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Music

Sch, en toute sérénité

Le type est tellement sur un nuage qu'il peut même se permettre de sortir un album-concept en 2018 sur son propre label et d'être disque d'or dans la foulée.
Sch, interview, rap français
Pochette de l'album JVLIVS (2018)

Cette semaine, Sch a reçu une nouvelle certification avec un disque d’or pour l’album JVLIVS, qu’il est en train de défendre sur scène dans toute la France, avec comme points d’orgue l’Olympia et, forcément, le Dôme de Marseille. Sortir un album-concept en 2018, le pari était risqué, même pour une tête d’affiche. À présent la pression est retombée. L’artiste peut prendre le recul nécessaire sur la création et la réception de son dernier disque, mais aussi sur la perception du public en général et l’influence qu’elle a sur lui, en passant par son évolution, ses envies, sa vision de l’avenir et les vraies raisons qui, contrairement à ses précédents projets, lui permettent de travailler désormais à la coule sans souci superflu.

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Et pis on a aussi parlé de certaines erreurs de jeunesse, notamment au niveau capillaire.

Tu m'avais dit que tu anticipais un peu l'accueil de cet album. Satisfait ?
Je suis rassuré. La critique générale est bonne donc ça va. C'est vrai que t'avais ce diktat de la première semaine, mais tout s'est bien passé. Après, ma première appréhension, elle était pas sur les chiffres. Je me demandais si ça allait être compris, si c'était pas en faire trop de sortir un album concept. Là c'est bon, je sais que sur les deux prochains volets je vais m'amuser.

Le nom de ton label « Maison Baron Rouge », c’est bien en référence à l’aviateur ?
Ça fait référence au pilote d'avion et forcément il y a la connotation allemande. Mais au niveau du nom c'est à la fois super allemand et super français parce que ça sonne comme un nom de grand cru. Ca me rappelle aussi le luxe, Maison Martin Margiella. Mais ouais à la base ça vient de la légende du pilote d'aviation, palmarès de fou, invaincu, etc.

Il arrive que des gens disent : « Sch on comprend pas tout ce qu'il dit mais on aime sa musique ». D’un côté c’est flatteur mais je me demandais comment tu le prenais.
C'est chiant. Si je m'entraîne à poser avec un stylo dans la bouche c'est bien parce que je sais que je suis loin d'être le meilleur niveau diction, donc il faut que je travaille l'articulation. J'essaie de faire au mieux. Là il y a des morceaux comme « Ivresse & Hennessy », tu l'écoutes pas mixé, c'est des phases avec des mots imbriqués les uns aux autres quand ça s'enchaîne, ça rend la compréhension plus difficile. Ca me fait chier parce que ça peut complètement transformer les phases où tu te dis « là j'ai dit ce que je voulais » en truc complètement bizarres. C'est pour ça que j'ai corrigé moi-même mes textes sur Genius, je te jure. Sur ce projet j'avais vraiment envie d'être compris, et c'est relou quand on perd le sens, c'est comme une mauvaise traduction.

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C’est vrai que je suis à peu près sûr d’avoir vu quelqu’un backer « j'ai vécu des drames et j’ai pas hurlé » en « j'ai perdu des dents et j’ai pas hurlé », c’était un délire.
Ouais… J'en ai perdues, mais voilà quoi [Rires] J'ai jamais écrit ça et c'est clair que ça perd du sens. C'est ce qui me fait le plus chier, en vrai.

D’un autre côté ce jeu sur l’articulation fait aussi partie de ton interprétation : certains passages, en terme de flow, et même certaines rimes reposent entièrement sur ça.
Exact. Y'a des trucs, comme les cainris tu vois, c'est pas forcément de l'argot mais les syllabes sont mâchées, et ça amène un truc, un style, un groove je trouve, que tu n'as pas dans les phrases « trop » bien articulées. Si je dis [Il articule toutes les syllabes, NDLR] « Ma reum a sa Skydweller / Un grand verre de sky miel », si je le lis comme ça, ça annule tout, c'est clair. Tout ce qui est allitérations et assonances, ça repose beaucoup sur ça.

