Les boys bands sont-ils définitivement morts et enterrés ?

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Les boys bands sont-ils définitivement morts et enterrés ?

Peter Robinson a mené l'enquête afin de savoir si le concept de cinq mecs complices et en totale harmonie avait disparu en même temps que One Direction.

Les boys bands sont fascinants. Prenez par exemple « I Want It That Way » des Backstreet Boys ; il faut vraiment être doublement mort pour ne pas être soufflé par l'envol majestueux du dernier refrain et son changement de ton. Ou ce moment où 5ive ont inopinément sorti, sur un de leurs albums, leur propre version du thème de Battlestar Galactica? De la pop en or massif, pas vrai ? Et puis cette image, éternelle, de *NSYNC en marionnettes – fascinant.

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Il a été largement prouvé – par le biais du grand observatoire de l'Histoire – que les boys bands on exercé une influence quasi totale sur les vastes plaines de la culture adolescente. Mais le temps, comme toujours, a passé. Les lacs se sont asséchés ; les grands immeubles ont été rasés ; et la culture a continué son chemin, vers de nouveaux horizons. Lointains sont les jours où East 17 passaient torse-nus sur le plateau de Top Of The Pops, autour d'un piano à queue ; où Boyz II Men squattaient les charts pendant 17 semaines ; et où 5ive vous expliquaient ce qu'il se passe lorsqu'on éteint la lumière, d'une manière toutefois acceptable pour les radios mainstream. Tout ce qu'il nous reste aujourd'hui, ce sont des concerts clairsemés de The Vamps dans des centre commerciaux londoniens.

Il est difficile d'imaginer comment un nouveau boys band pourrait réussir à percer à l'heure qu'il est, mais on disait la même chose en 2008, juste avant que JLS ne fassent leur apparition. Depuis, la BBC a confié à Gary Barlow la tâche de dénicher un nouveau boys band taillé pour le prime time, Zayn Malik est producteur exécutif d'une série NBC inspirée de sa vie, et même le label de One Direction, Syco, est à un stade avancé du développement d'un tout nouveau boys band aux États-Unis, calqué sur *NSYNC. Les plans sont en route – mais ça ne sera pas évident.

En Angleterre, 2006 fut une année sombre pour la pop. L'année de la faillite du magazine Smash Hits, du retrait de l'antenne de Top Of The Pops, et de la fin abrupte du programme CD:UK. De bien des manières, l'effondrement d'institutions comme celles-ci, qui représentaient beaucoup à une certaine époque, a accéléré la disparition d'un genre particulier de pop-stars. Mais alors que ces portes se fermaient bruyamment, d'autres venaient à s'ouvrir : 2006 fut aussi l'année du décollage de YouTube, de la fondation de Twitter et de l'ouverture au public de Facebook. Dix ans plus tard, les conséquences de ce changement radical sont claires : les mélomanes de tout âge, mais les ados en particulier, sont beaucoup plus susceptibles de trouver eux-mêmes la musique dont il veulent tomber amoureux, et beaucoup moins de supporter qu'on leur fourgue de force de nouveaux artistes, craignos ou pas.

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Depuis 2006, les seuls boys band britanniques à avoir remporté un succès dévastateur ont été One Direction, JLS et The Wanted. One Direction et JLS sont tout deux sortis de l'émission X Factor, alors que The Wanted ont été lancés grâce au soutien de Global, conglomérat de stations de radio comme Capital, qui développe aussi des groupes comme, hmm, The Wanted.

Avant 2006, si l'on disposait d'un public captif, d'apparitions télé intelligentes et des couvertures des bons magazines, il était encore possible de lancer un boys band à partir de rien. Mais si ceci n'est plus possible, et que les fans traditionnels des boys bands deviennent aussi fous devant Ed Sheeran qu'ils ne l'étaient devant JLS, l'idée même de ces groupes est elle seulement pertinente dans le paysage pop post-One Direction ?

