Comment un passage télé a fait basculer l'existence de Future Islands

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Comment un passage télé a fait basculer l'existence de Future Islands

À l'occasion de la sortie de son nouvel album, « The Far Field », nous sommes revenus avec le trio de Caroline du Nord sur son succès inespéré, provoqué par leur prestation chez David Letterman il y a 3 ans.

À l'école, Future Islands aurait été dans la catégorie « Peut Mieux Faire ». Après un début de carrière plus que discret, le trio de Carline du Nord a explosé aux yeux du monde en 2014 grâce à une prestation live délirante de son chanteur Samuel T. Herring dans le show de David Letterman. Trois années plus tard, les voilà de retour avec The Far Field, cinquième album qui ne changera pas la donne : les fans adoreront, les autres continueront à vaquer à leurs occupations. On aurait pu les cuisiner sur l'enregistrement de l'album, sur leurs techniques de composition voire sur leurs futurs projets. On aurait pu aussi leur parler de Donald Trump ou de l'influence des séries d'heroïc-fantasy sur l'avenir de la planète. On a finalement préféré les interroger sur ce succès qui a surpris tout le monde, y compris eux, et revenir sur l'ascension étonnante d'un groupe que personne ne voyait aussi haut.

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Noisey : On peut le dire sans vous offenser. Votre parcours est incroyable, presque inespéré. Comment avez-vous vécu le succès étonnant de Singles, votre 4ème LP ?
Samuel T. Herring : Je crois que tout a commencé vers la fin de 2014 après notre prestation chez Letterman. 3 semaines plus tard, l'album sortait. A partir là, tout s'est mis à grossir très rapidement. C'était super positif. On venait de fêter les 11 ans d'existence du groupe. On avait déjà fait des centaines de concerts, et puis on a fini par avoir notre chance chez Letterman. Ça a tout changé. Notre carrière a explosé. Jusque-là, même si on avait déjà fait 3 albums, mes parents pensaient que ma principale occupation était de boire des bières et de fumer des cigarettes. Là, on a commencé à être programmés dans plein de festivals et on a vu plus d'argent qu'on aurait jamais pu imaginer. Pas des tonnes de fric, mais bien plus que ce qu'on gagnait jusque-là bien sûr. Et au lieu de se la couler douce, on a continué à bosser dur. Plus de 170 concerts en 2014, par exemple. C'était dingue. Plus de 100 en 2015. C'était éreintant, mais super excitant de vivre enfin cette reconnaissance. On n'a pas vraiment pris le temps de savourer les fruits de notre labeur quand on était sur la route. Aujourd'hui, on est encore entrain de digérer ces deux années folles que furent 2014 et 2015. On y pensait même en enregistrant ce nouvel album. C'est pour ça que c'était cool de retourner en studio, on allait enfin pouvoir exprimer ce qu'on a vécu dans un nouvel album.

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Comment vous êtes-vous retrouvés dans l'émission de David Letterman ? Ça a un lien avec le fait que vous aviez quitté Thrill Jockey pour 4AD ?
Bien sûr que ça nous a aidé. Notre 3ème LP est sorti en 2011. Thrill Jockey n'était plus trop chaud pour nous garder. Les choses traînaient, traînaient. Quand on a fini par signer chez 4AD, on était super excités. C'était un vrai pas en avant pour nous de signer sur ce label légendaire. On adorait leur catalogue, c'était presque un rêve pour nous de signer chez eux. L'album était sur le point de sortir et on nous a dit que pour le promouvoir, on passerait chez Letterman. Nous on a eu une réaction du genre : « Ouais, c'est cool ». On n'avait absolument aucune idée de ce qu'il allait se passer et de l'impact de ce passage. Mais ça s'est passé, c'est évident. On l'a d'ailleurs rapidement vu dans la presse les jours qui ont suivi la diffusion.