On a beaucoup dit que c’était ton album le plus perso, mais souvent l’introspection est carrément noyée dans le côté fictif et l’univers mafieux.
[Rires] C'est clair que je vais pas faire de morceau directement introspectif. Après, c'est pas mon album le plus personnel comme plein de gens l'ont dit. Je veux dire, il est personnel et introspectif sur certains aspects, c'est vrai, mais tous les autres albums l'étaient au même titre, Fusil sur A7 c'était ça, je pense à « La Nuit » sur Deo Favente. Je me livre sur tous mes projets, et là j'avais d'autres choses à raconter, je pense que c'est ça. Comme tu l'as dit, je veux pas rentrer dans un truc où l'auditeur se dit à la fin « putain il a une vie de merde, il me fait trop de la peine ». C'est pas le but. Mais c'est bien de mettre des petites allusions à cette réalité au milieu de morceaux qui sont dans une autre ambiance, ça passe bien.

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C'est ton album le plus maîtrisé, et ce qui est marrant c’est qu’après tes premiers tubes on te comparait parfois à Young Thug, et là certains pensent à Rick Ross pour l’univers mafia, ça te parle ?
Ouais j'accepte cette comparaison, pourquoi pas. Je suis d'accord sur le côté plus maîtrisé. Dans Deo Favente j'ai touché à plein de trucs, je suis parti dans plein de directions, des trucs à la 21 Savage, parfois des intonations que je maîtrisais pas. On voyait l'envie d'y toucher, mais là on voit l'envie de maîtriser, j'espère. Ca ouvre encore le champ des possibles. Aujourd'hui je travaille sur 5 voix, je peux m'amuser encore plus.

Cette maîtrise vient des conditions de travail ? Tu as ton propre label, tu as bossé avec Guilty [Proche de Sch et tête du crew de beatmakers Katrina Squad, NDLR], ça t’a aidé à y voir plus clair ?
Je suis moins parasité en vrai. Tu sais, j'en parle pas forcément mais moi j'étais avec un producteur qui m'a essoré. Quand tu sors d'un succès comme A7, t'es partout à la télé, partout à la radio, dans la rue on t'écoute, mais tu regardes tes poches et tu vois rien… Mon esprit travaille. Et être lésé, ça nuit à la musique. Ça je l'ai vécu sur Anarchie et Deo Favente aussi. Dans ma tête je me disais « mais qu'est-ce qui se passe ». Aujourd'hui j'ai plus ce tracas.

Tu peux travailler sereinement.
Je me dis que ça va aller, je le fais avec plus de cœur parce qu'au final je me dis que je serai pas lésé. C'est malheureux de vivre ça, même si ça crée du bagage dans le sens où c'est pas demain que je vais me refaire avoir… Mais c'est malheureux parce qu'au début je faisais pas de la musique pour faire du fric, je le faisais par passion. A7 je l'aurais chié quand même, sans que personne me parle d'oseille. Mais je me suis rendu compte que ça m'a terni au final. Je pense que j'ai été beaucoup parasité par ça, c'est sûr.

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La première fois qu’on s’est vus tu m’avais dit que tu aimais te sentir habité pour faire de la musique, j’imagine que c’est moins le cas maintenant.
À mort. Je me suis moins égaré dans ça même si je bois pas mal pour écrire. Mais un morceau comme « Otto », j'ai ni bu ni fumé, enfin j'étais à la clope quoi. Pour moins s'éparpiller c'est mieux. Dès que tu bois c'est vite un puzzle de mots et de pensées, sans l'alcool c'est plus simple pour cibler. Moi ce qui me retenait d'arrêter de fumer c'était que je croyais que j'en avais besoin et sans ça je savais pas comment je ferais.

