Townes Van Zandt, folk, americana
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Music

Townes Van Zandt, l'homme qui n'était pas là

Le label Fat Possum vient de sortir un album d'inédits du chanteur et compositeur folk texan mort en 1997. Une occasion toujours bonne de redécouvrir le catalogue sublime d'un artiste qui n'aura injustement connu qu'un succès limité de son vivant.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

Dans Inside Llewyn Davis des frères Coen, le héros du film est un musicien de folk miséreux qui se perd dans les méandres du Greenwich Village du début des années 60 en tentant mollement d’y percer. Loser patenté qui ne finit pas de tourner en rond (littéralement, comme le suggère la boucle temporelle qui ouvre et clôt le film), le personnage incarné par Oscar Isaac se coltine en outre pendant toute la durée du film un chat qui s’appelle Ulysse, lequel semble, comme lui, sans cesse vouloir rentrer chez lui tout en se demandant où il est.

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Si le film des frères Coen ne s’inspire pas directement de Townes Van Zandt, la trajectoire de son anti-héros taciturne, mal aimable, qui se cogne obstinément contre la vitre du succès comme une mouche désorientée, peut rappeler par endroits cette figure de l’americana triste. Même si la carrière de Van Zandt a démarré quelques années plus tard, et bien plus loin, dans les contrées plus rurales du Texas, elle évoque également toutes celles des perdants plus ou moins magnifiques qui peuplent la psyché et la culture populaire américaine de la seconde moitié du XXe siècle - et auxquelles on s’accroche éternellement, nous aussi, comme des mouches.

Car au cinéma comme en littérature, et peut-être plus encore en musique, on recherche souvent un ami. Non pas nécessairement un grand frère que l’on tentera d’imiter, ni un double pour lequel on tentera un peu mécaniquement de trouver des points de symétrie, encore moins un guide spirituel qui nous montrera le chemin et que l’on suivra à l’aveugle. Plutôt un mélange de tout ça, mais pas tout à fait non plus : soit un miroir de nous-mêmes tout juste déformant pour aspirer la lumière pour nous, mais suffisamment précis dans ce qu’il nous dit et nous renvoie de nos propres blessures pour qu’on s’y arrête durablement.

Townes Van Zandt atteint cet équilibre dans l’identification et l’admiration de manière assez troublante. Lui dont les années d’alcoolisme et de drogue auront ponctué une carrière en dents de scie, laquelle se sera illustrée dans un auto sabordage permanent, il aura dans le même temps écrit les plus belles chansons qui puissent exister. Le tout de manière discrète, sans faire de vagues, ses morceaux agissant comme une éponge s’imprégnant de toute la tristesse du monde pour l’incarner à la fois pour nous, et avec nous.

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© Fat Possum

La musique de Townes Van Zandt a de ceci qu’elle est immédiate, d’une sécheresse et d’un cisèlement dans l’écriture qui lui donne l’air d’être toujours sur la brèche, toujours sur le point de rendre l’âme. Dans le documentaire Be Here to Love Me sorti en 2005 et réalisé par Margaret Brown, il y a une scène extraordinaire (extraite du documentaire Heartworn Highways tourné en 1975) où on le voit chanter seul à la guitare acoustique dans sa caravane à Austin. Un de ses vieux amis noir, Uncle Seymour Washington, se met à pleurer silencieusement à côté de lui. Pour autant la scène n'est pas lacrymale dans le sens où elle tente de nous extirper des larmes de manière obscène, mais fait plutôt montre d'une émotion brute, sans joliesse et même plutôt douloureuse à observer.

L'album inédit Sky Blue sorti par le label Fat Possum fin février pour fêter l’anniversaire de celui qui aurait eu 75 ans cette année rend compte de cet extrême dénuement, donnant à voir pour la première fois des morceaux « connus » de son répertoire (l’homme n’a jamais eu de hit à proprement parler) comme « Poncho & Lefty » ou « Silver Ships of Andilar » dans des versions sèches et décharnées, ou d’autres jamais sortis auparavant, tels « All I Need » et « Sky Blue ». Ils sont comme toujours peuplés de ces corps-fantômes, à l’image de leur narrateur, semi-vagabond devant l’éternel qui aura toute sa vie joué, selon ses propres mots, à « l'ermite misanthrope » (il vécut la majeure partie des années 70 de manière frugale dans un vieux cabanon) et qui décèdera en 1997 suite à une arythmie cardiaque causée par un sevrage violent effectué sans assistance médicale. Il aura donc fallu, pour lui comme pour bien d’autres, la mort pour redécouvrir tous les trésors.

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Cette trajectoire n’a rien de celle d’un martyr du rock un peu pénible, publicitaire et morbide, mais a plutôt à voir avec un art de l’effacement. Dans Be Here to Love Me, on l’y entend notamment déclarer : « I'd like to write songs that are so good nobody understands them, including me », comme s’il cherchait d’office à sortir lui-même du tableau, tout en éludant à moitié en rigolant la question de la figure de l’artiste maudit. Ce qui va un peu à rebours de l’image que l’on peut avoir d’ordinaire (moi en tout cas) du folkeux-type, qui personnellement m’évoque surtout un type d’âge mûr qui lampe bruyamment son café entre deux réflexions sentencieuses sur la vie, une jambe levée sur le perron, le regard plissé vers l’horizon.

La vie de Townes Van Zandt n’aura pas été exempte de tragique pour autant, bien au contraire. Bipolaire, doté d’une nature particulièrement instable dès son plus jeune âge selon sa famille et ses proches, il se jeta par exemple du quatrième étage d’un appartement lors d'une fête, « juste pour voir ce que ça faisait », et reçut des séances d’électrochocs au sortir de l’adolescence, lesquels effacèrent une grande partie de ses souvenirs d’enfance. Dès les premières minutes du documentaire Be Here to Love Me, on l’entend qui déclare, d’une voix déjà quasi d’outre-tombe : « Je ne pense pas que ma vie durera longtemps ». Pourtant, au contraire de bon nombre de ses congénères qui auront galéré toute leur vie, Van Zandt n’était pas prédisposé à vivre dans la misère. Né d’une famille de riches propriétaires texans dans les années 40, parait-il doté d’un Q.I de 170, très bon en sport et se destinant à devenir avocat, c'est l'écoute du vieux Lightnin' Hopkins à la radio lors d'un trajet en voiture qui le fit bifurquer brusquement. Comme si, du haut de sa grande carcasse de deux mètres, il ne visait déjà peut-être pas autre chose qu'à se retirer de toute forme d'obligation.

L'album Sky Blue de Townes Van Zandt est sorti le 7 mars sur Fat Possum.

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