FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Ça fait aujourd'hui 10 ans qu'on sait que « Garden State » est une grosse bouse

Le film culte de la génération indie est sorti en 2004. Et en 2005, on a compris que c'était tout sauf un film culte.

Garden State est sorti il y a 11 ans maintenant, et en 2004, pour la nation d’adulescents désabusés que nous étions, le film a représenté un bol d'air aussi indie que salvateur. C’était un film pour ceux qui n’avaient encore rien décidé de leur vie future, ceux qui réfléchissaient beaucoup à cette future vie encore incertaine, et s’asseyaient avec d’autres post-ados incertains pour discuter de cette existence à venir qui représentait un gros point d’interrogation pour eux.

Publicité

Et ce type appelé Braff, joué par le docteur à la fois grave et drôle de la série Scrubs, était comme nous : un vingtenaire sensible, émotionnellement vulnérable, qui traversait une des phases les plus difficiles de la vie, parce qu’avoir 20 ans est vraiment dur, super dur. Braff était donc super triste et super blasé et super démuni et super plein d’autres trucs qu’on voulait projeter à loisir sur lui, ce qui était facile parce qu’il était l’équivalent parfait de la figure indie.

Braff passait la majeure partie du film à mener des conversations profondes qu’on a tous connu à la fac – de longs dialogues, vous savez, sur des trucs deep, comme Dieu, la mort et le déracinement. Il nous présentait un panel de personnages décalés venus tout droit des suburbs du New Jersey, notamment l’acteur Peter Sarsgaard, qui sera nominé aux Golden Globe Awards grâce au film. L’approche dramatique de Braff en tant que réalisateur le destinait à devenir le prochain Woody Allen.

Pour les spectateurs mâles qui avaient un faible pour ce qu'on appelle les manic pixie dream girls, ils étaient aux anges, le rôle-titre était attribué à Natalie Portman. Elle était mignonne, originale, munie d’un arsenal de tics adorables, comme son amour pour les animaux et ce labyrinthe qu’elle avait construit pour son hamster à travers tout son appart. C’est pas cool, ça ? Lors d’une scène, elle et Braff organisent des funérailles pour son hamster décédé et Braff se sert de ce moment pour confier à Portman que sa mère aussi venait de mourir. On ne peut que sentir de l’empathie tellement ce passage reflétait nos propres tragédies.

Publicité

Dans une des scènes les plus marquantes du film, Braff et Portman sont perchés sur le bord de ce qui ressemble à une géante carrière sans fond, un gouffre qui est lui-même une métaphore du vaste et imprévisible futur de la vie adulte. Ils se tiennent là, sous la pluie, et Braff, qui se sent vivant pour la première fois depuis des années, laisse sortir un cri primal. Tellement puissant et inspirant. C’est le tournant décisif du film et le moment précis où tout le monde est sorti de son rêve.

Et puis il y a aussi la bande-son. Quelle collection de tubes ! C’est comme si Zach Braff avait fait un shuffle sur votre iPod troisième génération et avait trié les morceaux favoris de vos playlists indie pour les mélanger à des classiques type Simon & Garfunkel. Imaginez un peu les frissons provoqués sur des aspirants en école de journalisme par un morceau de Iron & Wine balancé en dolby surround dans un vrai cinéma. Et sur une reprise de The Postal Service, en plus !

Et comment pourrait-on oublier la scène avec The Shins ? Natalie Portman retire son énorme casque audio (il est aussi gros car c’est une fada de musique), et lance à Braff « il faut que tu écoutes cette chanson. Elle va changer ta vie. » Il l’écoute, et là, on entend « New Slang » immortaliser l’instant. Braff est ce type de réalisateur qui te fait découvrir ton nouveau groupe préféré.

Dans la scène finale du film, à l’aéroport, Zach une fois dans son avion pour la côte ouest change d’avis et décide de retrouver Natalie, il fait demi-tour et court dans les couloirs pour aller l’embrasser. C’est « Let Go » de Frou Frou qui est choisi pour accompagner ce point final.

Publicité

Sérieusement, Garden State a été l’histoire d’amour d’une génération de romantiques maladroits, exutoire de toutes leurs peurs et incertitudes.

Seulement, un an plus tard, un événement encore plus monumental s’est produit. En 2005, alors qu’on était encore sonnés et avachis sur le canapé dans nos T-shirts Kerry/Edwards délavés, les infos nous ont ramené à la réalité. Assistant impuissant aux conflits mondiaux de plus en plus nombreux et au désastre financier dans lequel George Bush nous faisait plonger, nous avons alors glissé notre DVD de Garden State sous la PS2 et réalisé une chose… attendez une minute. Ce film était vraiment merdique en fait !

Cette élection présidentielle de 2004 a sans doute tiré la sonnette d’alarme pour tous les futurs actifs d’Amérique. Les lumières se sont rallumées et on s’est tous rendu compte qu’il ne nous restait que nos pauvres sexes entre les mains, comme des couillons. Parce qu’à l’image de cette élection, la vie n’est qu’une succession de défaites, qu’on se mange les unes après les autres, comme John Kerry se les ai prises état après état. Il n’y a évidemment, rien à « comprendre » dans cette vie. Et s’il y a un truc, ce n’est sûrement en matant un film avec le mec qui fait la voix de Chicken Little que vous le saurez. Tout d’un coup, Garden State ressemblait à un miroir sale qui nous renvoyait notre propre image, grotesque et vieillissante.