Concrètement, ça a changé quoi pour vous de passer de Thrill Jockey à 4AD ?
Déjà, tu as accès à un réseau bien plus important. C'est une structure plus importante, avec de plus gros moyens. Et pour nous qui faisions énormément de concerts, c'était très important de sentir le soutien d'une équipe soudée derrière nous. Pas seulement en matière d'organisation, mais aussi parce que ça nous permettait de tourner avec des groupes plus importants qui sont sur XL, Rough Trade… 4AD, c'est presque une major dans l'indie. En tout cas c'est un indé qui a la capacité de fonctionner quasiment comme une major. Un peu comme Matador s'il faut faire un parallèle. Ça a été super bénéfique pour nous. Jusque-là, on avait dépensé une énergie de tarés pendant des années à tourner, tourner, tourner… Avant qu'on signe chez 4AD, on faisait vraiment tout le sale boulot. Quand on a signé chez eux, ils ont été très clairs et nous ont dit : « le plus dur a déjà été fait avant votre signature, les gars. On ne veut rien changer à ce que vous faites, à la manière dont vous écrivez vos morceaux. Faites ce que vous voulez et ce que vous savez faire, notre job a nous c'est de vous donner une meilleure visibilité, d'agrandir la taille de la plate-forme. Il y a dehors des tas de mecs qui veulent vous écouter. Le seul problème, c'est qu'ils n'ont jamais entendu parler de vous et on va changer ça ».

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Future Islands a désormais un pied dans le mainstream, selon vous ?
Il n'y a pas un mainstream, il y en a plusieurs. Jusque-là on s'est toujours définis comme un groupe pop. Je crois que ce qui nous distinguera toujours d'un groupe mainstream, c'est ma voix qui est un peu bizarre.

William Cashion : Je crois que si le mainstream veut de nous, on tâchera de nager dedans. On ne va rien faire pour en être ou pour ne pas en être, mais devenir mainstream ce serait cool. Très cool. On n'est pas du tout opposés à ça. Samuel T. Herring : Beyoncé est mainstream mais peut proposer de la musique étonnante. Elle est tout à fait capable de faire de la musique pop classique et d'enchaîner avec des morceaux plus barrés. Le problème, c'est que la majorité du mainstream pop sonne creux, vide. Le message est si universel qu'il devient complètement inoffensif. La plupart du temps, il s'agit de morceaux d'amour sucrés sans sexe à l'intérieur. Ça craint. Même si les rythmes sont souvent catchy et bien chantés, c'est pas forcément de la musique honnête. Ces mecs ne veulent rien dire avec leurs morceaux. C'est pour ça que quand un mec comme Kendrick Lamar fait une entrée fracassante dans le mainstream on a juste envie de lui dire merci ! C'est un véritable artiste qui sait d'où il vient. Il ne joue pas un rôle contrairement à pas mal d'autres. On adorerait être capables de prendre cette voie là bien évidemment. On vient de l'underground, du DIY. Contrairement à Kendrick, on a pas eu l'opportunité d'exploser dès le début de notre carrière. On a du attendre.

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À vos débuts, votre musique était un peu plus sombre. J'ai l'impression que êtes devenus beaucoup plus accessibles à partir de Singles. Et que le succès est venu à ce moment là.
William Cashion : C'est pas une volonté délibérée de devenir plus accessible. On n'a jamais rien planifié et aujourd'hui encore, il y a une certaine noirceur dans nos morceaux.

Samuel T. Herring : Ce côté accessible venait plus de la production, je crois. Faut dire qu'avant ça, on avait enregistré dans des skate-park et dans des living-rooms. Pour Singles, c'était la première fois qu'on allait en studio pour créer un album. D'où son côté plus clair, plus Hi-fi. Bien sûr on a continué sur cette lignée avec ce nouvel LP, The Far Field. Singles était un album plus mûr que les précédents, tout simplement parce qu'on était plus vieux. Nos premiers LP's, on les a fait à 22-23 ans. À cet âge-là, tu as besoin de parler de ce qui te dérange, ou de ce qui te blesse de façon viscérale. C'est une période où t'as l'impression que le monde est contre toi, que tous t'en veulent. Singles arrive 10 ans plus tard. J'ai plus de recul quand j'écris, je suis plus zen. « Seasons (Waiting On You) » parle de ça. Certaines personnes changent, d'autres non. C'est la loi du monde, et c'est sûrement pour ça qu'on n'a plus trop le côté agressif de nos premières productions. Même si on le retrouve un peu dans quelques morceaux de The Far Field, on devient naturellement plus introspectifs avec le temps.

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Vous n'avez jamais eu de guitariste. Pourquoi ce choix ?
William Cashion : Même si Gareth et moi jouons parfois un peu de guitares sur nos albums, tu as raison, il n'y a jamais eu de guitariste dans le groupe. Quand on a débuté, on n'avait qu'un synthé et une basse sous la main. On a commencé comme ça faute de moyens et ça nous a plu. Voilà 14 ans que ça dure, je ne vois pas pourquoi on prendrait un guitariste maintenant.