Tu pensais que tu allais perdre un truc.

C'est ça. Malheureusement ou heureusement pour moi, pour des raisons médicales j'ai dû arrêter. Au final je me dis que j'aurais dû stopper y'a bien plus longtemps que ça. Ça m'enlève rien, ça m'empêche pas de dormir, rien. Au début c'était moins évident mais voilà. C'était des conneries de croire que ça me gênerait dans ma musique.

D’ailleurs l’arrêt du shit t’a fait quitter la team skinny.
Je crois que ça explique en majeure partie, mais j'ai plus d'appétit en fait. Je pensais que le shit me faisait manger mais en vrai ça creuse l'estomac plus qu'autre chose, ça ronge quoi, ça bouffe ce que tu manges. Mais je pense que c'est un tout : depuis que je suis mieux professionnellement, je mange mieux, je fais plus de sport, je prends plus à coeur des choses plus importantes que « est-ce que l'argent va tomber », je suis moins anxieux, je fais ma musique à plein temps. C'est un tout, en vrai, avant j'étais pas bien.

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D’ailleurs tu as toujours ce petit côté raffinement dans l'insulte : « Je plante Excalibur dans leurs seufs », ce genre là.
Ouais ! On est en France et je pense qu'avec tout le lexique à disposition, il y a des manières d'insulter quelqu'un en finesse. Tu regardes les talk-shows, ils s'envoient de ces pics, c'est un truc de ouf. Qui va être le plus sale avec les mots les plus doux ? C'est un challenge ! J'excelle pas encore dans ce domaine, parce que dire aux gens de se passer de la crème rectale c'est pas super fin, mais je suis en quête de ça et je vais arriver à toucher du doigt des trucs de fou je pense. [Sourire]

Toucher du doigt c’est le mot. Il y a aussi le côté gothique, mais par plus petites touches, même si ça reste là, comme le « chien à 3 têtes sans la laisse ».
Bah ouais, chien des enfers, gardien de la porte des enfers. Ça fait partie de l'univers SCH, je suis quand même très imprimé de ça. Au début les gens savaient pas trop si j'étais un gothique, un rockeur qui a loupé sa carrière ou quoi. Du coup j'aime garder cette empreinte : tous ces trucs un peu occultes m'inspirent beaucoup. Quand j'étais petit j'étais un bousillé de ça, j'allais sur Youtube chercher les théories du complot, etc. Ça m'a pas mal inspiré, je me questionnais sur ça et je préférais me poser devant ces vidéos que devant auto-moto, tu vois ? Tous ces trucs, projet Blue Beam, les projections astrales et tout, de 14 à 17 ans, ça nourrissait un petit peu mon inspi. Ca m'intéresse toujours mais plus au même niveau. À l'époque j'étais persuadé que tous les rappeurs étaient des illuminatis quand même.

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C'était avant de percer quoi.
Voilà [Rires]. Du coup, qui mieux que moi pour avoir du recul là-dessus. Quand je vois le même style de commentaires sur moi aujourd'hui, je suis mort de rire. « Eh les frères, à ce moment là du clip il fait un signe mystique qui veut dire ça », ces mecs sont tarés.

« Ma faim a tué ma paresse » : vu que tu es carrément sur une trilogie, j’imagine que tu carbures en ce moment.
Déjà sorti de quoi je suis sorti, je pouvais pas me dire que je suis bien assis et lever le pied. C'est la faim qui m'empêche de me reposer sur mes lauriers. Là concrètement si j'arrête je vais ouvrir une épicerie, mais moi je veux un centre commercial entier, façon de parler. Et ça m'intéresse trop d'amener des nouveaux concepts, en terme de morceaux et même d'image. A7 est une chose dont je suis fier mais on m'a beaucoup limité à ça et j'avais pas l'impression de me renouveler assez.