Pour cette génération de bébés adultes dorlotés que nous étions, Garden State était le roupillon indie par excellence, un monument du chiant qui avait déjà été reproduit à l’infini et qui le serait encore des dizaines de fois après son succès, avec Zooey Deschanel et/ou Michael Cera en prime. Ce film était destiné à ceux qui se sentaient mal avec eux-mêmes, et ne parlaient que de ça avec leurs semblables, qui prenaient finalement tous ensemble un malin plaisir à se tirer vers le bas.

Publicité

Et ce type, Braff, qui avait le rôle titre, le coton-tige bavard de Scrubs, et bah il était à notre image, sur-traité, dépendant de sa psychothérapie, galérien des sentiments parce que… stoooop. ! Braff était juste super chiant et super lourd et super agaçant et plein d’autres trucs qu’on voulait bien projeter sur lui, ce qui était très facile parce qu’il n’avait aucune face, Braff était l'avatar du désespoir.

Zach Braff passait la majeure partie du film à déblatérer des lieux communs qu’on a tous dû supporter durant de trop longues soirées à l’université – des looongues tirades sur des faux problèmes de privilégiés, comme la piscine ou Coldplay, et la lutte sans merci pour trouver des castings. Il nous présentait un panel de personnages clairement atteints de désordres mentaux, et en passant, le futur mec de The Big Bang Theory, Sheldon Cooper. L’image de Braff le faisait passer inintentionnellement pour le loser sensible de service, ce qui le prédestinait à devenir le prochain David Schwimmer.

Pour les mecs qui avaient une perversion pour ce qu’on appelle « les mystères de l’âge », les meufs borderline et autistes, il y avait la template du fantasme masculin en la matière : Natalie Portman. Cette meuf était aussi infernale qu'infantile avec ses tocs continuels, comme le fait que son jardin tout entier était transformé en cimetière pour animaux domestiques qu’elle avait tué à cause de sa négligence dégueulasse. Morbide, nan ? Lors d’une scène, elle et Braff organisent des funérailles pour son hamster décédé et Braff sort ENFIN un truc intéressant, il lui explique comment il a paralysé sa mère qui vient de mourir. Personne n’a pu s’empêcher d’éclater de rire à la suite de cet aveu, sorti tel un marmonnement inaudible de la bouche de l'acteur.

Publicité

Dans une des scènes les plus lourdingues du film, Braff et Portman surplombent une carrière bien fake réalisée sur Virtual Dub, un précipice qui est lui-même une métaphore de l’acting de puceau de Zach Braff. Ils sont plantés là, alors qu’il flotte, et Braff, qui cesse d’être un gros bébé pendant quelques secondes, devient un plus gros bébé encore lorsqu’il ouvre la bouche pour chialer sa mère de toute son âme, un triste tableau qui deviendra l’affiche du film. C’est à ce moment précis que tout le monde est sorti de son coma et a maté la back-cover du DVD pour voir combien de temps il restait encore à tenir.

Et puis, il y a la B.O. Quelle collection de daubes ! C’est comme si Zach Braff avait fait un shuffle de tous les morceaux refusés par Wes Anderson et les avaient mélanger aux titres qu’on entend dans les cabines d’essayage de Urban Outfitters. Imaginez un peu notre réaction, à nous, nerds ultime de l’indie-rock, de voir nos goûts chiants et imberbes jetés en pâture à un vulgaire public de salle de cinéma. Et tout le monde a applaudi en plus !

Et puis, comment pourrait-on oublier la scène avec The Shins ? Natalie Portman retire son énorme casque audio (il est si gros car son style de vie est alternatif mais vous ne pouvez pas capter), et lance à Braff « il faut que tu bla bla bla bla. Elle va bla bla bla bla. » Il écoute, et on réalise que le film entier est basé sur une putain de scène où un type écoute les Shins. Braff était ce type qui voulait te mettre la main au panier en te faisant une compilation CD-R.

Publicité

Dans la dernière scène du film (DIEU MERCI), à l’aéroport, évidemment « l’aéroport », Zach se rend compte qu’il a épuisé ses options de vie et que, plutôt que de retourner faire son ancien job dans un restau si raciste qu’il force ses serveurs blancs à s’habiller comme des Vietnamiens, il choisit de faire marche arrière pour pécho Natalie, descend de l’avion sans soucis des consignes de sécurité (ce qui au passage n’était pas très intelligent dans une Amérique post-11 septembre) et galope dans les couloirs pour finir par lui lécher le visage de haut en bas, précipitant le film dans un climax d’une durée de 20 secondes. C’est « Let Go » de Frou Frou qui conclue le tout, le long du générique, que vous bénissez d’être enfin arrivé.

Sérieux, Garden State a été l’histoire d’amour d’une génération entière de sociopathes inaptes sexuellement, avec leurs PEL et leurs problèmes de darons.

Ce n’était pas la faute de Zach Braff. Ce n’était pas celle de Natalie Portman non plus. C’était notre faute à tous, celle d’avoir créé cette culture-indie-cool peuplée de gros bébés uniquement préoccupées par leurs douleurs intérieures, qui a permis à des monstres d’entertainment narcissique comme ce film et sa bande-son de voir le jour et surtout de faire plein d’argent. On l’a simplement réalisé une année trop tard.

Garden State n’était pas aussi profond que les abysses conçus sur ordinateur renvoyant l’écho de Zach Braff. Il était aussi superficiel que le trou creusé par Natalie Portman pour enterrer son hamster mort. Ce n’était pas l’abîme qui gisait sous nos yeux, mais juste nos propres nombrils.

Suite à cet article, Zach Braff a fait une nouvelle fois le gros bébé sur le Twitter de VICE et de l'auteur :

Ce à quoi Dan Ozzi a dû répondre par un geste symbolique, que voici juste en dessous :

Dan Ozzi possède également toujours le DVD de Garden State. Il est sur Twitter - @danozzi