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Music

Jacques, Flavien Berger et RBK Warrior sont une comédie musicale à eux tous seuls

Le trio improvisé donnera ce soir un concert unique à Marseille, dans le cadre du festival Actoral. Rencontre avant écoute intégrale.

​En 2017, Marseille sera Capitale Européenne du Sport. Ce qui placera la ville sous le régime dictatorial le plus autoritaire qui soit : celui des compétitions de Beach Volley et de Ju Jitsu brésilien. La loi de Murphy, dans sa déclinaison la plus violente, où le pire du Roller Soccer l'emportera, pendant un an, sur tout le reste*. Lorsque l'on sait ce qu'il est advenu de la culture en 2013 dans cette ville, on se dit qu'il ne reste plus qu'une poignée de mois pour profiter à fond des salles de concerts, cools festivals et musées, avant qu'il ne soient définitivement rayés de la carte municipale.

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L'occasion, entre autres, de passer sans frissonner les portes du Musée d'Art Contemporain de Marseille. À la rencontre de The Thrill is Gone, exposition** signée de main de jeune maître par Théo Mercier. Invité dans le cadre de l'excellent festival phocéen Actoral, le plasticien y présente ses collections d'objets issus de faux-passés, vestiges de civilisations imaginaires et fantasmées.

Forêts de range-cds, sculptures en équilibre, crâne de smilodon dans un pneu Pirelli, murs de masques de baseball… L'archéo-fiction de Théo est brandie comme autant des bombes à chiottes contre nos maux contemporains. L'exposition est drôle, épique. Et hybride : pour que la fête soit totale, l'artiste a invité trois de ses potes musiciens à composer une variations sonore de The Thrill is Gone. RBK Warrior aka Julia Lanoë – Sexy Sushi, Mansfield.TYA –, Flavien Berger et Jacques soufflent en coeur sur les braises marseillaises pour un home concept donné dans la nuit du jeudi 30 septembre, au Cabaret Aléatoire. En attendant l'écoute intégrale, on a rencontré le trio. Et parlé avec eux d'extinction humaine et du fun d'appartenir à une troupe de comédie musicale.

* les élus locaux parlent déjà de "transformer la Cité phocéenne en stade à ciel ouvert". Flanqué d'une bonne grève des éboueurs, le chaos devrait être total ici.

** présentée jusqu'au au 29 janvier 2017 au Musée d'Art Contemporain de Marseille. Donc vous faîtes tous trois feu sur Marseille ce soir en mode troupe de comédie musicale, quasiment…
RBK Warrior :On aime l'idée d'incarner, sur cette création, un pendant underground de la comédie Musicale, tendance Mogador. Théo, Flavien, Jacques et toute l'équipe… On fonctionne effectivement comme une petite troupe, une compagnie de théâtre décentrée, plus qu'une néo-formation musicale.

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Jacques : Moi, j'ai plus du tout l'habitude de bosser en groupe, je m'en rend compte à votre contact.

RBK Warrior : Ouais, tu nous dis toujours de la fermer [Rires]. Je taffe toujours en binôme, l'expérience du trio est une première pour moi.

Flavien Berger : On est dans une création à plusieurs mains, où chacun amène une matière qui est certes est la sienne, mais qui reste pertinente dans un contexte collectif. Chacun a préparé des éléments, de petits systèmes qu'on a ensuite assemblé en une espèce de confiote, de jams électroniques. Avec de larges parts d'improvisation, et beaucoup de réécoute. On pourrait croire que l'ensemble du geste est contraignant, alors que cette mise en commun s'opère de façon finalement très naturelle. Parmis le substrat des propositions initialement apparues, on a presque tout gardé. On part d'une exposition dont le titre est une chanson, d'amour qui plus est, la référence musicale s'est donc installée sans forcer.

RBK Warrior : On a écrit en se basant sur les histoires de Théo. C'est la première fois qu'on est lancés ensemble sur une collaboration aussi dense, aussi serrée avec les arts graphiques. Habituellement, on est plus appelés pour des formes en mouvement comme des scores de films ou des bandes-son de spectacles. Là, on est face à des visions.

Jacques : Tu vois, cette oeuvre avec une ammonite dans un pneu Good Year ? C'est un peu un des tubes de l'expo.