Tu ne veux pas décliner la même formule à l’infini.
Voilà, là j'ai juste envie d'amener des trucs nouveaux. Tu sais après le succès devient une drogue aussi. Tu revivras jamais les sensations de ton premier succès, d'autant que la vie d'artiste est faite de hauts et de bas. Sauf que c'est addictif, je veux tout le temps retrouver ce premier succès, et pour ça il faut que je m'inscrive dans la durée. Chose que je n'ai pas faite avec Anarchie et Deo Favente. Et maintenant je suis torturé par ça, ça me manque. D'où mon envie de nouveauté.

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Il y a un côté presque revanchard dans l’album, tu t’en es rendu compte ?
Bah ouais, quand je dis que je reprends le terrain, ça reste du sport, de l'egotrip bon enfant, mais si je mets mon côté rappeur dans l'assiette, oui y'a un peu d'animosité. Ça reste de la musique, je suis anti-clash et tout. Des fois je reçois des pics de tierces personnes et je réponds pas, et pareil pour les petits photoshoppeurs qui créent des faux tweets pour faire monter un truc en attendant une réponse de moi, ou que ça s'envenime entre moi et d'autres rappeurs, je réponds jamais. Ça m'intéresse pas. Par contre la musique répond à la musique, mais sans rentrer dans du clash à la « AC Milan », parce qu'au final je trouve que ça ternit beaucoup. Mais balancer des pics est devenu coutume, donc ok, piquons, mais pour moi c'est rien, ça va pas plus loin.

Il y a ça, et il y a aussi une revanche presque en terme de classe sociale, via certaines allusions. Tu as toujours eu des phrases type « mon père vous a donné sa santé, je suis là pour l'addition, j'ai ses 40 ans d'charbon dans l'âme ».
C'est carrément ça. Attention, je le répète, j'ai pas grandi pauvre, j'étais dans la classe moyenne ; mes parents avaient tout le temps la tête dans le guidon, ils avaient « trop » pour certaines aides et pas assez pour un train de vie, j'avais des potes vraiment pauvres qui s'en sortaient mieux, je pétais ma tête là-dessus, je comprenais pas. Donc oui y'a une vraie revanche sur la classe sociale parce que j'oublierai jamais, c'est ce qui m'a façonné, et en plus… mon père y a laissé sa peau dans tout ça. Donc y'a de l'animosité quand je dis ça : mon père c'est quelqu'un qui s'est levé le cul toute sa vie, et il en découle que pour oublier ses problèmes il buvait, et c'est un putain de cercle vicieux. J'en veux au système pour tout ça. Je peux pas lui en vouloir à lui d'avoir pris une bouteille, au final. Je me dis que c'est une réaction humaine qu'ont eu plein de mecs.

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C’est un palliatif.
À mort.

Du coup, tu penses que ton goût du luxe, au niveau de ton image, ça vient de là aussi ?
Je sais pas… c'est possible. Ce qui me fait chier c'est que les gens l'interprètent mal, ils peuvent se dire « t'as oublié d'où tu viens » et c'est ce truc que j'aime pas. Ça me plaît, j'ai toujours kiffé la sape, quand j'étais petit je voulais m'habiller comme je m'habille aujourd'hui, c'est juste que je pouvais pas !

Et t’avais pas le bon coiffeur surtout.
Voilà, j'avais pas non plus le bon coiffeur [Rires] Je me coupais les cheveux tout seul, t'as vu, laisse tomber… [Il mime un mouvement laborieux des mains sur sa tête et ça ressemble très clairement à une scène d'automutilation de film d'horreur, NDLR]. Y'a un truc super revanchard, ouais. Mais pas dans le sens où je m'embourgeoise. C'est le côté double-tranchant qui peut être mal interprété et qui est relou, comme à l'époque de la phase sur les 1200 euros, alors que je me mets évidemment dans le lot de ceux qui se sont levés le matin pour cette somme là, je l'ai fait moi-même quand j'étais jeune, et je trouvais que c'était insultant. Ça avait fait une polémique de ouf alors que jamais de la vie j'irai dénigrer ça ! Après y'a beaucoup de teubés aussi. J'ai eu des mecs qui m'ont dit « Ah mais moi je gagne 1200 euros par mois et ça me va très bien hein », des aides ménagères, etc. Mais ok, c'est très bien si ça te convient, y'a aucun souci.

