Il est plus que temps de rendre justice à Poly Styrene

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Il est plus que temps de rendre justice à Poly Styrene

La chanteuse de X-Ray Spex, décédée en 2011, sera prochainement le sujet d'un documentaire intitulé « I Am a Cliché ». À cette occasion, nous sommes revenus avec sa fille sur l'héritage que nous a laissé cette figure incontournable du punk.

Impossible de ne pas être instantanément scotché par la voix stridente de Poly Styrene à l'écoute de l'imparable « Oh Bondage Up Yours! », l'hymne de X-Ray Spex qui dressait un portrait au vitriol des adeptes du « sois belle et tais-toi ». Petite boule de nerfs adolescente affublée d'un appareil dentaire, Poly Styrene était increvable, inflexible, invulnérable : personne ne pouvait lui clouer le bec - et ce, bien avant qu'elle ne devienne une icône punk.

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Le jour où j'ai découvert les disques de X-Ray Spex, la voix de Poly a immédiatement transpercé l'épaisse couche de rage adolescente dissimulée sous mes fringues de seconde main pour me toucher directement en plein coeur. C'étaient les années 90, je commençais à m'intéresser au punk et j'écoutais des compiles sur K7 que m'enregistraient mes amis les plus cools et les mieux informés. J'ai remarqué d'emblée que la voix de Poly Styrene me rappelait celle d'autres chanteuses que j'écoutais à cette période, comme Kathleen Hanna et Corin Tucker, pour ne pas les nommer. Mais ça ne m'avait même pas effleuré l'esprit une seule seconde que cette voix avait précédé de deux décennies les premiers disques de Bikini Kill et Sleater-Kinney.

20 années plus tard, l'heure est venue de rendre justice à Poly Styrene et X-Ray Spex. Un crowdfunding a été lancé pour financer I AM A CLICHÉ, un documentaire co-écrit par sa fille, Celeste Bell, qui en est également la narratrice. Le plan étant de sortir le film pour le 40ème anniversaire de Germ Free Adolescents, le seul et unique album de X-Ray Spex, sorti le 10 novembre 1978 sur EMI.

Si vous n'êtes pas familier de ce disque où de Poly Styrene, c'est donc le moment ou jamais. En 1976, alors que les Sex Pistols étaient produits et manufacturés par la gérante d'un shop de sapes fétichistes et un génie du marketing, la jeune Poly Styrene était elle une ado obsédée par le plastique et les couleurs fluorescentes, en rébellion contre le consumérisme, l'abus de pouvoir et la misogynie. Après avoir vu un des premiers concerts des Pistols à Hastings Pier, le 3 juillet 1976 (jour de ses 19 ans), Poly—Marian Elliot-Said de son vrai nom—s'est dit que si ces mecs étaient capables de faire de la musique, elle le pouvait aussi. Elle a alors déposé des annonces dans le NME et Melody Maker avec ce mot d'ordre en guise d'en-tête : « YOUNG PUNX WHO WANT TO STICK IT TOGETHER ».

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L'adolescente aux dents cerclées de ferraille avait fui le foyer familial dès l'âge de 15 ans pour tracer la campagne anglaise et était prête à prendre la scène punk londonienne d'assaut. Une fois le groupe formé, les X-Ray Spex ont donné leur premier concert au Roxy après six répètes seulement. Grâce à l'aura de Poly et à sa dégaine ahurissante, le groupe a très vite fait parler de lui.

Quand j'ai commencé à m'intéresser à la musique de Poly, YouTube n'existait pas, et je n'ai pas pu à cette époque voir les incroyables vidéos de X-Ray Spex en live. Si j'avais pu, j'aurais probablement tout fait pour singer Poly en me sapant en pastel, avec des serre-têtes débiles, au lieu de céder aux sirènes du grunge, et j'aurais certainement été moins complexé par mon appareil dentaire et mes cheveux bouclés. Plus encore, le fait qu'une meuf métisse ait été à la tête d'un des groupes les plus marquants des débuts du punk m'aurait certainement inspiré à faire de même.

Selon Celeste, beaucoup de choses ont été dites dans les tabloïds sur la mixité des parents de Poly. Sa mère, Joanne, était blanche et son père était un aristocrate somalien déclassé. Des tas de gens ont jugé bon avancer que « Identity » était un morceau évoquant identité raciale alors qu'en fait, Poly l'avait écrite après avoir vu une fille tenter de se suicider dans les toilettes d'un club. L'Angleterre de la fin des années 70 était rongée par le racisme et le ressentiment envers les immigrés. Mais Poly s'élevait au-dessus de ça et défiait les stéréotypes, tout ça l'amusait et elle déclarait même : « J'ai toujours été ravie, et aussi intriguée, par mon arbre généalogique qui incluait des princes espagnols, des Celtes, des Imams, d'anciens Bretons et des chefs de tribu du Somaliland qui descendaient d'Abraham et de Sarah. »

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Les gens ont aussi fait tout un foin de l'enfance de Poly, soi-disant misérable, à Brixton, quartier difficile du Sud de Londres où se côtoyaient des tas d'ethnies - mais ce n'était pas tout à fait vrai. « Maman avait quitté Bromley parce qu'elle trouvait le coin trop blanc et trop snob, elle ne voulait pas que je grandisse dans un quartier où nous n'aurions jamais été acceptées. Voilà pourquoi nous avons déménagé à Brixton. Même si la vie y était un peu austère, on a toujours été bien nourris, propres et présentables—maman était secrétaire juridique, et là où on vivait, c'était considéré comme un coin plutôt bourge ! »

Poly refusait d'être mise dans une case par des gens qui voulaient raconter son histoire de l'extérieur. Elle était complètement différente dans la vie de son personnage sur scène. On peut très bien le voir sur cette incroyable interview pour la télé australienne, tournée en 1977, où Poly garde tout son calme devant les questions intimes du journaliste. Dans le même genre, on peut également voir une Poly affable et contemplative déambulant dans les rues de Londres avant un de ses concerts dans ce reportage diffusé sur BBC4.