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Flavien Berger : La pièce des ranges-cd fait également écho à notre musique. Au contact de cette oeuvre,  on est clairement dans le vestige, la disparition d'une pratique. Nous serons la dernière génération à pouvoir expliquer son usage aux kids qui visiteront l'exposition.

RBK Warrior : On est dans un prolongement sonore de l'univers de Théo, dans la banlieue de son esprit. Pris entre son iconographie ainsi que les images de Jeremy pour le fanzine*. Dans un aller-retour, un dialogue continu.

Un fanzine ?
RBK Warrior : Ouais ! L'exposition et le concert vont également de pair avec l'édition d'un zine, une expérience éditoriale libre, signée par l'illustrateur Jérémy Piningre. Là aussi la création de l'objet aura été instinctive, brute et super inspirante pour notre concert.

Flavien Berger : Étrangement, le tout reste assez actuel, on ne réinvente pas notre musique dans cette créa. Les sonorités sont modernes. Même si Jacques fait pas mal le ménestrel. C'est un genre de fusion-acquisition de nous trois. Un mélange qui joue sur le bordel des émotions, pas mal de moments parlés, chantés, mais également les vides, des zones de flou voire de malaise, avec lesquels il est important de savoir s'amuser… Tenter des choses, se laisser aller au risque.

Jacques : L'exposition de Théo, c'est comme être dans une grande salle, au paradis, une fois que tout le monde est mort. Avec juste quelques personnes qui zonent dans ces vestiges de civilisation fantasmés en se disant : hey vous vous souvenez l'humanité, ça ressemblait à ça avant. On s'est bien marré quand même !

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Vous avez l'air sereins face à la fin du monde.
Flavien Berger : On est toujours l'âge sombre de l'époque précédente.

Jacques : L'annihilation de la planète par le capitalisme, j'y pense tous les deux jours donc me plonger dans le travail de Théo, c'est presque naturel. Et puis faire face à la fin du monde compte moins que la façon de t'y préparer, je trouve. Ou de placer cette fin dans un cycle plus vaste. Peut-être que cette fin que tu évoques n'est qu'une petite fin parmi plein d'autres fins. Certes ravageante à titre personnelle, mais infime au vu de l'histoire de l'humanité. La fin d'une chose, le début d'une autre. L'idée qui peut être intéressante ici, c'est comment dédramatiser ma propre mort, celle des autres. Être équanime avec tout ça nous rendrait plus impartial, moins affectés. Et c'est à ce moment-là que tu peux écrire, créer, t'exprimer dessus. Après tout, peut-être n'est-on qu'une minorité, une certaine partie de l'humanité qui se dit que c'est la fin du monde. Une minorité qui a décidé qu'elle mettrait tout son niveau de conscience sur le déclin.

Peut-être n'est-on que quelques-uns à se persuader du déclin de l'humanité. Et qu'on passe tout notre temps à en fournir frénétiquement les preuves. Je vois pas pourquoi le plastique ou le béton ne seraient pas sacrés. Pourquoi ces émanations ne seraient-elles pas belles ? Même si elles nous amènent à la fin de quelque chose.

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RBK Warrior : Autant Théo a dérapé dans l'optimisme avec cette exposition, autant je pense que notre concert sera dark.

Flavien Berger : Le fanzine de Jeremy est bad karma à mort lui aussi. Nous on est cools dans nos têtes, ça nous permet d'aller librement dans l'obscur. Mais sans cynisme. Pour le fun, parce qu'il faut qu'on apprenne à agencer autrement la sacré si l'on veut se défaire de la culpabilité dans laquelle notre génération est engluée.

L'obscur d'une époque sans époque justement…
Flavien Berger : Notre génération approche sûrement d'un point de rupture violent mais la séquence actuelle ne produit pas du nul, ni de vide.

Jacques : C'est précisément ça qui définit notre cycle. Le sentiment d'être vidé du sens de l'histoire. Ce sentiment de désincarnation, très fort, qui semble peser sur nos désirs. L'argent qui coûte de l'argent, les gens qui se voient à la télévision et rient d'eux-même. Nous aimons être dans cette zone. Elle est super riche.

Le Home-concept The Thrill is Gone sera disponible en écoute intégrale sur le site du festival Actoral, celui de Théo Mercier ainsi que les internets respectifs de Julia, Flavien et Jacques, où vous trouverez d'ailleurs beaucoup de musique en libre accès.

Théophile danse déjà sur les braises de Marseille. Il est sur Twitter.