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Choisir la vie, choisir un boulot, choisir une famille, mais avant tout, choisir de ne pas aller voir « T2 Trainspotting »

Outre le fait qu'elle se vautre ouvertement dans la nostalgie et le fan service, la suite de « Trainspotting » est aussi et surtout un très, très, très mauvais film.

Avant même de l'avoir vu, avant même d'en avoir aperçu la moindre image, avant même que la première journée de tournage n'ait été calée, le projet T2 Trainspotting soulevait déjà 3 problèmes majeurs :

1 - C'est la suite de Trainspotting.
Soit un des romans britanniques les plus importants des années 90 (écrit par Irvine Welsh en 1993 et lui aussi flanqué d'une suite, Porno, parue en 2002 - suite n'entretenant un rapport que très, très lointain avec le film qui nous intéresse aujourd'hui). Soit, quoi qu'on veuille bien en penser, un des longs métrages les plus icôniques de cette même décennie. Soit, aussi et SURTOUT, le premier film culte pré-packagé de toute l'histoire du cinéma.  Avant Trainspotting, le titre de « film culte » se gagnait sur la longueur, au prix de longues années faites de sueur, de poussière, de salles crapoteuses, de vidéo-clubs de province tenus par des matrones acariâtres, de dialogues appris en deux langues minimum, de mystère, de fantasme, d'interdit, de frustration et, fatalement, de déception. Pendant longtemps, l'exemple parfait a été Massacre À La Tronçonneuse de Tobe Hooper : interdit pendant des années, projeté nulle part, toujours manquant au vidéo-club, c'était le film dont tout le monde avait entendu parler mais qu'au final peu de gens avaient vu et les rares élus formaient de facto un club impénétrable ou tout n'était que regards graves et hochements de tête entendus. La début des années 90 a vu l'apparition des premières productions « cultisées » au chausse-pied (Wayne's World, Dazed & ConfusedPulp Fiction) mais toutes ont eu besoin de plusieurs mois d'exploitation en salles pour asseoir leur réputation. Pas TrainspottingTrainspotting a été le premier film a être culte avant même son arrivée en salles. Trainspotting était présenté comme un phénomène des mois avant sa sortie (a fortiori en France où il est sorti avec 4 mois de retard par rapport au Royaume-Uni). Trainspotting a été tout simplement vendu comme le film qu'il aspirait désespérément à devenir. Trainspotting n'offrait que deux options au spectateur : soit il adorait déjà Trainspotting, soit il n'allait pas voir TrainspottingTrainspotting était livré clés en main, avec ses répliques inoubliables, ses scènes d'anthologie et son ton délicieusement irrévérencieux. En d'autres termes, Trainspotting posait déjà un problème en soi. Lui donner une suite 20 ans après est une démarche d'un cynisme sans nom.

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2 - Nous sommes dans la deuxième moitié des années 2010.
Soit une période où plus rien ni personne n'a le droit de mourir, où tout, même l'artefact le plus insignifiant, a droit à sa petite place dans le grand musée du souvenir, pour peu qu'il ait été produit avant 2004 (date indicative étant amenée en changer). Donner une suite à Trainspotting est une démarche d'un cynisme sans nom, OK. Lui donner une suite en sachant pertinemment qu'elle sera accueillie sans la moindre réserve par un public trop content de se vautrer dans la fange immobiliste et de se remémorer ses 20 ans (ou les 20 ans qu'elle n'a pas connu) tient davantage de l'obscénité.

3 - Il n'y a qu'un T2 et il est sorti en 1991.

Après avoir digéré ses scènes d'anthologie, enregistré ses répliques inoubliables et noté son ton délicieusement irrévérencieux, il s'est avéré que le projet T2 Trainspotting soulevait 2 problèmes supplémentaires :

1 - Le film est mauvais.
J'aimerais pouvoir coller un superlatif à cette phrase mais je ne peux pas. T2 Trainspotting est platement, pauvrement, ordinairement mauvais. La mise en scène est désastreuse (on est à mi-chemin entre du théâtre filmé, un clip de big beat et un épisode de Julie Lescaut sans Mouss Diouf). Le rythme est catastrophique (malgré le montage hystérique, on décroche dès la deuxième demi-heure). Chaque scène, chaque gimmick, chaque réplique renvoie directement ou indirectement au premier Trainspotting, et tant pis si ce n'est absolument pas justifié (les arrêts sur image totalement aléatoires) voire carrément à côté de la plaque (les flashbacks pathos sur l'enfance des personnages, la mise à jour embarrassante du monologue « Choose life » de Renton). La bande-son, en plus d'être d'une lourdeur absolue, est également très mal utilisée (la poursuite sous fond du « Relax » de Frankie Goes To Hollywood est un des plus spectaculaires ratages du film). Mais surtout, surtout, surtout, T2 Trainspotting est un film sans le moindre enjeu narratif. Les quatre personnages principaux du premier film se retrouvent… Et c'est à peu près tout. Ce qu'ils font ? On s'en fout. Où ils vont ? On s'en fout. La raison de tout ça ? On s'en fout. Les scènes de retrouvailles représentent, de fait, les seuls moments-clés du film et sont toutes, sans exception, d'une platitude effarante (la palme revenant à la confrontation Renton/Sick Boy).

2 - En plus d'être foncièrement mauvais, T2 Trainspotting est aussi un film particulièrement déprimant.
Pendant 2 heures, on suit les aventures de quatre types qui se retrouvent sans raison particulière et qui n'ont aucun projet précis, si ce n'est se remémorer ce qu'ils faisaient il y a 20 ans et admettre qu'ils sont nuls, dépassés et totalement rincés. Vous me direz, c'était déjà grosso merdo la base du premier film. À deux exceptions près : a/ dans le premier Trainspotting, les personnages existaient à travers l'héroïne, dans T2 Trainspotting, les personnages essayent d'exister sans l'héroïne, remplacée par (dans le désordre) la cocaïne, une vague envie de monter un sauna, quelques larcins minables, un flirt avec une call-girl bulgare, la vengeance, le viagra et l'écriture de mémoires - et aucune de ces solutions de substitution ne fonctionne. Et plus important, b/ le premier Trainspotting utilisait des personnages en rupture pour montrer les bouleversements économiques, culturels et rituels intervenus au cours des années 90. T2 Trainspotting montre des personnages en rupture, prisonniers des scènes d'anthologie, des répliques inoubliables et du ton délicieusement irrévérencieux qu'ils ont participé à créer au cours des années 90. Et c'est tout.

Une scène du film reprend quasiment plan par plan celle du premier Trainspotting où Spud, Sick Boy, Tommy et Renton vont prendre l'air à la campagne. Dans T2 Trainspotting, Spud, Sick Boy et Renton se rendent au même endroit pour déposer une gerbe de fleurs sur un rocher, en mémoire de Tommy. Agacé, Sick Boy lâche à Renton : « La nostalgie, voilà ce qui t'a fait revenir ici. Tu es devenu un touriste de ton propre passé. » C'est la seule réplique pertinente du film. C'est aussi, malheureusement, celle qui le résume le mieux. T2 Trainspotting sort en salles aujourd'hui 1er Mars. PS : Si vous avez des amis de plus de 35 ans célibataires, fauchés et/ou au chômage, empêchez-les d'aller voir ce film. Je veux dire, empêchez-les physiquement.