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Punk

Un survol de l’histoire du punk et de la new wave dans la ville de Québec avec l’écrivain, DJ et réalisateur Alain Cliche

« Tout ça au même endroit, avec beaucoup de drogues, dans une ville conservatrice... à un point que j'ignorais, à l'époque. »
Alain Cliche en 1984. Photo : Isabelle Marquis

L'histoire des avant-gardes, au Québec, s'est écrite dans la métropole cosmopolite, bilingue et hégémonique qu'est Montréal. Celle-ci s'est taillé la part du lion sans trop se forcer, laissant des poches anémiques de contre-culture flotter dans son ombre, aux quatre coins de la province. La ville de Québec est de ces bastions dont l'histoire alternative a peu été racontée. Pourtant, la simple existence d'un personnage comme l'artiste et disquaire Bruno Tanguay, alias Satan Bélanger, devrait justifier qu'un peu plus d'encre coule à ce sujet.

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Originaire de la capitale nationale, l'écrivain Alain Cliche, qui a entre autres été DJ aux Foufounes électriques et coréalisateur du documentaire MTL Punk : La première vague, publiait cette année son troisième livre, Jusqu'à ce que la mort nous chatouille de ses caresses. Dans cet exercice d'autofiction, Cliche revient sur son passé punk à Québec, sur l'éclosion du hip-hop, sur son départ pour Montréal et sur la crise existentielle qu'il a traversée après plusieurs années autodestructrices. VICE s'est entretenu avec lui afin de dresser un portrait sommaire de l'émergence du punk et de la new wave à Québec, au tout début des années 80.

VICE : Tes trois livres (Accro vinyle, Normal et Jusqu'à ce que la mort nous chatouille de ses caresses) nous renvoient à des artistes étrangers qui ne sont pas nécessairement accessibles au plan musical (The Residents, Negativland, Art Zoyd, Snakefinger, etc.), et dont on peut imaginer la difficulté à trouver les albums dans une ville comme Québec, en 1983. Puisqu'il ne subsiste pas beaucoup d'artefacts de la scène new wave de la vieille capitale pour répondre à la question, est-ce que tu reconnaissais en certains groupes de l'époque l'influence de la musique expérimentale à laquelle tu reviens si souvent?
Alain Cliche : Oui, et il y a tout de même quelques disques qui ont subsisté. Je pense au 45 tours des Modernes Pickles ou aux divers projets expérimentaux de Satan Bélanger [Bruno Tanguay], comme les Biberons bâtis, qui provenaient de cette culture musicale là. Il y a une compilation intitulée Blender Mix, qui rend bien compte d'une partie de la scène. On y retrouve des groupes comme Turbine Depress, Chienne 50¢, Outbreak, les Modernes Pickles, etc. Il y a des enregistrements, comme certaines chansons des Modernes Pickles, encore une fois, qui ne sont jamais sortis. Les gars du band étaient des chums, j'avais des versions sur cassettes, mais ça n'a jamais été endisqué.

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Peux-tu me parler de l'importance d'un personnage comme Bruno Tanguay et de Vinyl, son magasin de disques sur la rue Saint-Jean?
Pour moi, Bruno Tanguay est le parrain de la contre-culture à Québec. Et Vinyl, le magasin qu'il tenait avec son comparse Thierry, a été au cœur de ça. Dans ce temps-là, tout le monde faisait affaire avec sensiblement les mêmes distributeurs. Mais Bruno et Thierry écrivaient directement aux labels et avaient des contacts en Europe. J'ai voyagé à l'époque, j'allais à New York et à Montréal, par exemple, et je peux dire qu'il n'y avait pas beaucoup de magasins qui accotaient celui de Bruno. Mais c'était pas tout le temps facile, le climat chez Vinyl… tu rentrais là et les gars tentaient de « t'impressionner »…

CKRL, la radio communautaire de Québec où tu avais une émission, semble avoir joué un rôle important.
Oui, CKRL a été l'une des premières « petites » radios à avoir une antenne puissante. On parle ici de milliers de watts, en comparaison avec CIBL et Radio Centre-Ville, qu'on peinait à entendre à quelques coins de rues de leurs locaux. C'était quand même « grano » comme affaire. Puis, au milieu de tout ça, on arrivait et on faisait jouer du stock qui ne jouait nulle part. Bruno [Tanguay] avait également une émission [Hama Hami Homo Lobo, NDLR]. Un des gars de sa gang faisait des imitations… C'était André-Philippe Gagnon! Même François Pérusse avait une émission à CKRL.

