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« Compte Tes Blessures » va vous changer de « Camping 3 »

Le réalisateur Morgan Simon nous parle de son film, le premier à s'intéresser au microcosme de la scène post-hardcore parisienne.

Alors que ce 25 janvier voit la ressortie en salles des Bronzés font du ski et d'un nouvel épisode des Monos au Népal, il est agréable de voir que le cinéma français peut parfois proposer quelque chose de nouveau. Morgan Simon, qui a déjà réalisé 6 courts-métrages depuis 2010, passe enfin au stade supérieur : le film, le long, le vrai. Et sur une histoire de « triangle oedipien » plutôt classique (un jeune adulte torturé tombe amoureux de la nouvelle meuf de son père), il capture en toile de fond et pour la première fois, bien au-delà d'un simple tatouage dorsal de Nicolas Duvauchelle, la complexe scène post-hardcore parisienne. Le héros du film, l'acteur Kévin Azaïs (qu'on pourrait rebaptiser le Frank Carter français) a été coaché vocalement et scéniquement et l'authenticité du résultat est bluffante. Les mecs ont carrément créé un groupe fictif lié au film, VII Day Diary (La Femis hardcore represent !), qui n'a rien à envier à ses homologues screamo ou metalcore américains (toujours lancés dans ce gênant concours du groupe au nom le plus long). Compte Tes Blessures est d'ailleurs un détournement du titre du premier album du groupe anglais Bring Me The Horizon, mais le jeune réal ne fait pas que s'inspirer et traîner rue Keller, il a des trucs à dire, la tête sur les épaules et reste bien droit dans ses Vans. On s'est dépêché de lui poser quelques questions avant que Kev Adams n'ait l'idée de monter une comédie sur le straight edge.

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Noisey : D'abord, quel âge as-tu ? Les sources ne sont pas très fiables sur le net…
Morgan Simon : J'ai 30 ans, mais il paraît que, pour l'instant, j'en fais 10 de moins, ça explique quelques confusions…

Tu voulais déjà faire des films quand t'étais gosse, ou la vie te destinait à autre chose ?Je n'ai jamais rêvé de faire du cinéma. J'ai vécu en banlieue parisienne dans une famille assez modeste, sans lien particulier avec ce milieu. Jusqu'à 21-22 ans je n'allais jamais au cinéma, hormis une fois par an pour aller voir L'Arme fatale 4. Mais j'ai un grand souvenir de Jurassic Park en salles étant enfant. Après un bac scientifique, j'ai étudié deux ans la biologie à l'université, mais j'ai senti qu'il fallait que je fasse autre chose. Je me suis réorienté un peu à l'arrache et ai intégré un cursus de communication, c'est là qu'un prof nous a demandé de réaliser des films, en nous débrouillant pour les faire. Il nous a montré le début de 2001 : l'odyssée de l'espace, c'était incroyable, et certainement illégal. Puis tout s'est enclenché, j'ai voulu continuer, un an et demi plus tard j'étais à La Fémis. Là, j'ai vraiment découvert le cinéma et développer mes goûts, Gus Van Sant, Alan Clarke, Jean Vigo, Pialat, Cassavetes, Harmony Korine, les frères Dardenne, Ozu…

On voit de plus en plus de jeunes réalisateurs percer, tu penses qu'il y a une démocratisation de la pratique en France ? Vu que l'accès est longtemps resté bouché… 
C'est moins sacré qu'avant dans le sens où l'on peut faire des films avec des téléphones portables, c'est d'ailleurs comme ça que j'ai commencé. Il y a aussi un terreau favorable en France où le système de financement permet à pas mal de films de voir le jour. On dit qu'il y a trop de films, mais je préfère qu'il y en ait trop que pas assez. Car dans ce flot, il y a des gens qui ont vraiment des choses à dire, et crois-moi, aujourd'hui on en a gravement besoin.

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Parle-moi de ton expérience dans la scène punk au sens large. Quand as-tu commencé à t'intéresser à l'emo et au screamo ? Il y a des groupes ou concerts qui t'ont marqué ?
Le premier album que j'ai acheté c'était à l'adolescence, The Battle of Los Angeles de Rage Against The Machine. RATM a développé un son unique, un engagement politique fort, tout en propageant son message au grand public, c'est exemplaire. C'est avec la BO de Tony Hawk's Pro Skater 2 que j'ai basculé, notamment « No Cigar » de Millencolin. Leur album Pennybridge Pioneers a changé ma vie. Puis parcours classique : punk-rock, emo, hardcore, indie, avec Blink, New Found Glory, AFI, Saosin, From First To Last, Minor Threat, Agnostic Front, The Casualties, Bring Me The Horizon, Algernon Cadwallader, The Used (le titre anglais du film, A Taste of Ink, est une référence à un de leurs morceaux). Je me souviens d'un concert d'anthologie de Finch à l'Élysée Montmartre, je suis parti de là tellement trempé de sueur qu'on aurait dit que je sortais de la douche, les gens dans le métro me dévisageaient, c'était cool.

