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Une histoire orale de « L 432 », compilation emblématique du rap français

Sortie il y a pile 20 ans, elle regroupait tous ceux qui allaient redéfinir le rap hexagonal à la fin des années 90, de Lunatic à Ärsenik en passant par Busta Flex et Casey.

Il y a tout juste vingt ans sortait ce qui reste encore aujourd'hui l'une des compilations les plus emblématiques du rap français : L 432, soit la réunion sur un même disque d'Expression Direkt, d'Oxmo Puccino, d'Ideal J, d'Afro Jazz et de quelques jeunes pousses vouées à redéfinir le rap hexagonal de la fin des années 1990 (Busta Flex, Casey, Lunatic, Ärsenik). Étrangement absente des sites de streaming aujourd'hui, L 432 n'en reste pas moins essentielle à l'évolution du hip-hop local. D'une, parce qu'elle réunit différents rappeurs autour d'une thématique ouvertement politique (en gros, l'abus de pouvoir et la liberté individuelle). De deux, parce qu'elle symbolise une époque où les compilations (La Haine, Première Classe, Hostile, etc.) trustaient le haut des charts et empilaient les (futures) têtes d'affiches. De trois, parce qu'elle fait entrer le rap français dans une nouvelle ère, plus crue, plus nihiliste et plus influente commercialement.

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On a donc profité de ce vingtième anniversaire pour retracer son histoire, de sa conception à son arrivée dans les bacs, aux côtés des principaux protagonistes. Flashback.

Weedy (Expression Direkt) : C'est Sébastien Farran qui, à l'époque, était directeur artistique d'Island Records. Il avait eu l'idée de cette compilation et, comme on était en passe de signer sur le label, il nous a demandé de bien vouloir participer au projet. Forcément, ça nous intéressait, d'autant que l'on a toujours pensé que le rap avait un rôle social à jouer – c'est aussi pour ça que, dans la foulée, on a participé à la compilation Sachons Dire Non, contre la montée du FN. Pour nous, refuser d'apparaître sur L 432, ça aurait été comme occulter notre position de leader d'opinion. Non pas que je m'estime politicien, mais c'est simplement être citoyen que de savoir prendre la parole quand on en a l'occasion.

Rocca : Ce sont les gars d'Island Records qui m'ont contacté et m'ont dit qu'ils voulaient absolument notre morceau « Là d'où l'on vient », que l'on avait enregistré un an plus tôt pour une compilation d'Arsenal Records, Le Vrai Hip-Hop. Le titre avait fait un gros buzz, il tournait pas mal dans la rue et les gars trouvaient qu'il collerait bien à L 432. Du coup, ils ont fait en sorte de récupérer la licence du titre, et voilà comment « Là d'où l'on vient » s'est retrouvé sur la compile.

Calbo (Ärsenik) : Quand on connaît la rivalité positive qu'il y avait entre NTM et le Secteur Ä, c'est quand même marrant de se dire que Seb Farran est venu nous chercher pour cette compilation. D'autant que l'on était encore jeunes à l'époque. On avait enregistré un titre pour L'Art d'Utiliser Son Savoir, qui nous a révélé, puis un autre sur Hostile. Mais là, c'était l'occasion pour nous de nous inscrire dans la continuité de ce que l'on voulait mettre en place, c'est-à-dire se construire une réputation avant de publier notre premier album. D'ailleurs, si tu enchaines les trois compilations, tu te rends compte à quel point notre style a évolué entre 1995 et 1997.

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Afro Jazz : Le projet étant chapeauté par Island, on retrouve toute la « famille » de Seb Farran sur ce disque. Avec Expression Direkt, signé comme nous sur le label, on a chacun eu la possibilité de poser deux morceaux, Casey, qui faisait partie de notre entourage avec NTM, a pu montrer tout son talent et Lady Laistee était la femme de Farran à l'époque. C'est donc normal qu'elle soit présente également. On se connaissait tous, on se croisait régulièrement au Midnight Express à Paris et L 432 symbolisait notre réunion. C'était le monde du rap et de la rue qui se retrouvait.

