

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Culture

Les enfants de Daech ne sont pas des écoliers comme les autres

Profs assassinés, fillettes voilées et entraînement au djihad : sous l'État islamique, l'Éducation nationale n'a pas vraiment tendance à développer l'esprit critique.

Deux heures de mathématiques soporifiques, une respiration salutaire en histoire-géo, l'horreur hygiéniste de la cantine, une heure et demie de défoulement en EPS, puis le grand n'importe quoi d'un cours d'arts plastiques délivré à des gamins de douze piges : voilà en substance le quotidien de la plupart des jeunes adolescents qui trépignent dans les collèges et lycées hexagonaux. Quelques notes absconses et deux-trois échanges de fluides plus tard, c'en sera fini de l'enseignement secondaire. Place désormais aux cursus élitistes ou aux parcours bouchés, aux années Erasmus « enrichissantes » et aux stages « formateurs ».

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Cette trajectoire est celle que vous et moi avons connue au cours de notre vie, avec quelques variations pour ceux qui n'ont pas voulu s'enfermer sur le campus de Pessac pour y étudier le droit constitutionnel. Le truc, c'est que certains gamins n'auront jamais cette chance – oui, j'utilise le terme chance, n'en déplaise aux relativistes qui m'entourent. Prenez les enfants qui vivent sous le joug de l'État islamique – qu'ils soient nés sur les territoires irakiens ou syriens, ou qu'ils aient emménagé avec leurs parents sur place. Pour ces gamins, pas d'histoire-géo salutaire ou de mathématiques soporifiques. Non, pour eux, ce sera apprentissage du Coran, de la prière ou du maniement des armes. Forcément, comme on pouvait s'y attendre, étudier sous Daech n'a rien d'une formation de l'esprit critique – un objectif pas nécessairement atteint en France non plus, il faut en convenir.

Face à la menace que représente une nouvelle génération entièrement formée à combattre au nom d'un islam ultra-rigoriste, et face à l'impréparation des États occidentaux quant au retour de jeunes djihadistes en Europe, la Fondation Quilliam – un think tank britannique – a publié une enquête retentissante en mars 2016. Intitulée The Children of Islamic State, celle-ci résumait et amplifiait le propos de nombreux documents évoquant l'éducation des gamins sous Daech. Désensibilisés à la violence, traumatisés et/ou totalement formatés, ces derniers laissent impuissants des États occidentaux qui n'ont que le terme « déradicalisation » à la bouche, sans savoir exactement ce que celui-ci sous-entend. Aujourd'hui, les éditions inculte proposent une traduction du texte d'origine, intitulée Les enfants de Daech. On vous en propose un long extrait.

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            La guerre civile en Syrie a eu un impact dévastateur sur l'éducation. Fin septembre 2015, plus d'un quart des écoles syriennes étaient endommagées ou détruites, et l'on estime le déplacement de la population à deux millions de personnes, dont 700 000 enfants réfugiés privés d'école (cf. rapport de l'ONU, novembre 2015). Ces chiffres correspondent à ceux des guerres précédentes, pendant lesquelles le droit fondamental à l'éducation est souvent devenu un luxe, compte tenu de l'embrigadement des enfants au sein des milices, des combats et des bombardements à l'intérieur et en dehors des écoles, ainsi que de l'effondrement des structures institutionnelles (cf. Déclaration universelle des droits de l'homme, 1949).

Cependant, contrairement à la plupart des conflits précédents, les écoles et le système éducatif constituent un élément clé du recrutement et de l'endoctrinement des enfants par l'État islamique, car ils demeurent des structures idéales pour influencer les cœurs et les esprits de la prochaine génération. On y inculque aux enfants les valeurs et l'enseignement inflexibles de l'État islamique, en les encourageant à espionner leurs familles et leurs camarades. Ceux qui s'y plient sont considérés comme des fidèles, et sont souvent orientés vers les camps d'entraînement de l'État islamique. Des faits similaires ont été observés en Somalie, où les écoles des zones contrôlées par Al-Shabbaab sont contraintes d'accepter son interprétation stricte de l'islam. La langue anglaise, les sciences, et toutes les autres matières jugées inconvenantes n'y sont pas enseignées. De sévères restrictions y sont également imposées à la tenue vestimentaire des jeunes filles. Les enseignants qui refusent de coopérer avec ce régime strict sont menacés et souvent tués. Cependant, le taux d'abandon des études au sein de ces écoles est important. Ce qui démontre qu'Al-Shabbaab ne parvient pas systématiquement à influencer une nouvelle génération d'enfants djihadistes (cf. Danielle Breitenbücher pour la Croix-Rouge, 2015).

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En revanche, dans les zones contrôlées par l'État islamique, l'école est obligatoire pour tous les enfants (cf. Katarina Montgomery dans Syria Deeply, 2014). L'enseignement à domicile a été déclaré haram (interdit), les autorités de l'État islamique ne pouvant y contrôler l'éducation des enfants. Ces règles sont strictement appliquées. Les enquêteurs des Nations unies ont reçu plusieurs rapports signalant l'assassinat des enseignants refusant de dispenser la doctrine de l'EI. Ainsi, quatre professeurs d'un lycée de Mossoul ont été enlevés en janvier 2015 après s'être opposés à l'État islamique, et le 30 mars, l'instituteur d'une école primaire a été exécuté pour avoir critiqué le groupe à Tall Afar (cf. Rapport sur la protection des civils en Irak, 2014-2015).

