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Music

James est le groupe le plus sous-estimé de l'Univers

La presse les considérait comme des « végétariens de gauche sous acide », Kurt Cobain a refusé de se faire masser par leur bassiste, et ils sont plus connus que le Pape en Grèce.

Il y a des groupes comme ça, qui ne seront jamais cools. Coldplay auront beau sampler Kraftwerk tant qu'ils veulent, ils resteront toujours une bande d'étudiants qui n'ont jamais eu besoin de remplir des dossiers de bourse, menés par un type persuadé qu'il peut mettre fin à la pauvreté dans le monde en s'alliant avec Bono. James, le groupe de Manchester à qui l'on doit, entre autres, « Sit Down », « Say Something » et « Come Home », n'ont jamais essayé de passer pour autre chose que ce qu'ils étaient : un groupe hétéroclite de mecs lambda qui essayait juste de faire une musique potable. Durant les années 80, la critique s'est enflammée pour leur folk-pop alternative, à la fois hyper ambitieuse et totalement addictive. Au début des années 90, ils ont été embarqués un peu malgré eux dans l'ouragan Madchester, ce qui leur a permis de vendre des tonnes de disques et d'entrer dans la catégorie musicale la plus craignos de l'Univers : celle des groupes indie capables de jouer dans des stades. Alors oui, ils sont devenus plus accessibles, plus chiants, plus lisses, mais méritaient-ils vraiment le retour de bâton dont ils ont été victimes ? S'ils avaient splitté plus tôt, ne seraient-ils pas considérés aujourd'hui comme des légendes, au même titre que New Order et les Happy Mondays ?

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« C'est typiquement anglais : on vous aime tant que vous ne savez pas vraiment ce que vous faites, me confie le guitariste Larry Gott. Quand vous êtes en équilibre instable, ça vous donne une image hyper authentique. Mais dès que vous commencez à maîtriser votre truc, vous perdez cette image, parce que les gens ont tout à coup l'impression que tout est beaucoup moins urgent, mieux dirigé, plus aseptisé. » Jim Glennie, bassiste et co-fondateur du groupe, estime, lui, que James n'a jamais rien fait pour rendre sa musique plus lisse et accessible, rappelant qu'encore aujourd'hui, le groupe reste motivé par « la peur, la peur de monter sur scène et que rien ne fonctionne comme prévu. Contrairement à beaucoup de groupes, on n'a jamais cherché à sécuriser nos prestations et à rendre nos concerts plus confortables. »

La prise de risques, c'est ce qui guide James depuis ses débuts. Le groupe s'est formé en 1982 dans le Moss Side, après que Paul Gilbertson, fan absolu de The Fall et Orange Juice (c'est lui qui a choisi le nom James, en hommage à James Kirk, le premier guitariste d'Orange Juice) ait persuadé Jim Glennie, un hooligan du quartier, d'apprendre à jouer de la basse. Âgés de 16 ans à peine, ils s'incrustent régulièrement aux soirées de la student union de l'Université de Manchester. « On passait par une fenêtre ou on demandait à quelqu'un de nous laisser entrer », raconte Jim. C'est là qu'ils remarquent Tim Booth, un étudiant qui danse de manière très bizarre au milieu de la foule. Tim : « J'étais originaire de Leeds, je venais d'arriver à l'Université où j'étais étudiant en art dramatique. Ces deux gamins m'ont regardé danser et ont essayer de me taper ma bière. Ils n'avaient que 16 ans, mais ils avaient l'air franchement flippants. »

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Après avoir accepté de laisser la bière de Tim tranquille, Jim et Paul lui proposent de venir répéter avec eux. « Je lui ai dit que, vu qu'il était étudiant, il pouvait peut-être nous aider avec les paroles », raconte Jim. Le lendemain, Tim se réveille avec le numéro de Paul griffonné au stylo sur le dos de la main. Il l'appelle et trace immédiatement à Withington, où les deux garçons répètent. Tim s'en souvient encore parfaitement : « La mémoire joue des tours, c'est un fait avéré, mais je me souviens toujours avec précision de cette journée. Une semaine plus tard, on faisait la première partie d'Orange Juice, et j'étais sur scène en train de danser et de jouer du tambourin, l'air terrifié. »