Weedy : À l'époque, la plupart des artistes présents sur L 432 faisaient partie de différents crews parisiens, comme les Blacks Dragons, les Requins Vicieux ou autres. On se connaissait donc tous, et il suffisait d'écumer les rues salles de Paris la nuit pour se croiser. Cela dit, tous les titres ont été enregistrés séparément. On n'était pas dans un projet à la « We Are The World ».

Thomas Blondeau (Journaliste) : L 432 arrive à une époque charnière pour le rap français. Les playlists n'existent pas encore, le CD règne en maître sur l'industrie et les compilations cartonnent. Il n'y qu'à voir le succès rencontré par Hostile ou Sad Hill pour comprendre que le format compilation était hyper important à l'époque. Dans un sens, il nous permettait d'écouter un tas d'artistes sans avoir à acheter les CDs de chacun. Mais là, L 432 arrive pile à un moment où le rap français veut faire du concept, avoir des thématiques bien précises. Le plus drôle, finalement, c'est que les ¾ des groupes présents ici ne parlent même pas de cet article du code pénal contre l'abus de pouvoir. Un peu comme si personne n'était réellement concerné, contrairement à 11'30 Contre Les Lois Racistes où là, pour le coup, tout le monde traite du sujet.

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DJ Sek : Il aurait peut-être fallu une « meilleure » direction-coordination artistique sur ce projet, diriger chaque groupe vers le thème avant d'enregistrer. Je pense aussi que, avec Lunatic, on a fait « Pucc Fiction » et « Les Vrais Savent » pour participer à une belle compilation de rap français. Du coup, le thème n'était plus imposé, c'était au bon vouloir des groupes.

Afro Jazz : Le thème a été défini parce qu'il fallait surfer sur le buzz, capter l'attention, mais on savait qu'on n'allait pas changer le monde. Honnêtement, on ne s'est même pas soucié une seconde de cette loi au moment d'écrire nos morceaux.

Rocca : À l'époque, on ne pouvait pas stationner en bas d'une gare ou d'une cité sans se faire contrôler, et « Là d'où l'on vient » parle de ça, de tout ce stress causé par toutes ces interpellations non justifiées. Aussi, il le faisait de manière plus violente que les autres morceaux de La Cliqua. C'est aussi pour ça qu'on l'a enregistré avec Daddy Lord C sous le nom de La Squadra, qui représentait le côté hardcore de La Cliqua. En gros, La Squadra, c'était l'union de l'Africain et du Colombien, et l'on s'éclatait à faire des passe-passe, à ne pas nous retrouver uniquement le temps d'un refrain. Et ça plaisait : si tu regardes bien, la plupart des titres de La Squadra ont eu un impact très fort, que ce soit « Requiem » sur la BO de La Haine, « Là d'où l'on vient » ou « Un dernier jour sur Terre ». C'était plus odieux, plus obscur, plus social, là où La Cliqua était plus dans la technique.

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Calbo : On était aller s'acheter une baguette à la boulangerie et on a reçu le coup de fil de Seb Farran. Avec Lino, on s'est demandé ce que l'on allait bien pouvoir dire, on a enchainé et ça a donné « Rimes et châtiments ». Comme on était très cinéphiles, notamment sur les westerns, on a placé cette petite introduction, on a enregistré le titre en une journée et on est parti faire écouter le morceau au bureau de Farran. Ce qui est marrant, c'est qu'à la fin du morceau, qu'ils avaient écouté les yeux fermés, les mecs bougeaient encore la tête. Ce que je comprends : moi-même, quand je le réécoute aujourd'hui, je me dis que l'on était très bon. Aujourd'hui, plus personne n'est dans cette optique de dire des choses avec du style. Nous, on faisait du sur-mesure.

