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vie privée

La fonction de géolocalisation des voitures intelligentes peut être exploitée pour traquer une victime

Un nombre croissant de constructeurs automobiles en équipent leurs véhicules sans grande réflexion sur plusieurs risques.
Source : Hubert Figuière, Flickr

L'article original a été publié sur Motherboard.

Imaginez la fonction Localiser mon iPhone, mais pour voiture. Une application avec laquelle vous pouvez situer votre voiture à tout moment avec votre téléphone, entre autres, pourrait décourager un voleur de s’en emparer ou plus banalement vous aider à la retrouver dans un stationnement à perte de vue. Pourquoi pas? Maintenant, imaginez qu’une autre personne que vous y a accès pour surveiller vos déplacements.

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L’exploitation de la fonction de géolocalisation et du GPS pour traquer une victime est un problème depuis l’invention de ces technologies : en 2003, le magazine Wired rapportait que des hommes installaient des capteurs GPS sur les voitures de leur ex. Et maintenant que de plus en plus de voitures sont connectées et semi-autonomes, le risque que la technologie soit détournée pour traquer s’accentue.

« Si une personne en contrôle, suit ou harcèle une autre, la géolocalisation — fantastique si elle est entre bonnes mains — peut réellement permettre de surveiller les déplacements d’une personne », m’a dit au cours d’une conversation par téléphone Cindy Southworth, vice-présidente du National Network to End Domestic Violence et fondatrice du Safety Net Project.

En juillet, une personne sur Twitter a exprimé cette inquiétude à propos de sa voiture Ford possédant cette fonction. « Il y a de bonnes raisons pour lesquelles je pourrais ne pas vouloir qu’une autre personne qui utilise l’auto puisse connaître ma position », a-t-elle écrit, soulignant qu’il n’était pas évident de savoir si la fonction était activée. « Le concessionnaire s’est moqué de mes préoccupations pour la vie privée. Ça me semble inapproprié. »

Comme Google Maps, l’application de cartographie de Ford donne la possibilité de mémoriser des endroits récemment ou fréquemment visités. Cette fonctionnalité est commercialisée comme un outil pratique, mais pour une victime suivie ou harcelée, c’est une vulnérabilité.

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« Si la victime sait que sa position est enregistrée par le véhicule, parce que c’est visible — si quelque chose apparaît à l’écran —, il y a plus de chance qu’elle prenne un taxi pour aller rencontrer un avocat ou déposer une plainte à la police, a poursuivi Cindy Southworth. Le problème, c’est quand l’historique est plus subtil. Dans ce cas, c’est plus difficile pour la victime de savoir que son historique complet se trouve dans le [GPS], dans le système de la voiture ou dans son téléphone. »

Dans un courriel envoyé à VICE, un porte-parole de Ford a écrit que le propriétaire du véhicule peut effacer l’historique de ses positions en réinitialisant le système, ce qui efface toutes les données personnelles enregistrées et restaure les paramètres par défaut. « Une fois que la réinitialisation a été faite, la personne peut donner accès au système à d’autres utilisateurs, mais personne ne pourra s’y connecter sans qu’elle le sache et approuve l’accès », poursuit le porte-parole. Et il est impossible de supprimer manuellement des emplacements dans l’application ou le système de navigation, ajoute-t-il.

Cette solution ne tient pas compte de la complexité de la violence domestique et du harcèlement. Le contrôle d’un partenaire par un autre est l’une des formes de violence domestique les plus répandues, et il peut s’étendre jusqu’aux lieux qu’une personne a le droit de fréquenter avec des interrogatoires pour connaître dans le détail ses déplacements. « L’enregistrement de tous les déplacements peut être bien dans une famille, mais ça peut être dangereux dans une autre, et effacer l’historique en entier est aussi un problème parce que ça peut pousser à poser des questions comme : “Qu’est-ce que tu caches?” » dit Cindy Southworth.

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La violence domestique et le harcèlement ne sont pas des problèmes marginaux. D’après les statistiques de Centers for Disease Control (CDC) pour 2017, un quart des femmes et un homme sur sept aux États-Unis ont été victimes de violence domestique grave au cours de leur vie. CDC rapporte également que 10 % des femmes (et 2 % des hommes) ont été suivies par un ancien ou actuel partenaire.

À l’échelle mondiale, l’Organisation mondiale de la santé estime que 30 % des femmes ont été en couple avec un partenaire qui les a agressées physiquement ou sexuellement et que « 38 % des meurtres de femmes sont commis par un partenaire masculin ». Les appareils et outils numériques qui enregistrent vos moindres mouvements ont proliféré ces dernières années, et des personnes mal intentionnées les exploitent pour surveiller les déplacements de victimes.

Il s’agit d’un problème sérieux auquel les constructeurs automobiles et les autres entreprises de technologie « intelligente » n’ont pas longtemps cherché une solution.

Justin Brookman, directeur du service de politique de protection de la vie privée et de la technologie chez Consumers Union, m’a dit en entrevue que son organisme avait consulté des cabinets d’avocats de Washington et diverses associations de constructeurs automobiles il y a quelques années pour établir une série de pratiques appropriées pour assurer la protection de la vie privée. Les constructeurs, dit-il, se sont montrés réticents à l’idée de limiter leur collecte de données.

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« Je pensais que certaines choses étaient bonnes là-dedans, mais ils ne se sont pas attaqués à la collecte de données, précise-t-il. Ils se réservent en quelque sorte le droit de collecter des données et de faire ce qu’ils veulent avec elles. » Ces données pourraient, par exemple, servir aussi bien à envoyer des annonces géociblées aux conducteurs qu’à guider les voitures autonomes.

En 2012, la fonction OnStar de General Motors a marqué le début de Family Link, un service permettant aux utilisateurs de suivre les membres de leur famille à distance et de recevoir des renseignements sur la position du véhicule. Aujourd’hui, les compagnies de l’industrie de la conception de logiciels et d’appareils numériques pour les véhicules sont engagées dans une course à la recherche de moyens d’améliorer la géolocalisation.

« Pour la plupart des constructeurs automobiles avec lesquels nous parlons, c’est devenu une condition d’existence. Ce n’est pas juste un argument de vente… Tout le monde l’offre », dit Sumeet Puri, responsable mondial de l’ingénierie des systèmes chez Solace, un concepteur de logiciels de communications sans fil dans le secteur automobile, ainsi que d’autres industries.

Comme il me l’a expliqué, la technologie de géolocalisation est fondamentale pour le succès des véhicules autonomes et des villes intelligentes, et on n’est pas prêt de pouvoir s’en passer.

Cindy Southworth pense que la transparence est essentielle dans ces circonstances. À son avis, les constructeurs automobiles doivent informer les utilisateurs que leur position est enregistrée et leur donner la possibilité d’activer ou de désactiver l’enregistrement discrètement, et les utilisateurs devraient également être en mesure de supprimer un déplacement sans être forcés pour ce faire d’effacer l’ensemble des données du système.

Avec Joseph Cox