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Le morceau « Ciel rouge » a une rythmique différente, c’est la 1ère fois que tu poses là-dessus à ma connaissance.
Comme j'ai construit le projet avec Guilty sans vouloir intentionnellement faire du hit… On a pensé qu'un up-tempo pourrait se substituer à un hit. Aujourd'hui j'en ai un peu assez qu'on me parle de « Champs-Elysées » ou même de « Je la connais ». Je veux qu'on m'identifie, montrer mon empreinte même, ce qui m'a façonné pour de vrai. J'ai ramené Furax Barbarossa à mon Planète Rap, ceux qui me connaissent comme toi ont pas été étonnés mais les gens qui m'ont connu avec les singles ont dû se dire « mais qu'est-ce qu'il fout là, c'est qui cette barbe rousse ? », alors que c'est ce rap-là qui m'a construit. Donc pas de hit calculé, mais de la prise de risque maîtrisée dans le sens où « Ciel Rouge » est up-tempo mais très Meek Mill dans certains sons, tu vois ?

Dans le sens gros son club mais sample et ambiance sérieuse ?
C'est ça. Après le challenge a été de rendre le truc assez homogène par rapport à tout le projet. Ce qui était délicat c'était l’enchaînement des morceaux, donc pari réussi. Mais ouais on voulait surtout pas avoir un « intru » type hit radio qui a été pensé pour ça, juste pour plaire à Laurent [Bouneau, directeur des programmes de Skyrock, NDLR], qui est fait exprès, tu vois. Non, là on est dans ce que j'avais envie de faire. Au bout d'un moment on arrivait sur 12 titres de pur rap et Guilty se gratte le front : « Est-ce qu'on ferme pas l'album sur ta fanbase là ? Au final ce serait bien que tu franchisses un autre palier. » Moi je me gratte le menton et je me dis « c'est sûr ». Du coup je reçois la team ETMG, avec Pyroman et tout, ils me font écouter la prod qui a donné « Le Code ». Et on se dit que ça peut faire l'affaire, ça pourrait pallier au truc sans qu'on se dise « ce son a rien à faire dans l'album ». Ça collait, y'a une petite prise de risque dans l'interprétation du refrain je trouve, et c'est passé. La question s'est posée, ouais ; si y'avait pas « Le Code » et « Ciel Rouge » je pense que le projet se fermerait pas mal de portes.

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Tu as déjà précisément en tête ce que tu veux sur les 2 prochains tomes ?
On a décidé de l'histoire en entier depuis le début jusqu'à la fin, on sait où vont le 2e et le 3e. On a segmenté l'histoire générale de base, mais vu les bons retours, je me dis qu'on peut pousser le truc encore plus loin que ce qu'on voulait. On va peut-être agrémenter l'histoire de choses auxquelles on n'avait pas pensé dès le départ, pour l'enrichir. Ça déchire, c'est pour ça que je suis content.

« Maman t'inquiète pas, si je perds le tête-à-tête, je reviens avec le AK47 » : tu as une façon bien à toi de la rassurer.
[Rires] Ouais ! Parce que je suis rentré plein de fois avec la gueule cassée. Ma mère me connaît mieux que personne, je suis très complice avec elle, du coup elle sait que j'ai fait des trucs de ouf : c'est comme si je parlais avec elle, qu'elle me voyait ressortir amoché mais avec des trucs sur moi pour rectifier le truc. C'est l'image du jeune un peu fou, mais qui relève plus de la complicité avec la mère en fait.