Oxmo Puccino : À l'époque, on attendait notre tour pour avoir les instru, car on était de nombreux rappeurs pour deux producteurs : Mars et Kessey. Il y avait donc cette première version de « Le crime paie » avec cette boucle de piano, mais Ali et Booba ayant délaissé cette prod pour celle que l'on connait, j'en ai profité pour la récupérer et m'en servir sur « Pucc Fiction »… À la fin, je voulais qu'intervienne Booba, car on avait un petit collectif dans le collectif - composé de Lunatic, Pit Baccardi et moi-même -, au sein duquel on n'hésitait pas à échanger des couplets sur nos morceaux. Aussi, je connaissais Ali depuis déjà un petit moment, bien avant la musique, ce qui se passait en studio était donc indescriptible. Il fallait y être pour comprendre à quel point tout ceci était fraternel.

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DJ Sek : À l'époque, Sébastien Farran avait entendu parlé des artistes de notre label, Time Bom, et est entré en contact avec DJ Mars, Ricky Le Boss et moi-même pour produire deux morceaux, à savoir « Pucc Fiction » d'Oxmo, réalisé par DJ Mars, et « Les vrais savent » de Lunatic, réalisé par mes soins. Tout s'est fait au Studio Davout, dans le 20 ème arrondissement, en quatre jours : deux jours de recording et de deux autres pour le mixage. L'ambiance était vraiment bonne, très professionnelle également. Le seul problème, c'était ce mix de Tony Smalios [ingé son américain ayant bossé, entre autres, pour Mobb Deep, Nas ou A Tribe Called Quest], qui était censé s'occuper de l'intégralité de la compilation. Il ne nous plaisait pas du tout et, avec Jeff Dominguez, on est parti refaire celui de « Les vrais savent » au studio Plus XXX, dans le 19 ème. Cette seconde version était meilleure, plus pêchue, et l'équipe a validé.

Weedy : « La roue tourne » existait déjà, donc on l'a simplement remixé avec notre producteur au Studio Davout, où l'on avait nos habitudes pour y avoir déjà enregistré « Mon esprit part en couilles ». Quant à « Il boit pas, il fume pas, mais il cause », avec Abuz, on l'a écrit comme nos autres titres : sur le vif. Là, ça s'est passé dans le train. Il y avait un gars hyper chiant, qui n'arrêtait pas de parler et on a fini par se dire qu'il faudrait faire un morceau sur lui. En plus, ça venait casser l'image d'Express D, soit quelque chose de violent et jusqu'au-boutiste. Là, c'était un morceau marrant et ça élargissait un peu notre palette, surtout avec le flow d'Abuz qui se mélangeait parfaitement au notre.

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Afro Jazz : Honnêtement, on n'est pas trop fan de « 3 spliffs et 1 freestyle », il n'est pas dans notre top 10. L'expérience a été intéressante, mais le résultat est assez anecdotique : on savait que l'on devait faire un morceau avec Lucien, avec qui on trainait beaucoup à l'époque, et comme on avait trois spliffs dans la poche, on a commencé à délirer là-dessus. Ça a donné ce morceau. En tout cas, ça été du lourd de pouvoir enregistrer au Studio Davout, même si « 3 spliffs et 1 freestyle » a finalement été retiré de la tracklist. Peu de gens le savent, mais il existe en fait deux versions de L 432. Dans la première, il y a nos deux morceaux. Mais il en existe une seconde version avec un deuxième titre de Lady Laistee à la place de « 3 spliffs et 1 freestyle ». Une des phrases de Lucien avait choqué [« Un des piliers du Front National s'appelle OCB »] et le label avait décidé de retirer les 15 000 exemplaires dispos dans les bacs pour en proposer une nouvelle version.