« 'Pertinent' est un mot extrêmement irritant et frustrant » commente Simon Jones, mega-promoteur musical ayant travaillé avec One Direction à partir de « What Makes You Beautiful », jusqu'à leur « hiatus » indéfini. « Je travaille dans les RP depuis bientôt vingt ans, et la majeure partie de ce temps a été consacrée à de la pop qu'on ne considérait pas comme 'pertinente', mais qui a pourtant écoulé des millions de disques. La meilleure pop fournit un bon produit qui parvient d'une certaine façon, à saisir l'imagination du public acheteur – jamais il n'était question d'être 'pertinent', ou d'être soutenu par les prescripteurs de tendances. »

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Quand on considère le nombre d'artistes dont la carrière a été lancée par des événements soumis au vote de l'industrie elle-même, comme les Brits Critics Choice, les sondages de la BBC, ou le solide cadre de lancement que Radio 1 représente, autant pour les chanteurs grime que les songwriters sensibles, il semble clair que les choses ne sont plus vraiment faites pour accueillir les boys bands. L'expérience tentée par Apple avec Beats 1, une radio dont la vocation est de diffuser non-stop de la musique spécialisée, n'est pas vraiment du genre à fournir au monde le nouveau Take That.

Peut-être que le meilleur moyen est justement de ne pas se comporter en boys band. À la fin de l'année dernière, WSTRN a sorti un énorme hit, « In2 », une bombe prête à l'emploi sonnant exactement comme le genre de morceau qu'on choisirait pour lancer un boys band. Et figurez-vous que l'un de ses membres, Akelle, a mentionné son inquiétude initiale quant à l'idée de rejoindre un groupe qu'on pouvait considérer comme tel.

Ce n'est pas comme ça que WSTRN se sont vendus : ils formaientun « collectif ». C'est Alec Boateng, D.A. chez Atlantic, qui les a signés – que certains connaissent aussi sous le nom de Twin B. « Si je leur avais annoncé que j'envisageais leur groupe comme un boys band, la réaction n'aurait pas été positive » note-t-il. « Je n'utilisais jamais ce terme, parce qu'il constituait un blocage chez eux. Le mot clé était 'collectif'. Je pense que dans leur esprit – et je pense qu'ils ont raison –, ils sont simplement des individus qui se sont rencontrés, et réunis, pour faire de la musique. »

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Sous l'étiquette de collectif plutôt que celle de boys band, WSTRN ont pu surfer sans peine sur les ondes de 1Xtra et Radio 1, ce qui n'aurait même pas été envisageable pour le potentiel sixième album de One Direction. « La seule façon de s'attirer la faveur de la radio nationale, c'est avec les émissions spécialisées, et n'essaies même pas de les approcher avec un boys band… » témoigne George Williams, programmateur radio. « Pour que Radio 1 prenne un nouveau boys band au sérieux, il faudrait qu'il y ait un engouement spectaculaire sur les réseaux sociaux. Et il faudrait qu'on puisse s'appuyer sur un gros travail de fond de la part des équipes en charge des réseaux sociaux avant de se lancer. »

Un vrai « Catch 22 » – en plus d'être un potentiel nom de boys band : les médias ne sont prêts à soutenir les boys bands qu'à partir du moment où ils sont déjà gros. Malcolm Mackenzie est l'éditeur du mensuel We Love Pop, le magazine qui se rapproche le plus de Smash Hits dans les rayons des kiosques britanniques. Quand on lui demande s'il serait prêt à mettre le nouveau boys band de Syco en couverture, il répond simplement : « Non. Pas tout de suite. Il faudrait d'abord que les lecteurs sachent qui ils sont, et qu'ils les aiment déjà. Pour être en couv, le groupe devrait déjà avoir un single classé numéro un. »