J'imagine que le titre de ton court-métrage, American Football, est lié au groupe américain du même nom ?
Oui, c'est complètement lié. Je voulais retrouver l'énergie de leur musique, douce et mélancolique, dans le film. D'ailleurs, le morceau du générique de fin de ce film s'appelle « Soccer » et je n'ai su qu'un an ou deux après que Good Health l'avait composé des années auparavant en référence à American Football !

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C'est celui-là (suivi de Essaie De Mourir Jeune) qui a servi de base à Compte Tes Blessures Justement, c'était pas un peu contradictoire de prendre un mec de 30 ans pour jouer un rôle d'ado ?
Ces deux courts-métrages ont beaucoup nourri Compte Tes Blessures, ils m'ont permis d'approfondir mon rapport aux personnages et d'aller chercher des choses plus sombres, plus personnelles. Les personnages principaux de ces trois films ont 25 ans, tout comme les acteurs qui les incarnent, ils entrent dans le monde adulte, mais sont encore attachés à leur enfance, ou liés à une autorité parentale qui les empêche de s'émanciper. Ce qui est contradictoire, c'est plus ce rapport à ses parents alors qu'on est adultes, et c'est justement cette contradiction-là qui pour moi fait de ces personnages des personnages de cinéma : des gens simplement humains, qui veulent des choses totalement contraires les conduisant dans une impasse.

Pour ce premier long-métrage, Kévin Azaïs a été coaché vocalement et scéniquement. Tu peux me parler de cette préparation et du groupe créé pour l'occasion, VII Day Diary ? A-t-il vocation à exister dans le réel ?
Le deal avec Kévin était qu'il soit capable de « screamer », en studio et en live, que ça soit crédible. Il a été coaché par Julien Krug, chanteur de Post Offense, qui a joué dans mes courts. On l'a emmené voir Converge, il s'est plongé sérieusement dedans. Deux morceaux ont été écrits pour le film, puis enregistrés en studio, ils sont d'ailleurs disponibles sur iTunes et Spotify avec la BO du film. Avec VII Day Diary, l'idée n'était pas que ce soit le meilleur groupe de la terre, juste un groupe de la scène, qui tourne, a fait des EP. Il y a quelque chose de touchant là-dedans. Parce que cette scène, elle ne fera jamais d'argent, surtout en France, on fait ça pour le besoin et le plaisir de le faire, aussi pour que ça existe, un peu comme ce film. Kévin est parvenu à screamer avec ses tripes, à prendre du plaisir, et surtout interpréter avec son émotion d'acteur. Il y a sans doute des maladresses, mais tout est en live dans le film, parce que quand tu aimes ce genre de musique c'est impensable autrement. Kévin était partant pour remonter sur scène une fois ou deux, j'aimerais bien que ça se fasse.

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Dans la bio du groupe sur Facebook, il est écrit : « It's about Sex and Drugs… But most of all about Rock&Roll ! » Ce n'est pas trop ce que je retiendrais de la scène screamo haha !
C'est clair ! Ce devrait plutôt être « Vegan & Straight-Edge 4 Life <3 ». D'ailleurs, je me suis toujours dit que ça devrait être super dur d'être vegan ET straight-edge, genre y'a quoi dans le frigo ?! Je taquine, mais au moins il y a des gens qui ont des convictions, qui sacrifient des choses dans leur vie pour être en accord avec leurs valeurs. Le côté contestataire de cette scène aujourd'hui se trouve dans ces mouvements, et moins dans un engagement politique explicite comme dans les années 1980. Sinon, il faut vraiment que je fasse corriger cette bio sur Facebook…

