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Music

Lil Yachty est-il le futur de la musique ?

Les adultes le détestent, les ados l'adorent et il incarne presque à lui seul le rap de 2017.

Le Musée d'Art Moderne de la ville de New York a été fondé en 1929. Sa mission : établir un dialogue entre l'académique et l'expérimental, tout en restant accessible à un large public. C'est précisément dans cette optique que le MoMa a organisé au printemps 2016 un show réunissant l'artiste multimédia Yung Jake, le DJ Sonny Digital et le jeune rappeur Lil Yachty. Durant les heures qui ont précédé le concert, on pouvait voir des hordes de gamins impatients vaper devant les tableaux d'Ellsworth Kelly. Quand le jeune rappeur d'Atlanta a finalement débarqué sur la scène improvisée en haut d'un escalier, la foule s'est jetée sur lui avec une telle violence, un tel enthousiasme, que la sécurité a dû tout annuler après quelques morceaux seulement.

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Comme son pote D.R.A.M., Lil Yachty est aujourd'hui un des nouveau piliers du rap US, mais plusieurs raisons —son manque de culture concernant l'histoire du « mouvement », son flow digne d'un élève d'école maternelle, sa coupe de cheveux insensée—font que la majorité des gens réduisent sa musique à une gaminerie débile tout juste bonne à snapper. Et le trolling de Yachty, qui a admis qu'il n'avait jamais écouté un titre de Notorious B.I.G. de sa vie et s'est fendu d'un morceau un poil taquin sur Hot 97, n'arrange pas franchement la situation. Mais ne tirez pas pour autant un trait définitif sur lui - vous le regretteriez amèrement. Son collègue Craig Jenkins le disait sur Twitter en décembre dernier : « On devrait remettre un prix spécial du jury à Lil Yachty pour sa capacité à irriter les fans les plus irritants sans rien faire de particulièrement irritant. » Les gens n'aiment pas le changement. Et Lil Yachty a du succès parce que sa musique représente un véritable défi esthétique et qu'elle induit des changements plutôt logiques, au final. Yachty a tout simplement rassemblé des tas d'idées qui flottaient dans le rap et dans la musique en général depuis quelques années, et les a emmenées au stade suivant.

Prise une par une, ces idées font de Lil Yachty non seulement un artiste fascinant mais aussi un véritable marqueur temporel. Il a tout simplement réuni trois concepts : 1/ le fait que les kids veulent juste du fun et de la positivité, comme le chantaient déjà il y a 30 ans Kim Wilde et Cyndi Lauper, 2/ le fait que le rap devient de plus en plus ambient et mélodique, et 3/ le fait que l'instrument le plus excitant de la musique contemporaine est le traitement digital de la voix (si vous en doutez encore, réécoutez Kanye West, Frank Ocean ou Bon Iver, ils le font tous depuis des années). Yachty a réuni ces 3 éléments sur son premier album, Lil Boat, sorti en mars 2016. Sur l'intro, il sample Le Monde de Nemo, nous montrant les deux facettes de sa personnalité fantasque, avant de les relier par un long « helloooooooooooooooooooo » qui s'efface derrière le beat pour devenir le centre névralgique du morceau. C'est maladroit, mais sincère - deux qualités qui manquent cruellement dans la musique d'aujourd'hui. La musique de Lil Yachty est ludique dans une ère où l'on rabâche aux gens—et particulièrement aux kids noirs—qu'ils sont irresponsables.

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Même si la face la plus agressive de Yachty transparait sur Lil Boat, et qu'il exploite les tropismes du rap pour se maintenir dans le game, c'est son côté smooth et l'influence du producteur thegoodperry (et sa trap bubblegum) qui fournissement les idées les plus remarquables de sa mixture (la « boat music », comme l'appelle son manager Coach K). Écoutez donc « Run/Running », qui sample un vieux jeu de Nintendo et se fond ensuite dans un nuage d'éther tellement à mille lieues du monde du « rap » que le morceau pourrait incarner un side-project à lui tout seul. Ecoutez le vertigineux « Why (Interlude) » où Yachty semble découvrir de nouvelles notes sur Terre, mais aussi de nouvelles étoiles dans la galaxie. Sur Summer Songs 2, « Such Ease » pioche allègrement dans les mélodies de l'indie pop suédoise, et élève Yachty encore un peu plus haut au-dessus du rap traditionnel. Vous vous souvenez de jj ? Ou quand Drake rappait sur du Lykke Li et du Peter Bjorn and John ? Internet nous avait promis une collusion esthétique qui allait changer le monde; la musique de Lil Yachty est la réalisation de cette promesse.

Autre chose : Lil Yachty est incroyablement doux, ce qui est rare, voire inexistant, dans le rap. Le meilleur titre de Summer Songs 2 s'intitule « Pretty », un morceau dream pop dont le refrain fait « I stroll through cities / gang ain't stay with me / but never have I seen someone so pretty / like you / every dream I seem to have / is always 'bout you. » C'est simple, tendre, et ça se rapproche plus d'un morceau des Beatles que de Rae Sremmurd. Ça parle d'une fille ok, mais une fille vue par le prisme indie rock. Burberry Perry glisse ensuite un couplet avec le passage suivant : « want you there every morning to tie my ties / 'cause being with you is like being on a wild roller coaster ride. » Le romantisme rap n'a jamais été aussi vulnérable et attachant.

« King of Teens », la chanson de Lil Yachty que j'écoute en boucle en ce moment est un autre exemple de son ambivalence sérieux/stupide, gimmick évident mais qui fonctionne toujours à merveille. On dirait la B.O. d'un dessin animé dont le pitch se résumerait à une phrase : « Je suis le roi des ados et je nique tout ». « Parents mad at my ass 'cause they kids sing my song in class / whoa-oh well » chantonne Yachty. S'il est impossible de dire à quoi ressemblera la musique du futur, une chose est en tout cas certaine : elle fera chier les parents. Et à cet instant très précis, elle prend les formes d'une fusion inédite entre pop ambient, brumeuse et flottante, et trap ultra-colorée. D'autres artistes sont d'ailleurs en train d'emprunter cette voie—le dernier single de Wale et Lil Wayne, « Running Back » s'en rapproche énormément. En dressant un pont entre rap et pop conventionnelle (notamment avec Charli XCX et Carly Rae Jepsen - qui plus est dans une pub pour les hypermarchés Target : difficile de faire plus mainstream), Yachty s'impose doucement mais sûrement comme le futur de la musique. Et très franchement, il n'y a pas de quoi se plaindre. Au contraire, on devrait se réjouir de voir que le futur est à ce point drôle et innovant.

Kyle Kramer n'est plus un ado, mais pas tout à fait un adulte non plus. Il est sur Twitter.