Il ajoute qu'il a trouvé intéressant de voir 21 Pilots se classer dans un récent sondage des lecteurs, et quiconque a vu The 1975 en live est bien conscient que le public adolescent sait encore  découvrir de la musique excitante. Mais ils sont cependant nombreux à ne plus dû tout être enthousiasmés par les pop stars. Et, alors que les boys band ont toujours quelque chose à vendre – des billets à 100 balles pour une brève apparition sur scène, des t-shirts à 40 balles qui en coûtent 5 à produire, des albums et des singles hors de prix, pour lesquels n'importe qui d'un tant soi peu sensé ne paierait pas – on peut trouver autant d'autres garçons avec des chevelures tout aussi ébouriffantes sur YouTube. Le contenu fourni par les YouTubers est gratuit, généreux, et dégage un sentiment d'intimité. « J'ai le sentiment » poursuit George Williams, « que les boys band ont été remplacés par les stars de YouTube. »

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En effet, la cover girl star du moment n'a rien d'une popstar : c'est Zoella, dont Malcolm Mackenzie dit qu'elle obtient des résultats deux fois plus élevés que qui que ce soit dès que son magazine mène une enquête auprès de ses lecteurs. Les boys band britanniques de seconde catégorie comme The Vamps, Rixton et Lawson se sont littéralement fait éclipser, il n'y en a pas eu un  seul en couverture depuis One Direction. « Et ça » ajoute-t-il, « c'était il y a des années. Ils ont arrêté d'être vendeurs. Le début d'un phénomène, c'est quand tu vends les posters, les T-shirts, la literie. Au bout de quatre ans à voir un poster se déliter sur son mur, le fan finit juste par en avoir marre. »

Pour Mackenzie, les YouTubers ont possiblement étanché la soif d'idoles de cette génération. « Tous les gosses ont besoin d'être obsédés par quelque chose quand ils grandissent » remarque-t-il. « Mais en ce moment, ce n'est pas vraiment la pop music qui s'en charge. Ce ne serait pas génial si on arrivait à réconcilier les deux mondes ? S'il existait un vrai boys band YouTube ? Ce serait phénoménal. »

Contrairement aux années 90, en 2016, les fans voient tout : un boys band doit être à la hauteur de la meilleure musique, tous genres confondus. Mais il ne s'agit pas seulement de satisfaire des fans plus exigeants. « Les artistes en général se sentent plus investis de nos jours » suggère Aaron Buckingham, qui s'occupe de la recherche d'artistes et du management chez Global, et a lancé le groupe Lawson. Buckingham a assisté à ce phénomène de l'extérieur et de l'intérieur : au milieu des années 2000, il faisait partie du boys band britannique V. Leur management évoluait déjà dans les hautes sphères.

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« Les jeunes chanteurs actuel ont le modèle de Beyoncé et Lady Gaga sous les yeux » ajoute-t-il, « et ils entendent les artistes taper sur leur management, sur les labels, et dirent des trucs comme 'Faites ce que vous voulez faire, défendez vos idéaux'. Les membres des boys band actuels ne se sentent plus chanceux d'être là où ils sont – alors qu'à mon époque, c'est ce qu'on ressentait tous. Le message que la prod nous mettait dans la tête, c'était : c'est une opportunité énorme, n'importe qui tuerait pour être à votre place, fermez-là. J'étais tout le temps parano qu'on nous dégage à tout moment. » Il rit. « Et puis c'est arrivé. »

Quant à savoir s'il est trop tôt pour lancer un nouveau boys band – alors que le monde pleure encore One Direction –, Aaron n'en est pas vraiment sûr. Mais il ajoute que si l'on prend en compte le temps qu'il faut pour trouver les bonnes personnes, puis les bonnes chansons, deux ans peuvent passer. Et à ce moment-là, il pourrait y avoir un créneau à prendre.

