Le travail du sexe pour avoir les moyens de vivre à Vancouver

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Economie

Le travail du sexe pour avoir les moyens de vivre à Vancouver

Des Vancouvéroises sont escortes ou font de la porno en direct sur internet pour joindre les deux bouts.

Eva*, 19 ans, reçoit beaucoup de demandes quand elle fait du camming – des performances pornos en réalité virtuelle en direct sur internet. Mais elle ne tient pas compte de la plupart d'entre elles. Par principe, elle refuse l'anal, le fist-fucking et la danse.

« Je danse mal, ça me gêne, admet-elle. Les vibrateurs, les dildos et les demandes comme "Est-ce que je peux voir tes pieds?" ça me va. Je n'éjacule pas comme une femme fontaine, mais si je pouvais, ça m'irait aussi. »

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Pour quelques jeunes femmes qui tentent de vivre à Vancouver, se rabattre sur la masturbation devant une webcam n'est que faire preuve de débrouillardise quand le salaire minimum ne correspond pas au coût de la vie. Eva fait partie d'un groupe d'amies et anciennes colocs qui voient des sous-catégories du travail du sexe comme un moyen de joindre les deux bouts dans la ville la plus chère au Canada.

Le camming n'a pas été le premier choix d'Eva pour augmenter ses revenus. Après son arrivée à Vancouver, elle s'est trouvé un emploi de barista qui lui donnait peu de chances d'arriver. Ses quarts de travail n'étaient que de trois ou quatre heures à la fois et les pourboires étaient minimes. « Il ne me restait plus un sou à la fin du mois », se rappelle-t-elle.

Elle logeait alors dans un immeuble délabré avec une douzaine d'amies. Comme le loyer de 3000 $ par mois était divisé entre elles, elles payaient individuellement beaucoup moins cher que la moyenne. Mais presque aucune prise électrique ne fonctionnait, la plomberie n'était pas fiable, et la Ville a fini par condamner l'immeuble.

Même si elle détestait son travail et son logement qui tombait en ruine, Eva dit qu'elle ne s'est jamais découragée. Il y avait toujours de quoi manger dans le réfrigérateur. Même si souvent elle devait réduire ses dépenses, jusqu'à se priver transport en commun, et qu'à l'approche de la fin du mois, il y avait un écart entre ce qu'elle voulait et ce qu'elle pouvait se payer.

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Pour combler cet écart, Eva s'est d'abord tournée vers Chaturbate, l'un des sites web de diffusion de performances pornos en direct les plus populaires. « J'ai toujours pensé que c'était un moyen raisonnable de faire de l'argent, dit-elle. Je pense que j'ai toujours été plutôt ouverte pour ce qui est du sexe. »

Avec ses amies, elle a aussi essayé WhatsYourPrice.com, un site web de rencontres sur lequel on peut fixer son tarif pour une date avec un inconnu. À ne pas confondre avec un service d'escorte : d'ordinaire, quand on accepte une proposition, on va souper au restaurant ou prendre un verre avec une personne qui a à peu près 25 ans de plus que soi.

« Des dates m'ont rapporté de 300 à 500 $, dit-elle. Maintenant que mes revenus sont plus stables, je n'ai plus besoin de faire ça. Je me sentais un peu mal à l'aise. Je ne veux pas sortir avec des gens comme ça. »

Ensuite, Eva a augmenté ses revenus de 500 à 1000 $ par mois en faisant de la porno devant sa webcam. Parfois seule, parfois avec son copain. Quand elle a perdu son téléphone, c'est ce qui lui a permis d'en acheter un nouveau.

Normalement, c'est facile de faire de l'argent, mais elle prévient que ce n'est pas garanti. « Des soirs, je faisais entre 300 et 500 $ de l'heure, mais, d'autres soirs, j'étais devant ma webcam pendant deux heures et je ne faisais que 75 $. Ça peut être assez décourageant et frustrant parce que les gens restent actifs et te parlent, ils peuvent même être grossiers pendant que toi, tu ne fais pas un sou. »

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Bien que ces expériences avec le camming ne soient pas toutes positives, Eva trouve rassurant de pouvoir compter sur ce complément au boulot au salaire minimum. L'attrait est grand : « Plus d'argent en moins de temps. »

Le marché de l'immobilier à Vancouver a enfin commencé à se stabiliser, mais, pour l'instant, les prix des appartements à louer n'ont pas suivi. Selon un récent rapport sur les prix des loyers, le prix mensuel moyen d'un appartement à une chambre est de 1820 $, et à deux chambres, de 3030 $.

