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On a demandé à des experts si le Front national pouvait vraiment gagner une élection

Droitisation du pays et nouveau vote ouvrier : l'extrême droite peut-elle arriver au pouvoir en France ?

Photo via Flickr.

Les élections se suivent et se ressemblent pour le Front national. Le parti d'extrême droite a créé la surprise au premier tour des dernières élections régionales en obtenant 28 % des voix, se maintenant dans 6 régions sur 13. Néanmoins, comme aux départementales, aux présidentielles de 2002, ou à chacune des autres élections, le FN a lamentablement échoué au second tour.

Les défaites systématiques du FN poussent certains de mes potes à entonner la célèbre rengaine du « tu vois, c'est comme d'habitude, le Front national est incapable de passer » ou encore « on nous agite l'épouvantail du parti des Le Pen, juste pour nous faire peur ». Ces phrases alimentent la théorie du fameux plafond de verre, lequel empêcherait le Front national de remporter le deuxième tour. Ce qui est objectivement juste : le parti d'extrême droite n'est encore jamais parvenu à remporter le deuxième tour. Mais pour combien de temps ?

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Avec 181 élus en 2012 et plus de 2 000 aujourd'hui, il est indéniable que le Front national progresse. Selon un sondage réalisé par Opinion Way, le parti d'extrême droite séduit les classes populaires et les jeunes (les pauvres donc), récoltant 55 % des voix chez les ouvriers, 35 % d'intentions de vote chez les 18-24 ans, et 28 % d'intentions de vote chez les 25-34 ans. Les gens que vous croisez au boulot, au pub ou en bas de chez vous ne craignent donc plus de voir un jour le parti de Marine Le Pen au pouvoir. C'est pourquoi, quand j'entends certaines connaissances claironner que le FN est « aujourd'hui un parti comme un autre », ça me fout le cafard. Et les boules, aussi. Avec une base électorale de 6 millions de votants, qui ne cesse d'augmenter, peut-on encore dire que le Front national n'aura jamais la moindre chance, toutes élections confondues ?

C'est pourquoi j'ai demandé à Gael Brustier, chercheur en science politique et spécialiste des questions d'extrême droite, ainsi qu'au politologue Jean-Yves Camus, de nous dire s'il était possible qu'un jour, le FN gagne.

VICE : Bonjour Gael. Le scénario d'une victoire du Front national au second tour est-il fondamentalement impossible ?
Gael Brustier : Il faut tout d'abord considérer qu'aujourd'hui, le Front national est bel et bien le troisième parti en France – et ce n'est pas un point négligeable. Ensuite, il faut analyser le parti sous plusieurs angles. Le FN a une dynamique électorale dès le premier tour. Elle s'est confirmée lors des élections régionales, avec une solide base de 6 millions de votants. Le parti d'extrême droite n'envisage pas d'alliance avec d'autres forces politiques, et cela est un frein pour lui au second tour d'une élection. Ça reste une force isolée, bien qu'en croissance électorale.

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Avec cette stratégie, une victoire pour l'élection présidentielle semble difficile. En revanche, en ce qui concerne les régionales, les européennes ou encore les municipales, sa marge de progression pourrait bien lui permettre, à l'avenir, une victoire au second tour.

Le Front national aurait donc une bonne marge de manœuvre pour remporter les seconds tours d'élections autres que la présidentielle ?
Il faut voir l'évolution du Front national dans notre société. Ses scores, la radicalisation de son électorat, mais aussi la radicalisation de la droite républicaine qui lui donne un vivier pour des élections municipales, européennes ou encore régionales.

Ces élections sont boudées par les électeurs – voyez le taux d'abstention. Un électeur sur deux ne s'est pas rendu aux urnes, le 6 décembre dernier, pour le premier tour des élections régionales. C'est un boulevard pour le FN dans des élections comme les municipales. Et, contrairement aux autres partis, le parti de Marine Le Pen possède une base de votant qui reste mobilisée. Il faut tout de même noter que l'accoutumance au Front national progresse. Ils avaient 118 élus régionaux en 2010 – maintenant ils sont à 358. C'est un parti à surveiller, il fait tout de même, 45 % en région PACA à lui tout seul.

C'est donc aujourd'hui une force politique, susceptible de conquérir des collectivités locales. Ce sont des victoires qui font qu'on ne peut pas minimiser l'avancée du parti dans notre société.

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Photo via Flickr.

Parmi les abstentionnistes, on compte beaucoup d'électeurs qui ne craignent pas le Front national et qui se disent qu'il « ne passera jamais ».
Ça dépend. Parmi les abstentionnistes, il y a toujours ceux qui reviennent au deuxième tour pour « faire barrage au FN », comme lors des dernières élections régionales. Mais il y a aussi parfois des électeurs qui votent pour lui prêter main-forte. Cela existe. C'est pour cette raison, que selon moi, mis à part l'élection présidentielle, une victoire au second tour aux autres élections est tout à fait envisageable.

Ce que je peux affirmer, c'est que Marine Le Pen ne pourra remporter la présidentielle que si elle s'allie avec un autre parti.