À l’époque d’A7 tu disais être encore en construction, là tu as l'impression d'avoir trouvé ton style définitif ?
J'ai l'impression que je rentre dans la vraie maturité de ce que j'essaie d'écrire depuis 3 projets. A7 je trouvais l'album bon mais je savais pas que ça allait marquer les gens à ce point. Je pense que personne peut savoir à l'avance. À cette époque j'avais pas la maturité pour me dire si je devais ou non continuer dans tel ou tel style. À force de grandir et d'évoluer je pense que je sais ce que je suis dans les yeux des gens plus ou moins et je sais aussi où je veux aller. Je veux pas me retrouver dans la peau d'un artiste qui fait de la musique qu'il n'assume pas. J'aimerais pas faire un tube qui me correspond pas et qui reste collé à moi alors qu'il parle à des gens qui ne comprennent pas voire qui ne savent même pas qui je suis à la base. Se retrouver dans un concert où y'a que des gosses c'est sympa mais c'est pas mon but au départ. Je pense que c'est mauvais pour l'ego d'ailleurs.

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C’est déjà arrivé ?
Non ça va, j'ai pas été confronté à ce fameux moment où tu dis « faites du bruit » et t'entends que des voix juvéniles « waaaaah ». Après j'ai quand même plein de jeunes dans mon public ; je me dis que c'est bien sans l'être. J'ai des morceaux comme « Allo Maman », ça leur parle, c'est normal, je comprends qu'une petite de 13 ans vienne au concert. Sauf qu'après ce morceau, pendant les 1h15 qui suivent, elle va peut-être rien comprendre.

Ou alors elle peut gueuler « scélérat » en boucle, on sait pas.
C'est vrai que j'ai eu ça aussi. Des snaps de petites de 14/15 ans en train de chanter alors que y'a leur daronne à côté « j'vais t'la foutre au fond d'la gorge », le daron leur fait les gros yeux. C'est chanmé mais c'est spécial [Rires]

Dans une scène du court-métrage, on entend du Luciano en fond sonore, c’est aussi une façon de te ré-ancrer dans la scène marseillaise ?
Je suis arrivé en ovni, les gens se demandaient « mais d'où il vient ». Ça me plaisait mais quelque part ça me faisait rire jaune. Ok, c'est cool que les gens pensent que je viens d'une autre planète, sauf que j'aime revendiquer ma géographie, et je viens de Marseille, c'est la ville qui m'a façonné. Luciano, pour toujours et à jamais. Le Rat, laisse tomber.

Tu te verrais faire un feat avec lui ?
À 3000%, mais aujourd'hui il est dur à attraper. Il a une vie de famille, tout ça. Et il a déjà fait tellement de légendes musicales, mais franchement ouais, c'est un aboutissement, si je fais un morceau avec lui je peux arrêter le pe-ra.

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En terme de collaboration tu as l’air plus actif qu’à une époque, on te retrouve sur les projets de Kofs et Kaaris, on s’était parlés d’une hypothétique connexion avec Alkpote…
Complètement. Neochrome c'est une école de rap qui m'a bousillé. Après souvent le problème c'est l'industrie qui force à penser à soi en vrai : est-ce que je vais pas me casser la gueule, etc. C'est chiant parce que je peux plus faire un feat naturellement sans poser la question "est-ce que c'est bon pour ma carrière". Et c'est chiant, parce que tu te retrouves avec des artistes qui t'ont bercé, et tu te poses des questions nazes : « Est-ce que les gens vont comprendre la connexion ?» C'est tout ça qui fait chier en vrai. C'est pas les choix du coeur qui régissent les feats, que du business malheureusement.

Tu parlais de l’influence Neochrome, la phrase : « Elle veut que j'ouvre mon cœur moi faut que j'ouvre ma braguette » c’est vrai que ça fait écho à « voir mes yeux c'est voir mon cœur idiote, j'enlèverais mes lunettes que quand t'enlèveras ta culotte » de Seth Gueko.
J’ai été façonné et fasciné par l'écriture de ce mec. Je me suis pris tous ses projets dans la gueule à l'époque. C'est vrai que ça résume un truc dans lequel on se reconnaît tous : la meuf qui veut que tu sois son petit mec et toi qui veux que la ken.