Rocca : Même si tous les titres ont été enregistrés séparément, il faut quand même préciser que l'on se connaissait tous à l'époque. Il n'y avait pas internet et pas de mytho possible. Dès que tu rappais, tout le monde savait qui tu étais, d'où tu venais, ce que tu disais et si ta main tremblait au moment de faire la différence. Tout le monde allait voir tout le monde sur scène, histoire de prendre le pouls des tendances et de s'améliorer pour mettre les autres à l'amende. On n'achetait pas de vues sur YouTube et nos auditeurs n'étaient pas des bobos. Ceux qui t'écoutaient venaient de la rue, donc si tu insultais à tout-va comme c'est le cas aujourd'hui, il fallait ensuite affronter le mécontentement de mecs qui ne craignaient rien.

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Weedy : Il y avait bien entendu un certain challenge à participer à ce genre de projet, mais je n'ai jamais été à me demander si les autres rappeurs présents feraient mieux. Avec Express D, on avait l'habitude d'être boycotté, donc on voyait simplement ce genre d'invitation comme un moyen de montrer notre talent. On ne peut donc que se réjouir de l'impact d'un morceau comme « La roue tourne ».

Calbo : Instinctivement, on voulait être meilleur que les autres présents. On savait d'ailleurs qu'on avait un style fort, avec des combinaisons de rimes hyper complexes, des métaphores et des jeux de mots hyper poussés pour l'époque. On basait tout là-dessus et sur notre potentiel à se démarquer des autres. Quand Kenzy nous a repéré et recruté au sein du Secteur Ä, son idée était d'ailleurs de nous faire participer à plusieurs compilations, de multiplier les featurings et d'habituer les gens au style Ärsenik avant de nous faire sortir notre premier album. Il a réussi à créer de l'attente, et ça a marché. Comme quoi, quand tu participes à ce genre de compilation, il faut savoir composer le morceau que les gens écouteront le plus.

Rocca : Sur ce genre de projets, tu sais que tu es attendu au tournant et qu'il faut sortir le meilleur morceau possible pour faire la différence. L'argent, on s'en foutait tous. De toute façon, qu'est-ce que tu peux espérer d'une compilation où il y a une quinzaine d'artistes à rémunérer, tout en sachant que la maison de disques se prend le plus gros pourcentage ? Tu touchais des clopinettes, mais c'était un possible tremplin pour te faire respecter au-delà de ton quartier et signer sur de plus gros labels.

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DJ Sek : Il y avait sans doute cette notion de compétition, mais ça n'a jamais été important pour nous de connaître le tracklisting d'une compilation pour y participer. Après, il faut dire aussi ce qui en est : grâce à cet opus, des maisons de disques se sont intéressées à notre travail… Delabel, par exemple, a fini par signer Oxmo fin 1997, et m'a proposé en 1999 de devenir directeur artistique de la structure.

Weedy : Au sein d'Express D, on se foutait un peu des rappeurs présents. On faisait davantage attention au nom du producteur. Il y a toujours un nom derrière une compilation, et si tu le connais et le respecte, tu sais que le travail sera bien fait. Ça n'a pas manqué pour L 432, même si la compil a moins compté dans notre carrière que la BO de La Haine. « La roue tourne » a certes été notre premier morceau à passer en rotation sur Skyrock, mais les gens retiennent La Haine et « Mon esprit part en couilles », qui était né d'une compilation d'ailleurs. Malgré tout, on savait que c'était l'occasion pour nous de faire la différence. L 432, c'était un peu un The Voice underground.

Calbo : Il n'y avait pas internet à l'époque, donc tu avais besoin de ces compilations pour exister et faire ta promo. Bon, on ne calculait pas comme ça, et ce n'est qu'avec le recul que je me dis que Kenzy a été malin de nous intégrer à ce genre de projets, mais il faut bien avouer que si on a des afficionados encore aujourd'hui, c'est grâce à tout ce travail. À l'époque, on était encore dans notre chambre, on rappait sur des lits superposés. C'était de la passion, on ne participait pas à ces compilations pour l'argent. On n'avait de toute façon pas conscience de pouvoir vivre du rap. On. Si tu nous filais 100 francs pour un morceau, on était aux anges.