Les manifestations médiatiques de l'État islamique donnent une idée assez précise de l'enseignement dispensé au sein du « califat ». Des vidéos et des photos provenant de plusieurs wilayat (provinces) révèlent ce qu'inculque la doctrine, les uniformes que portent les enfants et les exigences des professeurs. Ces règles ont été édictées par le Diwan al-Taleem, l'équivalent d'un ministère de l'Éducation nationale, en 2015.

La semaine d'école a lieu du dimanche au jeudi et les classes ne sont pas mixtes. Les élèves passent cinq ans à l'école primaire puis quatre ans au collège. Âgés de six à quinze ans, garçons et filles y étudient séparément (cf. « Education in the Shade of the Caliphate », bureau de presse de l'EI à Raqqa, 2015). Les enfants de moins de six ans vont à la crèche, où ils intègrent des classes mixtes (cf. « Cubs Under the Caliphate – Kindergartens in the City of Mosul », bureau de presse de l'EI à Ninive, 2015). Les journées d'école sont aménagées « de manière à n'être ni trop longues et ennuyeuses, ni trop courtes et chargées ».

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Les enfants ne portent pas d'uniforme, mais leur tenue doit être conforme aux lois rigoureuses de l'État islamique. En fonction de leur âge, les filles doivent se soumettre à certaines exigences vestimentaires. Elles doivent par exemple porter le voile dès leur première année d'école primaire (cf. «A Primary School for Girls in the City of Rutba », bureau de presse de l'EI à Anbar, 2015).

Le contenu du programme est lui aussi très restreint comparé à ceux des écoles d'Irak et de Syrie avant l'arrivée de l'État islamique et à ce qui est généralement enseigné dans les pays occidentaux. Les matières comme le dessin, la musique, le patriotisme, l'histoire, la philosophie et les sciences sociales ont toutes été supprimées et remplacées par un apprentissage rigoureux du Coran, du tawhid (monothéisme), du fiqh (jurisprudence), de la salât (prière), des aqîda (principes), hadiths et sourates (la vie de Mahomet) (cf. « Imam Bukhari Institute in the Tal Abyad Area », bureau de presse de l'EI à Raqqa, 2015). Certaines matières ont été réduites au strict minimum. Par exemple, un livre de géographie se contente de nommer les continents, et un livre d'histoire n'enseigne que l'histoire islamique. Les cours d'éducation physique ont été rebaptisés « entraînement au djihad ». Ils comprennent des séances de tir, de natation et de lutte (cf. « Race Towards Good », bureau de presse officiel de l'EI/al-Hayat, 2014). Le livre d'éducation physique propose une série d'exercices quotidiens, ainsi qu'un chapitre consacré aux armes qui revient sur l'histoire, la composition, le maniement, et le nettoyage d'armes légères (cf. « Physical Preparation », Islamic State).

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De plus, l'État islamique enseigne aux enfants ayant été formés dans le modèle éducatif occidental qu'ils ont été élevés selon « une méthodologie de l'athéisme » et sont obligés d'être orientés vers des écoles spéciales (cf. « Race Towards Good »). Les enfants issus des familles venues de régions extérieures à la Syrie et à l'Irak pour rejoindre l'État islamique reçoivent des cours sur la langue arabe, le Coran et les hadiths (cf. « Noble Youth », bureau de presse de l'EI à Alep, 2015). Les garçons ayant terminé leur apprentissage de l'arabe et du Coran, ainsi que la récitation de celui-ci, sont orientés vers l'entraînement physique et militaire où ils reçoivent une formation au combat à mains nues et au tir.

Les enseignants sont eux aussi étroitement surveillés. Ceux qui ne bénéficient d'aucune expérience préalable doivent aller apprendre la charia au sein d'un institut. Quant à ceux qui étaient déjà enseignants avant de rejoindre l'État islamique, ils sont obligés, en plus de suivre ces cours de charia, de demander pardon pour avoir enseigné « le programme mécréant ». Dans tous les cas, les professeurs sont recrutés pour enseigner le programme de l'État islamique, puis répartis dans les différentes écoles selon leur spécialité, ou affectés à des postes dictés par les besoins de l'école.

L'éducation telle que la conçoit l'État islamique est parfois proche de celle de l'Allemagne nazie, dans sa manière de percevoir les enfants et la pédagogie. Les dirigeants nazis avaient choisi d'utiliser la jeunesse allemande comme un catalyseur pour rompre avec la politique « décadente » de l'entre-deux-guerres et privilégier l'avenir de la nouvelle « communauté nationale » (cf. Pine). Afin d'instrumentaliser la jeunesse de façon efficace, le système éducatif de l'Allemagne nazie était davantage basé sur l'endoctrinement que sur l'émancipation. Ce point de vue est très clairement énoncé dans une directive du programme éducatif nazi :

L'école primaire ne doit pas servir à fournir un éventail de connaissances destiné à l'usage personnel de l'individu. Elle doit développer et exploiter les facultés mentales et physiques de la jeunesse pour les mettre au service du peuple et de l'État. Par conséquent, le cœur du programme éducatif doit être la mise en œuvre des moyens nécessaires pour atteindre cet objectif. Tous les autres enseignements appartiennent à une vision obsolète de l'éducation et doivent être abandonnés.

Procurez-vous sans attendre Les enfants de Daech, disponible aux éditions inculte.

Romain est sur Twitter.