Très vite, Tim devient le chanteur du groupe : « Je n'avais jamais chanté de ma vie, ni écrit des paroles ou quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs. J'ai du rapidement écrire mes propres paroles, parce qu'au début, Paul et Jim me demandaient de chanter les leurs et qu'elles étaient franchement navrantes. Il y avait notament un morceau qui faisait : Les filles, c'est pas vraiment un souci, je suis plutôt beau gosse / Mais j'ai ce fantasme inassouvi, d'être violé par une femme. » En les aidant à se débarrasser de leurs lyrics proto-Kasabian, Tim fait peu à peu de James un groupe totalement à part, indéfinissable. À un de leurs premiers concerts, il monte sur scène et se contente de lire les paroles, d'une traite, ce qui incitera certains clubs à faire figurer sur leurs affiches la mention « not a poet » après le nom du groupe. Cet extrait d'un concert donné en 1982 à l'Hacienda devrait vous donner une idée de ce à quoi James ressemblait à ses débuts, de la dette qu'ils avaient alors envers Orange Juice, et du chemin qu'ils ont parcouru pour devenir le groupe de stades qu'on a connu par la suite. Et bien que Jim admet avoir à l'époque « une peur bleue » de Mark E. Smith, The Fall ont apporté à James un « soutien indéfectible » en leur proposant régulièrement leur première partie.

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Comme la plupart des groupes alternatifs des années 80, James est un groupe totalement DIY. « Aux tous débuts, se souvient Jim, on faisait avec ce qu'on avait. Je me rappelle d'un trajet à Oxford, dans une camionnette prêtée par une boucherie qui ne dépassait pas les 60 km/h, avec la batterie et tous les instruments, dans un froid atroce. On est arrivés tellement en retard ce soir-là qu'on a failli ne pas jouer. » Pour l'essence, Larry met à contribution la population locale en allant siphonner les voitures des quartiers résidentiels qu'ils traversent.

James, sur le toit du Piccadilly Hotel de Manchester, 1991

« James était un groupe de durs, un vrai groupe de Manchester, raconte Tim . Tout ce qu'on avait était soit emprunté, soit offert, soit volé. Le premier chanteur et le premier guitariste du groupe ont fini à la prison de Strangeways pour trafic de GHB. Paradoxalement, on a pas mal profité des années Thatcher, durant lesquelles il était possible, en truandant un peu, de toucher des aides à la création d'entreprise quand on jouait dans un groupe. Ça nous a pas mal aidés, parce qu'avec le chômage, on arrivait à s'en sortir, mais on était obligés de venir régulièrement pointer à Manchester, ce qui nous empêchait de tourner plus de quelques jours d'affilée. » Les aides à la création d'entreprise, mises en place pour faire baisser les chiffres du chômage au Royaume-Uni, ont permis à James de vivre de leur musique et de rendre, de fait, le groupe plus « professionnel », même s'il devait constamment jongler entre les pics d'activité, durant lesquelles ils étaient considérés, aux yeux de l'État, comme de jeunes entrepreneurs du Nord de l'Angleterre, et les périodes de disette, où ils étaient obligés d'aller pointer au chômage, en espérant que les affiches pour leurs concerts, placardées dans toute la ville, n'éveille pas les suspicions. Pour l'anecdote, c'est durant une de ces phases de planque au chômage forcé que le groupe décrochera sa première couverture du NME.

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Mais n'imaginez pas pour autant que les membres de James menaient la belle vie : leurs contrats successifs avec Factory, Sire et Rough Trade ne leur ont pas rapporté des fortunes, loin de là. « Durant les cinq premières années du groupe, on gagnait en gros 30 £ par semaine, c'est à dire exactement ce qu'on gagnait en pointant au chômage, raconte Tim. Au bout de cinq ans, ça a commencé à aller mieux, mais ce n'est qu'au bout de sept ans qu'on a vraiment commencé à se faire un peu d'argent. Avant ça, on vivait clairement dans les mêmes conditions que les chômeurs de notre âge. Mais on s'est accrochés, parce qu'on aimait ce qu'on faisait. » Un des tournants dans le parcours de James est survenu en 1985, quand les Smiths ont imposé à leur label, Rough Trade, la présence du groupe sur la tournée Meat Is Murder. James était un groupe important aux yeux de Johnny Marr et Morrissey : au moment de leur rencontre, le premier single de James faisait partie des disques qu'ils avaient en commun. C'était un peu l'équivalent pour les Smiths des disques de Muddy Waters et Chuck Berry que Mick Jagger tenait sous le bras quand il a rencontré Keith Richards. Comme The Fall, les Smiths ont, eux aussi, beaucoup soutenu James, et ont même repris un de leurs premiers morceaux, « What's the World ».