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Oxmo : À l'époque, on ne comptait pas sur les maisons de disques, on voulait juste être les meilleurs, et toutes les occasions de s'exprimer étaient les bonnes, sur scène ou en studio.

Rocca : Il faut être honnête : avec Daddy Lord C, on n'aurait pas posé un texte à côté de Sardou ou Souchon, donc on faisait un peu attention aux artistes présents. Après tout, on n'était pas là pour donner de la crédibilité à des gars qui n'en auraient jamais. Si on a participé à L 432, c'est donc parce que ça nous paraissait solide et que ça cherchait à mettre en avant une opinion. C'était une façon de dire que, oui, on rappe, oui, on vient de la rue, mais écoutes un peu ce que l'on est capable de faire. C'était comme faire partie d'un mouvement de contestation.

Calbo : Aujourd'hui, le mouvement hip-hop est devenu tellement nombriliste que ce ne serait plus possible de mettre en place un tel projet. Les rappeurs parlent uniquement d'eux, ne se mélangent plus et rien n'est fait pour encourager ce genre de réunion artistique. Pour qu'une telle compilation voit le jour en 2017, il faudrait qu'un mec se lève, se bouge et rassemble tous les acteurs autour de lui. Le problème, c'est que je ne vois pas quelqu'un capable de faire ça aujourd'hui. D'autant que le rap est moins compétitif, et ne dit plus rien…

Thomas Blondeau : L'absence de compilation aujourd'hui est liée à l'apparition du numérique. En 2017, on n'a plus besoin de ce genre de compilation, on peut les faire nous-mêmes, sachant que tout ce qui sort est disponible sur le web. À l'époque, en revanche, il fallait compter sur les labels pour écouter ce genre de projets, dont ils raffolaient : Hostile avait bien fonctionné, IAM venait de remporter sa Victoire de la musique, Solaar avait enchainé deux Disques d'or, toutes les majors avaient compris qu'il était temps d'investir dans le rap, et n'hésitaient donc pas à publier des projets audacieux, voire hardcore, tant que ceux-ci pouvaient avoir un intérêt financier.

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Weedy : L 432 arrive en plein boom Skyrock et a une vraie répercussion sur le plan national, avec un thème très clair, une revendication et une vraie liberté d'expression. En plus, la brochette d'artistes est impeccable, ça en fait forcément une pépite.

Rocca : C'est même plus qu'un album culte quand on connaît son thème original. Ça en devient presque un tract politique, le reflet de la pensée du peuple. Rapidement, L 432 est devenu une façon de faire barrière, de revendiquer et de protester, sans tomber dans le discours politique lourdingue. Là, c'est plus comme si on disait que la seule arme politique qui comptait pour nous, c'était la violence. On savait qu'on ne changerait rien d'un point de vue politique, mais on se disait que ça pourrait servir de porte-étendard ou de drapeau à une révolution. C'est tout l'intérêt de L 432, qui apporte un point de vue très net sur ce qu'il se passait en 1997.

Calbo : On sait bien que la musique ne peut pas changer le cours des choses, mais elle nous sert à relater des faits. Malheureusement, ceux-ci sont rarement pris en compte par les hommes politiques. Il n'y qu'à voir des évènements récents comme l'affaire Théo pour comprendre que le thème de L 432 reste tristement d'actualité… Pour tout dire, sur mon prochain album solo, il y a un titre que j'ai enregistré il y a quatre ans. Ça pourrait paraître daté, mais le thème est toujours très actuel, malheureusement. Les politiques ont changé, mais leur discours reste le même : ils te disent ce que tu as envie d'entendre, mais aucun ne changera ou n'améliorera ta vie.