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Pour ce qui est des salles de concerts et des bars, de quoi pouvait avoir l'air Québec?
Ce qu'il faut garder en tête, c'est qu'à Québec, il y avait pas mal juste un bar pour accueillir notre genre de musique : le Shoeclack. Par la suite, il y a eu l'Ombre jaune, mais essentiellement, on parle du Shoeclack. Cet endroit n'avait pratiquement pas de compétition en ville. Et tu y voyais tout le monde, d'Yves Jacques à Robert Lepage. Puisqu'il n'y avait qu'un seul club new wave, les différentes scènes s'y côtoyaient. La piste de danse se vidait et se remplissait au gré des pièces choisies par le DJ. À un moment donné, c'était du rockabilly, puis c'était du ska, et ainsi de suite. Tout ça au même endroit, avec beaucoup de drogue, dans une ville conservatrice… à un point que j'ignorais, à l'époque.

Photo : Serge Brunelle

Tu as fait partie d'un des premiers (sinon le premier) crews de breakdance de la ville de Québec. Peux-tu m'expliquer comment tu es tombé là-dedans?
J'ai toujours vu le rap comme le punk rock des Noirs. Ce qui nous a réellement allumés, ce fut le concert de DJ D.ST (plus tard GrandMixer DXT, membre de la Zulu Nation et collaborateur d'Afrika Bambaataa et d'Herbie Hancock) à Québec, en 1983. Ç'a été une révélation qui m'a littéralement sorti de mon marasme. Ça m'a poussé à me mettre en forme, à avoir du fun.

Tu ne mentionnes presque pas l'émergence du hardcore punk. Est-ce qu'il y avait des groupes hardcores que tu te rappelles?
Il y avait Outbreak! Mon copain Luc avait aussi une salle de spectacle, le Lock-All, qui était situé dans la Côte-du-Palais. Tous les groupes importants de l'époque y sont passés : D.O.A., Black Flag, Dead Kennedys, Millions of Dead Cops, etc. Sa blonde, qui était une artiste visuelle, créait et sérigraphiait les affiches des concerts.

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Dans Jusqu'à ce que la mort nous chatouille de ses caresses, ton alter ego décroche de toute cette scène après un périple à Montréal, où il a été DJ aux Foufounes électriques, avant d'aboutir dans le monde de la pub. Quand as-tu toi-même décroché?
J'ai décroché, si l'on peut parler ainsi, rendu à ce qui équivaut à la deuxième partie de Jusqu'à ce que la mort…, c'est-à-dire quand j'ai perdu ma santé mentale. On parle souvent du punk comme étant le courant musical représentant la destruction des structures. Eh bien, la structure ultime, si l'on veut, c'est soi-même. C'est donc à elle que je me suis attaqué. J'ai vécu ça et je suis ensuite passé par une espèce de quête initiatique…

Ça correspond à ce dont tu parles lorsque tu abordes cette phase un peu new age dans le livre?
Oui, c'est ça.

Et par la suite?
Vers 1996-1997, je suis sorti de l'INIS et j'ai passé un moment assez rough, après une séparation. Je suis devenu insomniaque. Je me suis donc mis à écrire. Grâce à une subvention de la SODEC, j'ai écrit un synopsis de film qui est finalement devenu un livre, Normal. Ce fut aussi la porte d'entrée vers le documentaire MTL Punk : La première vague.

Il faut aussi dire que la ville de Québec s'est pratiquement vidée, à un certain moment donné. Tout le monde a migré vers Montréal. À titre d'exemple, au lancement montréalais de Jusqu'à ce que la mort…, il devait y avoir environ cent personnes. Je pourrais facilement dire que 90 d'entre elles venaient de Québec.

Ceci dit, avec l'ouverture du Cercle et du Knock-Out, et avec l'arrivée d'Ubisoft dans le décor, ça s'est transformé. C'est un peu comme si, à une certaine époque, il n'y avait pas eu de monde dans la vingtaine, à Québec.

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