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Edward Snowden et le mythe du dénonciateur patriotique

Tel un nuage de métadonnées dans le cyberespace, ses multiples apparitions s'accumulent, pour former le réseau complexe du mythe Snowden – un personnage aujourd'hui plus grand que nature.
Photo : Gage Skidmore

Ancien employé de la CIA et de la NSA, Edward Snowden a passé le plus clair de sa vie à regarder des écrans. En juin 2013, il dévoile à la cinéaste Laura Poitras et aux journalistes Glenn Greenwald et Ewan McAskill les multiples programmes de surveillance – PRISM, XKeyscore, Tempora, Optic Nerve et autres – que les gouvernements occidentaux déploient sans relâche et distinction aucune sur le monde entier dans les années suivant les attaques du 11 septembre. Ces entrevues deviendraient la fondation du documentaire définitif de Poitras sur l'affaire Snowden, Citizenfour,et depuis, le dénonciateur américain enflamme tout autant l'actualité que l'imaginaire – nous invitant à notre tour à considérer nos écrans et nos vies virtuelles avec précaution.

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De l'autre côté du miroir

Snowden s'est exilé en Russie après les révélations de 2013. En retrait de la vie publique (et du territoire occidental), son image publique se développe majoritairement par l'entremise de médias. Car bien qu'il exprime déjà dans Citizenfour une forte ambivalence face à l'imminent culte de personnalité qui lui serait voué, force est d'admettre qu'il a aujourd'hui tout à gagner de cette même notoriété.

Son compte Twitter compte près de 2,5 millions d'abonnés (et un seul abonnement : la NSA). Lorsqu'il donne des vidéoconférences à l'étranger, comme celle qu'il donnera le 2 novembre prochain à Montréal, son visage est projeté sur un écran gigantesque, évoquant tout autant le magicien d'Oz que le Big Brother qu'il dénonce. Sinon, celui-ci s'affiche sur un robot à roulette, gadget tout droit sorti du dernier roman de William Gibson. Ailleurs, ce sont ses admirateurs qui dressent des statues holographiques à son effigie.

Tel un nuage de métadonnées dans le cyberespace, ces multiples apparitions s'accumulent, pour former le réseau complexe du mythe Snowden – un personnage aujourd'hui plus grand que nature. Ajoutons à cela Snowden, d'Oliver Stone, qui s'avère être l'occasion rêvée pour le cinéaste responsable de JFK, Born on the Fourth of July, The Doors (et bien d'autres) de rendre hommage à un compatriote : une figure aussi critique du statu quo américain que lui-même a pu l'être au fil de sa carrière.

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Si Snowden n'existait pas, il faudrait l'inventer

De toute évidence, Oliver Stone s'identifie au délateur, et livre avec son dernier film un contrepoids au film de Poitras : un biopic atypique en ce qu'il a de subjectif (voire de partisan). Explorant davantage le passé du délateur au sein de la communauté du renseignement, Stone trouve dans son sujet une occasion en or de poursuivre son projet patriotique (qui va bien au-delà de l'amour aveugle et qui prend souvent la forme du scepticisme et de la remise en question des politiques dominantes).

Surtout, Stone trace une ligne directe entre les élus du passé et ceux du futur : ce sont les échecs de l'administration Bush qui hantent la première moitié du film (dans la lignée de l'excellent W. que signait Stone en 2008), puis ce sont les prises de décision d'Obama (dont l'administration a amplifié les mesures engendrées par le Patriot Act, et ce, malgré maintes promesses de réformes) qui poussent finalement Snowden à l'acte. Dans un générique qui accorde les enjeux du film au présent, Stone écorche même au passage Hillary Clinton et Donald Trump, qu'il voit déjà empirer la situation.

Surtout, Snowden s'inscrit dans une dynamique franchement « mythologisante » du personnage, et Stone s'y approprie toute l'esthétique de la dématérialisation qu'on associe maintenant aux enjeux de cybersécurité. Ces hologrammes du cinéma de science-fiction; ces écrans gigantesques sur lesquels apparaissent bon nombre de personnages; ces nuages de données ou de vapeur, comme ces jeux de miroirs et de reflets, qu'on retrouve dans les films d'espions; la mise en scène est véritablement kaléidoscopique, stimulante et colorée : une réfraction des « faits vécus », qu'il faut accepter comme la version légèrement cartoon de l'affaire. L'approche devient même louable, car en prenant la route de l'hyperstylisation, Stone se distancie de la personne et atterrit finalement sur le mythe : sur ce que Snowden représente dans l'absolu – un idéal du patriote, celui du futur.

Edward Snowden sera à nouveau à l'écran, dans le cadre d'une vidéoconférence gratuite organisée par l'Université McGill au sujet de la surveillance au Canada, le mercredi 2 novembre 2016 à 19 h. Plus d'info ici.

Suivez Ariel Esteban Cayer sur Twitter.