Vous n'y avez vraiment jamais pensé ?
Samuel T. Herring : J'ai toujours dit que le seul guitariste qu'on prendrait serait Johnny Marr [Rires].

Je lui en parlerais si je le rencontre un jour.
William Cashion : On n'en a jamais vraiment parlé sérieusement. J'aime la simplicité du binôme synthé-basse. Samuel T. Herring : C'est aussi quelque chose qui nous caractérise, le fait d'être un groupe de pop sans guitariste. On n'a pas envie de devenir comme tous les autres groupes. Gerrit Welmers : On a souvent une guitare posée sur scène. Mais personne ne vient jamais des coulisses pour en jouer. Elle est juste là pour décorer. C'est un fantôme qui fait flipper les techniciens. « Merde, que fout le guitariste ? Où est-il ? ». Ça nous fait souvent marrer.

Le succès du groupe n'est pas venu que de sa musique, mais aussi du style de Samuel, et notamment de son incroyable façon de danser.
Samuel T. Herring : Je ne sais pas d'où ça vient, pourquoi je bouge comme ça. C'est vraiment ce morceau, « Seasons (Waiting On You) », qui m'a mis dans cet état là, qui m'a donné envie de me frapper fort le coeur en dansant. Ma manière de danser, mes pas sur scène, il n'y a rien de nouveau là-dedans, c'est ce que je fais sur scène depuis qu'on a 18 ou 19 ans. Ce qui change peut-être, c'est que je vis ce morceau comme si ma vie en dépendait. Et puis, dans ma tête, je me sentais plus boxeur que danseur pendant ce passage chez Letterman. J'avais pas l'impression de danser comme je l'ai fait. J'ai été surpris en voyant les images. Au début du groupe, je dansais plus comme un chanteur de punk, sur mes pieds, sans bouger. Je ne faisais pas encore l'essuie-glace d'un bout à l'autre de la scène comme chez Letterman.

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Je suppose que vous avez été franchement surpris par l'impact de ce show TV sur vos vies. Les jours qui ont suivis ont du être assez hallucinants.
William Cashion : Le show terminé, on est partis pour Baltimore, rejoindre le groupe avec qui ont tournait. On devait tous se rendre à Richmond en Virginie. C'est vraiment loin de New-York. Sur la route un de nos pneus a crevé. On s'est arrêtés dans un bar le temps de la réparation, et là, on s'est retrouvés devant notre prestation chez Letterman. Ça passait à la télé et on était là, dans ce bar avec quelques mecs, au fin fond de nulle part. Samuel T. Herring : On hallucinait complètement. On a hurlé au barman : « Montez le son, montez le son de la télévision ». Et là, deux gars dans le bar ont compris qu'on était les types de la télé. « Bordel, mais qu'est ce qui se passe ? » William Cashion : Deux ou trois jours plus tard, on était programmés à South by Southwest. Et là, c'était dingue, tout le monde nous parlait de l'émission. On a mis un peu de temps à réaliser. D'ailleurs je suis pas vraiment sûr qu'on ait vraiment réalisé.

Le public de vos concerts a dû aussi rapidement changer ?
Samuel T. Herring : Complètement. Très vite, on a eu beaucoup plus de monde. William Cashion : Tout a été super vite, c'était incroyable. Notre signature chez 4AD, ce passage chez Letterman, le monde à nos concerts.

La télévision ne serait donc pas un média mort ?
Samuel T. Herring : C'est ça qui est dingue. Jusque-là, tout le monde nous avait dit que si. Que ça nous servirait à rien. Que ça ne changerait rien. Le management, le label. Tous nous disaient que c'était cool d'y aller mais que ça ne changerait pas grand-chose pour la suite. D'une certaine manière, j'ai l'impression qu'on a remis la télé au centre des débats. Même David Letterman a été surpris par l'impact. Ça nous a complètement dépassés et c'est cool. On est en 2017, et tous les jours, des centaines voire des milliers de personnes regardent ça sur Youtube. C'est sans fin.

Un dernier mot pour David Letterman ?
Samuel T. Herring : Merci David. On te met sur la liste de nos concerts quand tu veux. The Far Field sort aujourd'hui 7 avril sur 4AD. Albert Potiron est sur Twitter.