Certains sont déjà sur la brèche. Il y a le boys band monté par Syco, par exemple. Et un autre groupe américain, Citizen Four, a déjà fait son pré-lancement. Le projet a été monté par Tim Byrne, grand manitou aguerri de la pop, déjà derrière Steps dans les années 90, puis A1. Entre-temps, Byrne a passé une décennie à travailler chez Syco, où il a collaboré avec One Direction depuis leurs débuts, et où il était responsable créatif pour X Factor dans 41 pays et pour la franchise Got Talent dans 65 pays. Depuis qu'il a démissionné de chez Syco, il collabore avec Island Records sur le projet Citizen Four.

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« On a commencé il y a un an, avant que One Direction annonce leur séparation » explique Byrne. « Mais on pressentait que One Direction s'approchait de la fin, et on a vu le grand vide qui allait apparaître au sein du marché, particulièrement en Amérique. »

Selon lui, les attentes sont plus fortes que jamais dans le domaine de la pop. « Quand je faisais les auditions pour Steps, tu pouvais voir entrer des gens avec très peu d'expérience, mais il était possible de les réunir dans un groupe, et de les modeler » se souvient-il. « C'est différent aujourd'hui. Et j'écoute beaucoup plus les artistes qu'avant. À l'époque, c'était surtout nous, les managers et les dirigeants des labels, qui décidions de tout. En 2016, il faut les écouter et les impliquer dans le processus. Il faut leur donner l'espace nécessaire pour être de vrais artistes. »

Citizen Four ont fait leur apparition plus tôt cette année, et ont consacré leur temps à faire monter la sauce sur les réseau sociaux. Byrne les a associés à une star des réseaux pour une vidéo YouTube qui a engrangé deux millions de vues sans forcer ; un morceau promotionnel a été lancé sur Spotify et totalise plus de 100 000 écoutes. La musique, Byrne y tient, est d'une importance capitale. « Je ne m'attendais pas à ce que 'Cold' marche si bien, mais je continue à vouloir faire grossir les choses au maximum avant la vraie impulsion », explique-t-il. « Au tout début, le morceau est plus important que le groupe. Et une fois que tu as un morceau qui cartonne, alors là, tu peux avoir un groupe qui cartonne. Sans 'What Makes You Beautiful', One Direction ne seraient pas devenus aussi gros. »

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Alors, Citizen Four ou le boys band de Syco auront-ils une chance de marcher en 2017 ? George Williams, de Hart Media, pense que oui. « Il y a tellement de variables qui entrent en jeu, mais si le contenu est vraiment bon et que les mecs sont jeunes, beaux, et qu'il y a beaucoup d'argent derrière, je dirais qu'il n'y a pas de raison que ça ne marche pas, comme ça a été le cas jusqu'à présent. »

Tout en manifestant une absence flagrante d'excitation, Twin y voit aussi du potentiel. « Si tu as le single et le bon groupe derrière, ça peut le faire » concède-t-il. « On pourrait avoir un début de quelque chose. J'ai déjà eu des conversations, des appels téléphoniques, avec des managers qui m'ont dit 'J'ai trouvé le blanc, j'ai trouvé le métis, j'ai trouvé celui qui va se mettre torse nu, j'ai trouvé le black. Il nous manque plus que les chansons.' Et moi je suis là :'OK… cool. Bonne chance'. »

Et la bonne nouvelle, ajoute l'attaché de presse Simon Jones, c'est que même s'il est peut-être plus difficile pour un boys band de faire son trou sans un soutien dingue des réseaux sociaux, si le groupe est bon et qu'il bénéficie d'un élan suffisant, il leur reste toujours d'autres espace de promotion. « Il y a encore MTV, la page 'Bizarre' du Sun, les programmes télé de journée, les stations de radio régionales et les grosses machines comme X Factor, Capital et VEVO. Ils ne se soucient pas énormément de la crédibilité. »

Et quand les groupes prennent de l'ampleur, il peut être surprenant de voir qui se manifeste tout d'un coup pour avoir des artistes qu'ils n'ont pas contribué à lancer…

« Même la plateforme la plus trendy a besoin de clics et de visites… » conclue Jones. « Tout le monde finira par succomber. »

(Illustration - Esme Blegvad)