Tout au long des années 80, James a souffert de l'étiquette « végétariens de gauche sous acide » qui lui a colée le NME. Une image dont le groupe n'a jamais réussi à se défaire. Jim admet d'ailleurs qu'elle n'était pas si éloignée de la vérité : « À l'époque, on était vraiment une bande de hippies. Si quelqu'un avait mal à la tête, on ne lui donnait pas d'aspirine : on allumait un encens et on lui faisait un massage. J'en ai fait un à Morrissey pendant la tournée Meat Is Murder. Il m'a dit que ça l'avait complètement guéri, mais je pense qu'il a menti, par politesse. Quelques années plus tard, quand on est passés à Top Of The Pops avec Nirvana, Kurt Cobain était tellement stressé que je lui ai proposé un massage de la gorge. Mais il a refusé. »

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Parmi les nombreuses singularités de James, on pouvait également noter le fait qu'aucun des membres du groupe n'était autorisé à parler durant les répétitions, qui se résumaient à de longues séances d'improvisation. « On ne décrochait pas un mot, se souvient Tim. 4 ou 5 fois par semaine, pendant 4 ou 5 heures, on se retrouvait dans une pièce et on jouait, point barre. Ce n'est que quand Larry est arrivé, en 1984, qu'on a commencé à travailler davantage comme un groupe classique, à réfléchir à la structure des morceaux, etc. Parce que, contrairement à nous, Larry savait jouer. » « Mais je n'avais aucune notion de solfège, contiune Larry, je ne connaissais même pas le nom des accords ! Je ne connaissais rien. J'ai juste fait en sorte qu'on s'écoute un peu plus les uns les autres quand on jouait. Parce que, quand je suis arrivé, on aurait dit un atelier pour enfants. Il y en avait un qui jouait une ligne de basse de Michael Jackson, un autre le riff de « Smoke On The Water », et personne ne s'écoutait. »

C'est de ces séances d'improvisation que sont nés les premiers morceaux du groupe. Chaque répétition était enregistrée, après quoi le groupe isolait les meilleurs passages et essayait de créer quelque chose à partir de ces bases. Jim : « Il y avait en général 20 % de la répète à sauver, après quoi on bossait sur ce qu'on avait gardé. On se retrouvait ensuite avec des bandes sur lesquelles on faisait un nouveau tri. On en conservait généralement 40 % et on finalisait les morceaux à partir de là. À ce jour, aucun membre de James n'est arrivé en répétition avec une idée de riff ou une ligne de chant. On est restés fidèles à ce procédé. »

C'est de cette façon que le groupe a écrit ses plus gros hits, comme « Sit Down ». Larry : « C'est vraiment un morceau très, très simple. Il n'y a que trois accords : Si, La, Mi. Et ça tourne en boucle. » Tim s'est mis à improviser une mélodie de chant par-dessus et, après 20 minutes, le groupe s'est arrêté, pris de fou-rire. « Ça avait l'air tellement débile, raconte Jim. Ça sonnait comme un morceau composé pour l'Eurovision ou ce genre de merde. » À l'époque, le groupe arrivait à la fin de son contrat avec Sire et cherchait à retrouver la motivation de ses débuts. James a finalement gardé « Sit Down » et le titre s'est classé #2 des charts anglais.

James a sorti un album, La Petite Mort, écrit en Grèce où le groupe jouit d'une popularité aussi énorme qu'absurde. Checkez n'importe quel morceau de James sur YouTube : la section commentaires est composée aux deux-tiers de Grecs. On trouve d'ailleurs toute une floppée de reprises de James en Grec, comme cette version de « Say Something » par la légende 90's Filippos Pliatsikas. La raison de ce succès ? Personne ne le sait vraiment. James ont joué à Athènes juste avant leur séparation, en 2001, et, durant le laps de temps entre ce concert et leur reformation en 2007, le groupe est devenu énorme dans la République hellénique. Et ça résume assez bien la situation de ce groupe : les journalistes n'ont jamais su quoi faire, mais il y a toujours eu, et il y aura toujours, des gens pour les adorer.

Oscar est sur Twitter - @OscarRickettNow