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LE BLUES DE L'OR NOIR
LES ENFANTS SYRIENS SONT DÉSORMAIS EMBAUCHÉS PAR AL-QAIDA
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L’accès à la station est fermé par un barrage. Mes accompagnateurs, deux hauts responsables de l’ASL, me demandent de rester dans la voiture. Ici, même les généraux ne sont plus les bienvenus. Les mecs d’en face ne les apprécient pas. Près de la frontière irakienne, ces bases industrielles équipées de bureaux et de dortoirs offrent un refuge de choix aux djihadistes irakiens et à plusieurs autres groupes islamistes. Ils occupent les lieux et s’en servent de QG, loin du regard de l’ASL. Après deux heures d’attente, on me laisse pénétrer à l’intérieur, où tout semble délabré. Des obus non encore explosés entourent l’enceinte. Partout, on observe des cratères. L’aviation du régime Assad a fait ces derniers mois des raids hebdomadaires sur cette position hautement stratégique pour l’ASL. La visite est rapide, condensée. Les gardiens de l’exploitation me promènent à l’opposé des baraquements, au loin, dans lesquels je vois des hommes assis à l’ombre. Impossible de m’en approcher. À la place, on me conduit devant des tuyaux. « Ils sont en parfait état de fonctionnement, hein ? » me demandent mes guides. Pourtant, difficile de ne pas prêter attention aux trous de balle qui les percent. C’est d’ici que la citerne d’Ahmer est approvisionnée chaque jour. Des camions chargés de grosses citernes remplies d’essence tournent en permanence entre les puits et les lieux de distillation plus proches des villages. Leurs chauffeurs font la ronde toute la journée à la recherche de checkpoints perdus en plein désert. Depuis peu, les islamistes d’ISIS et de Jabhat tiennent fermement l’accès aux puits et gardent les pipelines en leur possession, malgré les rappels à l’ordre de l’ASL. Ils ouvrent et ferment les vannes à leur convenance, raréfiant l’approvisionnement en pétrole brut afin de faire monter sa valeur. Les rencontrer est impossible. Lorsque l’ASL et les soldats de Jabhat se croisent, il est désormais fréquent que les deux factions se tirent dessus, en plein désert. Même s’il est presque impossible de connaître les chiffres réels, les locaux et mes contacts de l’ASL m’ont certifié que les revenus générés par chaque raffinerie étaient de l’ordre – au bas mot – de 200 euros par mois. Le nombre de cuves s’élevant quant à lui à 3 000, mes sources ont estimé que Jabhat al-Nosra, grâce à sa nouvelle entreprise d’extraction du pétrole, générait entre 800 000 et 1,3 million d’euros par an. Les profits peuvent sembler faibles en comparaison des records que battaient les géants de l’industrie pétrolière dans la région jusqu’alors, mais ce n’est qu’un début pour les nouveaux arrivants. Si Bachar al-Assad tombe, les factions soutenues par Al-Qaida comptent bien affirmer leur contrôle dans le désert. Ils seront libres de bâtir des raffineries d’une tout autre envergure. Leur objectif a de quoi déprimer toute la région : il s’agit d’un futur où l’argent du pétrole sera réinvesti dans la construction d’un État islamique, possiblement plus violent encore que l’actuelle dictature d’Assad.