Vancouver sous les drogues

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Vancouver sous les drogues

Comment l'une des villes les plus charmantes au monde fait face à l'explosion du nombre d'addicts dans ses rues.

Le fentanyl détruit chaque jour un nombre grandissant de Canadiens – et c'est au cœur de Vancouver que ce médicament antidouleur utilisé à l'origine pour lutter contre le cancer fait le plus de victimes. Plus précisément encore – et de manière malheureusement peu surprenante – c'est dans le quartier défavorisé de Downtown Eastside que la situation est critique. On peut même parler d'épicentre d'une crise qui a fait plus de 900 morts dans la seule province de Colombie-Britannique au cours de l'année 2016 – sachant que cette province compte un peu moins de cinq millions d'habitants.

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Alors que la municipalité se bat comme elle peut pour porter secours aux plus démunis et aux addicts, de nombreuses familles et communautés sont en deuil. Dimanche 5 février, des dizaines de personnes se sont réunies en mémoire des disparus.

Les participants, parfois endeuillés il y a seulement quelques semaines par la perte d'un proche, ont allumé des bougies, partagé des photos des défunts ainsi que leur histoire. Ils sont nombreux à critiquer la gestion catastrophique de cette crise sanitaire, et j'ai tenu à leur donner la parole.

Michelle Fortin, assistante sociale

VICE : Pourquoi avez-vous décidé de vous rendre à cette veillée ?
Michelle Fortin : Ça fait 25 ans que je travaille dans le quartier et c'est la première fois que j'ai eu envie de dire à haute voix : « Ne prenez pas de drogue, vraiment. » Une telle situation est difficile car j'ai toujours tenu à donner des conseils aux gens sans les forcer à quoi que ce soit. Mais aujourd'hui, je n'ai plus le choix. Le combat est devenu quotidien et des tas de gens remarquables meurent sous nos yeux.

D'après vous, quelle serait la réponse adaptée pour contrer cette crise ?
À mon sens, le problème est lié à des décisions politiques contradictoires. Prenez l'exemple de la naloxone, un produit qui peut prévenir les overdoses. Si elle est aujourd'hui disponible pour certains malades, son coût la rend inaccessible aux plus démunis – et donc à ceux qui sont touchés par les opiacés.

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Notre approche se doit d'être multiple. La naloxone n'est pas la seule réponse possible.

Êtes-vous confiante pour le futur ?
Je refuse de perdre espoir. Je suis ici car j'y crois. De plus, il est important d'honorer la mémoire des défunts. Nous voulons faire passer un message auprès des gens qui luttent au quotidien contre l'addiction, et leur dire que nous nous soucions d'eux. Nous sommes ici pour les soutenir.

Gerald Kematch, travailleur de proximité

VICE : Pourquoi êtes-vous venu à cette veillée ?
Gerald Kematch : Pour tout vous dire, je travaille pour le compte d'une association amérindienne et j'interviens comme médiateur dans le quartier de Downtown Eastside. Le fentanyl fait des ravages et mon travail consiste à aider les gens en deuil ou qui luttent contre des traumatismes qui les rongent au quotidien. La drogue est très souvent un moyen d'oublier ces traumatismes.

Quelles sont les solutions que vous préconisez ?
Je pense que l'on devrait dépenser davantage dans les domaines de la prévention et de l'aide aux personnes marginales. Le système a joué un rôle considérable dans l'apparition du problème : l'absence d'investissement dans le quartier, la propagation d'idées fausses au sujet de ses habitants, etc.

Elizabeth Sutherland, réside dans le quartier de Downtown Eastside

VICE : Depuis quand vivez-vous dans le coin ?
Elizabeth Sutherland : Un mois seulement. Je n'ai jamais été aussi stressée de toute ma vie.

Avez-vous été touchée par la crise liée au fentanyl ?
J'ai 68 ans et je suis paralysée par l'arthrite. Mon corps entier me fait mal. Ce n'est pas mon métier de porter secours aux gens et j'en suis bien souvent incapable. Si la ville disposait de salles de consommation, les gens ne mourraient pas autant.

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Le problème ne vient pas des toxicomanes – eux sont polis, respectueux et se comportent comme des êtres humains. Les drogues sont très nocives. C'est ça le problème. Il doit y avoir un ou deux sites pour tester les drogues dans toute la ville. C'est la faute du maire Gregor Robertson.

Sonny Dean, musicien

VICE : Pourquoi êtes-vous ici aujourd'hui ?
Sonny Dean : Pour apporter mon soutien à une amie qui a perdu son frère.

Pensez-vous qu'une telle commémoration aide les gens – comme votre amie – à panser leurs plaies ?
Son frère, aujourd'hui disparu, était aussi l'un de mes amis. On m'a dit qu'il avait essayé le fentanyl par hasard. Personne ne devrait faire ça.

Nesa Tousi, travailleuse spécialisée dans l'addiction

VICE : Qu'est-ce qui vous a amenée ici aujourd'hui ?
Nesa Tousi : Je fais partie des personnes qui travaillent au contact des addicts. J'ai assisté à tellement de décès…

L'année a été particulièrement difficile ici. Vous qui êtes en première ligne, quel est votre regard sur cette crise ?
Les pouvoirs publics ont agi beaucoup trop tardivement. La crise dure depuis un an maintenant. Même ceux qui ne sont pas directement affectés doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour agir et alerter les autorités. Ils peuvent cuisiner des repas pour les autres, nettoyer leur maison, ou bien déblayer leur allée. On pourrait croire qu'il s'agit d'un travail domestique de base mais ça peut être vraiment difficile lorsque vous pouvez à peine vous occuper de vous.

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Audrey Siegl, organisatrice de la veillée

VICE : Vous avez intitulé cette veillée « Love Heals » – l'amour guérit. Pourquoi ?
Audrey Siegl : Parce que l'amour est la seule chose qui m'a permis de m'en sortir. J'ai mis près de 15 ans à m'en sortir, vous savez. J'ai connu la rage, la souffrance, la déception. À chaque fois, je me réfugiais dans l'amour.

Pourquoi avez-vous décidé d'organiser cet événement aujourd'hui ?
J'ai été personnellement affectée par cette crise. Mes oncles et mes tantes sont tous morts à Downtown Eastside. Ma mère est morte d'une overdose de fentanyl il y a trois semaines.

Je ne vais pas rester prostrée à cause de la douleur. En 63 ans, ma mère n'a jamais connu un seul instant de dignité, de respect ou même d'accalmie. Sa mort n'a été que la suite logique de sa vie de misère. Elle méritait mieux. Elle méritait une dernière chance.

Cara McKenna est sur Twitter.