En revanche sur l’album le seul feat est Ninho, vous vous êtes échangés des conseils sur les démarches à adopter quand on perd une sacoche ?
[Rires] Putain je te déteste. Mais sérieusement, quand y'a un succès, je trouve que les gens s'acharnent sur toi un peu facilement. On dirait que c'est la course à qui va te discréditer le plus. C'est des choses qui arrivent tous les jours à des mecs qui sont pas forcément des rigolos d'ailleurs.

Je crois que c'est Sadek qui avait dit ça : « Tu peux être qui tu veux, face à 30 petits qui déboulent sur toi, y'a rien à faire ». Ça restera une situation de merde quoiqu'il arrive.
Et ouais. Tu vas faire quoi, même si tu restes sur place et que t'en couches un ou deux, les autres vont continuer, et le pire c'est que tout ça va finir en vidéo. Après c'est un parti pris, mais dans les 2 cas tu es mort niveau image.

Après ça reste de l'image, pas plus.
T'as tout dit, ce qui est important c'est la musique. Tant que tu fais de la super musique, on en a rien à foutre que des mange-pierres, des morts de faim te fassent ci ou ça. Tu peux même te faire carjacker, ok c'est super chiant, mais à la fin ce qui restera c'est tes sons. Le reste on s'en branle en vrai.

En parlant d’image, quand tu as tourné JVLIVS, tu t’es dit « il faut que je fasse mieux que Force et Honneur » ?
Absolument pas [Rires]. C'est pas sur le format série, à terme j'aimerais juste que ça fasse un film. Qu'on puisse coller les tomes 1, 2 et 3 et que ça tienne la route. On a commencé sur du 17 minutes, si les suivants font chacun 20 ou 35 minutes, on arriverait au total sur une bonne durée, ce serait cool. Je l'ai pas fait dans cette gamberge là : comparé à Force & Honneur il y a beaucoup moins de dialogue, plus de passages limite planants, sans action directe. Tu sais mon influence c'est Ryan Gosling dans Drive, son rôle dans ce film m'a traumatisé : il parle presque pas, mais il dégage tellement un truc que ça vaut 20 dialogues. Comme je débute à peine, on m'a mis avec des mecs qui ont un peu de bouteille pour que je me sente plus à l'aise. Je préfère aller crescendo dans les longs dialogues plutôt qu'y aller direct et prendre le risque de me casser la gueule, parce que je le reconnais, je suis pas acteur, je suis en quête d'apprentissage. J’ai pas eu de propositions de rôle de ciné mais c'est quelque chose que je cherche, ce serait con de dire le contraire. Quand je fais ça je fais un clin d’œil au cinéma, c'est sûr, parce que ça me plaît. Tous les films de ce registre, à mort.

À notre première interview tu m’avais sorti un portrait folklo de ton père mais on ne l’avait pas publié pour des questions de longueur, vu les circonstances je me suis dit que ça te ferait plaisir.

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[Il lit et a un léger sourire qui s'agrandit]. Carrément, c'est vrai. Le daron est né dans les années 50, il est à l'ancienne… C'était une caillera, super impulsif. J'ai des bons souvenirs avec tout ça, ça me fait sourire quand j'y repense. [Silence] Puis voilà. Mais c'est un bel hommage, on dirait que je le dis… enfin, la manière dont c'est retranscrit… Je m'en rappelais pas forcément de te l'avoir dit. C'est chouette en tout cas.

L'album JVLIVS de Sch est sorti le 18 octobre chez Maison Baron Rouge / Warner Music France.
Il sera en concert le 31 janvier 2019 à l'Olympia et le 2 mars au Dôme de Marseille.

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