Parle-moi des groupes que tu as utilisés dans la B.O. D'où viennent-ils ?
Je suis hyper heureux et fier d'avoir un morceau de Circa Survive, mon groupe préféré, dans Compte Tes Blessures. Apparemment, ils n'étaient pas chauds au départ pour être dans un film, mais ils ont compris que j'étais sérieux, que j'étais vraiment un fan, j'étais à leur concert au O'Sullivans quelques semaines avant le tournage. Il y a aussi un morceau de Devil Sold His Soul, « An Ocean of Lights », qui est pour moi leur meilleur, super planant. Ensuite, il y a des titres de Good Health, groupe composé d'un seul membre : Zachary Garren. Il a été l'un des guitaristes de Dance Gavin Dance et joue dans Strawberry Girls. Il a créé ce groupe indie/acoustique à côté, vraiment très peu connu. J'ai suivi tous ses albums dans lesquels j'ai pioché des morceaux et à partir desquels sont nés plusieurs de mes films. Compte tes blessures c'est notre quatrième film ensemble, mais on s'est jamais vus, même pas en Skype. À côté de ça, le film va chercher un équilibre avec de la musique plus mainstream, notamment latino, « Suavemente » d'Elvis Crespo, Julio Iglesias, ou plus rock-electro-rock à la Breathe Carolina avec The City. C'est un mélange inhabituel, mais je t'assure très cohérent !

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Tu as aussi travaillé sur un clip pour les Californiens de Being As An Ocean. Il y en a d'autres de prévus ?
On est allé filmer BAAO lors de la tournée Never Say Die! à Bordeaux, essentiellement pour une scène de pogo dans le film. En voyant les rushes, j'ai senti qu'il y avait plus que ça. Je me suis dit qu'il fallait en faire quelque chose, parce que le concert avait au départ été annulé, nous avons tourné dix jours après les attentats du 13 novembre. Maintenir le concert c'était important, ça signifiait que tout cela devait continuer. Le groupe et la société de production ont adhéré tout de suite à l'idée de faire un clip avec ces images, parce que cela dépassait le film, tout en le prolongeant aussi. Le groupe a souhaité le dédier aux victimes des attentats.

J'y ai cherché la quintessence de ce qu'est cette musique, un exutoire, un lâcher prise, tout en retranscrivant la philosophie du groupe, cette idée d' « océan », de rassemblement des âmes et des cœurs, en un moment, en un endroit. On a communiqué en France sur le clip pour la sortie du film, mais le groupe le sortira officiellement plus tard, en accord avec le calendrier de leur prochain album. L'idéal serait que cela se fasse en parallèle d'une première nord américaine du film, qui sait. Tyler Ross vit à Paris désormais, il est venu à la projection équipe et à l'avant-première, il a bien kiffé ! Pourquoi ne pas retravailler ensemble sur autre chose, ce sont des gens hyper généreux et curieux, ils m'ont toujours fait confiance et laissé une totale liberté.

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Je pense que c'est le premier film français avec, en toile de fond, une scène musicale aussi codifiée que celle-là. T'avais d'autres exemples en tête en le tournant ?
Mec, c'est le désert total sur ce plan. C'est sans doute le premier sur cette scène. Il y a un film américain sur un chanteur de punk-rock qui m'a beaucoup marqué en revanche, Hated: GG Allin and the Murder Junkies de Todd Philipps.

Tu fais souvent jouer la même bande d'acteurs (Julien Krug, Kévin Azaïs, Nathan Willcocks)… Comment vous êtes-vous rencontrés ? C'est une attitude liée à la scène finalement de vouloir avancer avec ses potes, non ?
Je fais peu de castings, j'observe simplement, ça crée des rencontres. C'est comme une troupe, des gens avec qui on se comprend sans se parler, où il n'y a pas d'ego, on s'entraide. On retrouve cet état d'esprit au théâtre surtout, chez certains réalisateurs comme Cassavetes et sa femme Gena Rowlands, et dans la scène effectivement. Si ça se trouve Cassavetes était un putain de coreux, ou l'un des mecs de Kiss.

Si on te propose une comédie à gros budget avec Kev Adams qui décide de devenir straight edge, tu signes ?
Seulement si Kad Merad y fait des reprises de Burzum.

Quels sont les premiers retours, t'en es content ?
Il y a un vrai enthousiasme sur le film, surtout venant des jeunes, la scène soutient aussi le projet, ça fait chaud au cœur. Le film tourne beaucoup en Europe dans les festivals, notamment en Allemagne, en Suède, en Espagne, en Pologne, où on a eu des prix. On va faire une tournée en France après la sortie, puis on part à Rotterdam, au Mexique, au Maroc. C'est vraiment génial que le film soit reçu comme ça, parce qu'au delà de cette scène musicale que les spectateurs découvrent, le film traite surtout de rapports familiaux et prend vraiment des risques. Et je crois que les gens, d'où qu'ils viennent, ressentent que c'est sincère.

Compte tes blessures sort en salles ce mercredi 25 janvier.

Rod Glacial a bien aimé Camping 3. Il est sincère. Sauf sur Twitter.