Après une longue et stressante recherche parsemée de visites d'appartements miteux et minuscules, Eva et ses amies se sont installées dans un autre immeuble délabré pour quelques mois.

Pour l'une de ses ex-colocs, Tamara*, c'est à la fin du mois – quand le moment de payer le loyer approche et que le solde du compte de banque est bas – que l'idée d'être escorte lui revient. « Il y a des clients à qui je rends visite; je les appelle, des fois. »

La jeune femme de 21 ans a publié sa propre annonce en ligne. Pour quelques centaines de dollars chaque fois, elle s'est rendue chez une poignée de clients au cours d'une période de quelques mois.

Bien qu'elle n'ait pas vu de clients depuis un mois ou deux, l'argent gagné suffit à payer le loyer et un nouvel ordinateur. Elle garde un œil sur son compte SeekingArrangement.com, au cas où il y aurait de potentiels sugar daddies. « Mais ça pourrait être trop de travail émotionnel pour ce que ça rapporte », dit-elle.

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Tamara ajoute qu'elle perçoit une sorte de fossé générationnel entre les riches baby-boomers et les milléniaux cassés, en plus d'un fossé entre les hommes et les femmes. Selon elle, les femmes n'ont pas les mêmes options pour faire de l'argent rapidement. « Si les hommes veulent gagner beaucoup d'argent en peu de temps, ils peuvent travailler dans la construction, dit Tamara. Le travail manuel est plus payant. »

Pour le travail du sexe, bien que ce ne soit pas aussi épuisant, Tamara dit qu'il y a un prix émotionnel à payer. Elle ajoute que ce n'est possible pour elle que parce que ses parents habitent loin de Vancouver. « C'est un secret que tu traînes, qui ne te lâche pas. Tu ne te rends pas compte à quel point ça va t'affecter. »

Eva et Tamara n'envisageraient jamais le travail du sexe comme emploi à plein temps. Grâce à la technologie facilement accessible et à l'ouverture d'esprit de leur génération par rapport au sexe, il est facile pour elles de faire seulement de petites incursions dans l'industrie du sexe pour se maintenir à flot.

Au cours de l'été, Eva a déniché un emploi dans un restaurant qui offre un meilleur horaire, ce qui lui permet d'économiser et lui permettra même bientôt de se payer une assurance médicale. Néanmoins, le camming fait encore partie de sa vie, occasionnellement : une fois ou deux par mois pour pouvoir dépenser un peu. « J'aime le camming parce que c'est une expérience très consensuelle pour moi. Je me sens très jolie devant la webcam. Je porte de belles tenues, je me maquille et je suis chez moi, où je suis réellement à l'aise. »

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Mais, quand d'autres problèmes d'argent surviennent, elle doit trouver autre chose. Par exemple, son ordinateur ne fonctionne plus et elle a besoin de 700 $ pour le réparer. Pas de camming possible, puisqu'elle a besoin de l'ordinateur. « Ça me préoccupe, c'est sûr. C'est un peu stressant. »

Pour Eva, devoir se rabattre sur le travail du sexe n'est pas une situation désespérée du tout. Il s'agit simplement de se débrouiller quand l'économie n'aide pas les jeunes locataires. Avec le camming, elle peut même s'offrir des cadeaux de temps en temps, des vêtements, des produits de beauté, des plantes d'intérieur. Et, un jour, elle aimerait pouvoir s'offrir un retour à l'école.

« Je pense que si j'allais à l'école, je ferais beaucoup plus de camming, parce qu'autrement je ne pense pas que je pourrais vivre à Vancouver, dit-elle. Je ne veux certainement pas faire ça toute ma vie, mais je me vois le faire pendant quelques années encore. »

* Les prénoms ont été changés pour protéger l'anonymat des personnes citées.

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