Oxmo : Si je pouvais expliquer pourquoi rien n'a changé depuis L 432, nous n'en serions pas là… Je pense qu'il y'a eu beaucoup d'incompréhension sociale et que l'histoire nous a rattrapé. À mon avis un problème que l'on nie ne se règle pas tout seul. Il y a eu méprise sur des maux d'envergure nationale que l'on ne pensait que communautaire.

Rocca : Personnellement, je suis dans le même état d'esprit qu'à l'époque. Je n'aime toujours pas la police et les institutions, dans le sens où j'ai toujours ressenti une agression physique et constante de leur part. C'est un peu pour ça que je rappe, d'ailleurs : j'ai toujours eu besoin de ressortir cette haine pour ne pas tomber dans des actes extrêmes. Et crois-moi, je n'exagère pas : je ne me suis jamais senti protégé par la police. Pour moi, ce ne sont que des chiens de l'État : ils agissent par rapport à des ordres et ne réfléchissent pas en tant qu'être humain. On ne peut pas résonner avec eux, ils ont toujours raison de par leur légitimité. En plus, ils représentent une institution dans laquelle je ne me sens représenté. Mais ce n'est pas propre à la France : c'est pareil en Colombie ou à New York, par exemple.

Thomas Blondeau : Malgré le thème, personne n'a parlé de la sortie de cette compilation en dehors des magazines spécialisés. Heureusement, ça ne l'a pas empêché de rapidement devenir culte. Je me souviens que, quinze jours après sa sortie, tout le monde était au courant de cette loi et de son contenu. Quelque part, ça a contribué à faire bouger les choses, moi-même ça été mon premier rapport à la justice. Ce qui prouve aussi que ça été une super idée d'appeler cette compilation ainsi. Ça lui a tout de suite donné un aspect culturel très fort.

Weedy : Je crois n'avoir entendu que de bonnes critiques sur cette compilation. Ça marquait l'avènement de Lunatic, de beaucoup de nouveaux groupes et d'une nouvelle génération de rappeurs qui allaient s'imposer comme des poids lourds : Ärsenik, Ideal J, Busta Flex, etc.. Ce n'est pas une compilation anodine.

Calbo : Pour Island Records, cette compilation était un moyen d'obtenir une certaine authenticité auprès du public rap. Et ils l'ont eu : L 432, c'est un classique, une compilation intemporelle. Ça te rappelle où tu étais en 1997, ça parlait aux gens et ça leur permettait de se reconnaître dans ce que tu disais.

Rocca : Que ce soit avec La Cliqua ou La Squadra, on a toujours été très actuel dans les thèmes que l'on abordait. Là, « Là d'où l'on vient » collait bien à l'ambiance de la compilation, et ça a permis au morceau d'avoir un impact médiatique assez costaud. Un impact populaire également, dans le sens où on me demande ce titre à chaque concert aujourd'hui encore.

Thomas Blondeau : L 432 négocie un virage important dans l'histoire du rap français, en l'amenant d'un truc hyper conscient vers quelque chose de plus cru, de plus individualiste et de plus nihiliste. En gros, c'est une période où l'on n'a pas encore tranché entre Assassin et le gangsta-rap à la Time Bomb, entre les anciennes et les futures générations. Dans la compil, beaucoup s'essayent d'ailleurs aussi bien au rap conscient qu'à l'egotrip. C'est aussi la première vraie apparition de beaucoup d'artistes : c'est le premier succès de Lady Laistee, la révélation d'Ärsenik et de Casey, la confirmation du talent d'Ekoué, etc. Ça été un nid pour les futures stars du rap de la fin des 90's. Même Lunatic n'était pas encore Lunatic à ce moment-là. Ce qui prouve bien que le rap entre alors dans une nouvelle ère, en rupture avec l'éthique des premières générations - ce n'est sans doute pas un hasard si NTM, IAM, Solaar ou Assassin sont absents ici.