D'accord. Donc si Marine Le Pen accède au deuxième tour à l'élection présidentielle en 2017, elle n'a aucune chance de gagner ?
Vraiment aucune chance ? Je ne peux pas dire cela. C'est une élection, le citoyen est souverain. On ne sait pas encore ce qui peut se passer juste avant une élection ou quelle sera la conjoncture économique du pays. Donc, il faut rester vigilant.

Ce que je peux affirmer, c'est que Marine Le Pen ne pourra remporter la présidentielle que si elle s'allie avec un autre parti. Mais cela ne fait pas partie de sa stratégie. D'autre part, les Républicains et les Socialistes excluent toute coopération avec le Front national. Même si l'électorat se droitise.

Les électeurs des Républicains, pour une grande majorité, ne souhaitent pas voter pour l'extrême droite. Par exemple, on a une droite très dure sur les questions identitaires, mais qui refuse le Front national. Les électeurs de cette droite considèrent que sur le plan économique, le projet du parti d'extrême droite est un danger.

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Très bien, merci beaucoup Gael.

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VICE : Bonjour Jean-Yves. Est-ce que, par exemple, des attentats pourraient impacter le second tour d'une élection ?
Jean Yves Camus : Je ne pense pas. À Paris, dans les arrondissements où se sont déroulés les attentats du 13 novembre, on a constaté durant les régionales qu'au premier tour, le taux de participation était resté pratiquement égal. On remarque une augmentation d'1 % du taux de participation. Il faut aussi noter que les attentats ont créé un climat anxiogène. Ce climat déplace donc le débat vers des questions d'identité, de sécurité ou de la « place de l'islam en France ». Il est impossible de mesurer les effets des attentats sur l'électorat ; néanmoins, on peut admettre que cela place le parti de Marine Le Pen en position de force avant des échéances électorales.

Mais la présidente du Front national ne sera pas la seule à en profiter : les Républicains le seront aussi. Sur les questions de sécurité, de l'immigration ou des réfugiés, le discours des Républicains est entendu par son électorat et par l'ensemble des Français. Même si les Républicains ont des difficultés sur la ligne politique au sein du parti, les Français leur font confiance. Par exemple, lorsqu'on entend Nicolas Sarkozy s'exprimer sur les « ratés de l'espace Schengen », il conserve, même après son quinquennat, une crédibilité.

Nicolas Sarkozy a une stratégie : celle de droitiser le parti.

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Selon vous, malgré les déçus de l'ère Sarkozy, celui-ci garde toujours une totale confiance de la part des Français.
Oui. Bien sûr, il y a des militants déçus qui adhèrent au Front national. Mais pour l'instant, le parti de l'ex-Président de la République n'enregistre toujours pas de départs massifs de son électorat ou de ses cadres. Nicolas Sarkozy a une stratégie : celle de droitiser le parti. Pour le moment, même si ce choix est décrié, cette stratégie permet encore de maintenir son électorat et donc d'éviter des surprises au second tour d'une élection.

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Selon un sondage Opinion Way, 55 % des ouvriers qui se sont rendus aux urnes auraient voté pour Marine Le Pen. Un électorat qui historiquement, votait à gauche. Si cette tendance était amenée à encore évoluer, cela aurait-il des conséquences ?
Tout d'abord, il faut comprendre pourquoi ils votent Front national. Les Républicains et le parti Socialiste les ont déçus. Ils voient leur niveau de vie continuer à baisser. Et les perspectives d'ascension sociale bloquées, la précarité de l'emploi, les perspectives économiques bouchées. Tout cela pousse de plus en plus d'ouvriers à voter pour le Front national. Donc oui, cela profite au Front national. Il crée une base solide qui pourrait, un jour, faire pencher la balance. Cela ne concerne d'ailleurs pas simplement les ouvriers, mais tous les Français.

Le programme du Front national séduit-il en réalité ?
Non. Pour le moment, le parti d'extrême droite ne séduit pas. Selon un dernier sondage TNS Sofres, 60 % des Français n'adhèrent pas à ces idées. Il le voit encore comme un parti repoussoir.

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Les déçus y adhèrent pour protester contre la classe politique, l'économie du pays et l'immigration. Si l'ex-UMP et le parti Socialiste ne changent pas la donne dans les prochaines années, une victoire de l'extrême droite est possible. Il faut une nouvelle manière de gouverner. Aujourd'hui, les repères politiques des Français sont brouillés. L'électorat considère que les élus sont déconnectés de la société. Sur ce point, l'extrême droite a une bonne stratégie. Le parti souhaite user du référendum pour chaque question nationale. C'est une stratégie de démocratie directe pour créer un lien avec les électeurs.

La stratégie de droitisation de Nicolas Sarkozy apporte-t-elle du crédit au Front national ?
Cette question fait débat au sein des Républicains. Nicolas Sarkozy l'applique, car il continue de penser que la France n'a jamais été aussi à droite et que les électeurs attendent un message de fermeté. En tout cas, elle fonctionne dans certains endroits. Par exemple, Laurent Wauquiez est élu en région Auvergne-Rhône-Alpes sur une stratégie extrêmement droitière.

Mais on ne peut pas oublier que cette politique est utilisée depuis 2007 par Sarkozy et qu'il a beaucoup déçu. Aujourd'hui, selon un sondage, le parti se dirige plus vers Alain Juppé, qui a une politique de droite traditionnelle.

Merci beaucoup Jean-Yves.

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