Poly n'explosait réellement qu'une fois sur scène. C'était comme si cette voix devait à tout prix sortir et que le corps de Poly n'était qu'une enveloppe contenant cette force d'un autre monde. Et Poly n'était pas du genre à décorer cette enveloppe pour faire plaisir aux autres ou à imposer une quelconque notion de féminité. « J'ai toujours dit que je n'étais pas un sex symbol et que si quelqu'un essayait de me faire passer pour ça, je me raserais la tête dès le lendemain » déclarait-elle dans une interview pour le NME en mai 1978. Ça n'a pas traîné, quelques semaines plus tard, elle se passait un coup de tondeuse dans l'appart de Johnny Rotten.

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Dans cette même interview, Poly parlait de partir vivre à la campagne avec sa mère et sa soeur, qu'elle avait le sentiment d'être à bout. « Tu as tout le temps l'impression que les gens te vident, ils te vident de ton énergie jusqu'au jour où tu te dis, 'Mais merde ! Je n'ai plus rien sous la pédale, laissez moi tranquille.' » X-Ray Spex venaient de rentrer de New York après une résidence de deux semaines au CBGB, où ils jouaient deux fois par soir. Toutes les visions fantaisistes de Poly sur ce monde superficiel étaient devenues tangibles. « Pour eux, ce n'était pas une blague, ils vivaient comme ça pour de vrai. Pour moi c'était de la déconne : je jouais avec ça, je me régalais, je me marrais avec ça, parce ce n'était pas encore arrivé chez nous. Mais quand tu arrives là-bas, c'est tellement horrible que tu te dis, M'on Dieu, si c'est ça le futur, je n'en veux pas.' »

La société américaine ultra plastique personnifiée par NYC à la fin des 70 et les vampires du quartier de Chelsea à Londres commençaient à faire flancher Poly. Et c'était avant même que Germ Free Adolescents ne sorte. L'habilité de Poly à faire front et à endurer les affres de la célébrité s'épuisait elle aussi.

Quand j'ai demandé à Celeste pourquoi les Spex n'avaient sorti qu'un seul album, elle m'a répondu : « Ma mère a fait une grosse dépression nerveuse quand X-Ray Spex ont été au top de leur succès. Voilà la principale raison—c'était devenu too much pour ma mère, et elle voulait retourner dans l'anonymat. » Poly a aussi découvert à cette période qu'elle souffrait de troubles bipolaires.

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Celeste poursuit : « Elle s'est toujours sentie différente des autres, depuis son enfance, elle avait de gros problèmes de concentration à l'école, elle avait beaucoup de mal à se maîtriser—elle se retrouvait souvent mêlée à des bagarres et ses humeurs fluctuaient énormément. Dès son plus jeune âge, elle se doutait que quelque chose n'allait pas. Mais ce n'est qu'une fois la vingtaine qu'il est devenu évident qu'elle souffrait de graves troubles mentaux. »

À l'image de l'explosion du punk au Royaume-Uni et de sa mort quasi instantanée, Poly était une flamme vive et étincelante qui n'avait que d'autre choix que de s'éteindre d'elle-même. Avant sa mort, à l'âge de 53 ans, survenue en 2011 à la suite d'un cancer des poumons, Poly a enregistré deux autres albums—le lunatique Translucence, juste après son départ de X-Ray Spex, et le courageux et engagé Generation Indigo, qu'elle a sorti et promu juste avant sa disparition.

Jusqu'à la fin, Poly est restée optimiste, comme une vraie guerrière. Sur son lit de mort, elle a même annoncé à un journaliste du Guardian : « J'essaie de ne pas être négative ou cynique. Même si nous vivons dans une époque délirante, économiquement, avec des guerres, quand le cours des choses vacille à l'extrême droite, il revient forcément à gauche. Nous devons faire attention à nos prochains, partager. Génération Indigo ce sont les gens qui manifestent dans la paix, et ça a déjà lieu sous nos yeux. »

Et d'ajouter : « Tu te souviens de cette vielle chanson 'Que Sera Sera, Whatever will be, will be, the future's not ours to see' ? j'ai toujours ressenti ça. Ma vie a été une vraie montagne russe, mais je n'y changerais pas la moindre chose. »

Chanceux que nous sommes, le tour de manège de Poly va enfin recevoir le traitement qu'il mérite. « Dans ce documentaire, conclut sa fille Céleste, vous verrez que ma mère était, en plus d'une incroyable chanteuse et auteure, une vraie artiste visionnaire, et avait des années d'avance sur son époque. »

Vous pouvez soutenir la réalisation de Poly Styrene: I Am A Cliché sur Indiegogo.

Rachel Fernandes vit en Californie où elle écrit et produit des films. Elle est sur Instagram.