Eddy de Pretto est-il le nouveau Alkpote ?
Montage réalisé par Vincent Vallon à partir de captures d'écran de clips d'Alkpote et d'Eddy de Pretto.

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Music

Eddy de Pretto est-il le nouveau Alkpote ?

Bien sûr que non, mais on a quand même réfléchi sérieusement à la question, et on a même poussé le vice jusqu'à envoyer un journaliste à leurs concerts respectifs samedi dernier. Avec un bonus à la fin pour les fans de Kaaris.

Sorte de croisement folklorique entre Biffty et Mylène Farmer, Eddy De Pretto a démarré très fort l’année 2018 puisqu’il a réussi à gérer l’enchaînement royal : présence aux Victoires de la musique-album-promo + obèse-couverture médiatique aux petits oignons. De quoi déclencher une éjac' précoce à tout chef de projet de maison de disque qui se respecte, disons-le clairement.

Jusque là on s’en contrefout, des chanteurs oubliables qui envahissent ponctuellement affiches dans le métro, émissions télévisées opportunistes, radios médiocres, journaux/magazines en galère de couv' et discussions de désœuvrés, il y en a tous les quatre matins et a priori il y en aura toujours.

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Mais bon.

Alors, déjà on va soigneusement éviter les attaques sur le physique, pas parce que c’est méchant ou qu’on vaut mieux que ça, mais simplement parce qu’absolument tout a déjà été dit sur le sujet, et qu'entre les vannes sur les roux et la coiffure de Godefroy de Montmirail, on tourne rapidement en rond.

Niveau musique, pareil, la voix est dégueu mais pas spécialement pire que 90 % de la scène actuelle, l’écriture rappelle les pires heures du slam mais le point positif c’est qu’avec de la chance il pourra logiquement sans souci ghostwriter Florent Pagny ou Calogero et s’acheter plein de nouvelles fringues bizarres.

Sauf que, gros twist, Eddy serait apparemment différent des autres, avec une plus-value inédite, un petit plus produit imparable. Une sorte d’élu hybride façon Blade : UN HOMOSEXUEL DE BANLIEUE. C’est-à-dire que le gars, il est pauvre, il a écouté du rap dans sa folle jeunesse et il est gay. Cette trinité de la vie de galère s’avère être un combo de la mort niveau com' : du coup, selon l’élite de la presse, c’est tout bonnement incroyable et ça mérite d’être souligné, surligné et beuglé partout.

Fatalement, une meute de doux débiles pensent qu’il est super intelligent de faire un parallèle très appuyé avec le rap. C’est à dire que chez le Nouvel Obs, Quotidien ou On n’est pas couché, la question : « Vous êtes aux antipodes des codes du rap / Vous dites ce qu’aucun rappeur n’ose dire » - on est d’accord, ce ne sont même pas des questions, mais ils les posent quand même, c’est la télé française - revient sans qu’on sache trop pourquoi. Ok, ce « spécimen rare » vient de Créteil, mais canalisez-vous un peu les cinglés, il ne faudrait peut-être pas extrapoler tout et n’importe quoi juste à partir d’un code postal.

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Alors c’est sûr, ça arrange tout le monde, les attachés de presse qui s’occupent de lui doivent faire des triples saltos arrière dans l’euphorie de ce story-telling-que-s’il-existait-pas-il-aurait-fallu-l’inventer, mais c’est surtout complètement con et artificiel comme positionnement. Concrètement, le mec fait de la chanson française, et ce n’est pas un gros mot. Sauf pour des déficients qui considèrent que ça englobe uniquement des artistes qui chantent pieds nus sur scène avec une guitare sèche en parlant de leur adultère avec des rimes en « é ». Mais à la base c’est un truc qui va de Gainsbourg à Renaud en passant par Aznavour ou Brassens, et la forme que ça prend n’est pas censée être figée.

On rappelle à tout hasard que même un Biolay, ultra-fan de Booba et PNL, a carrément cité deux rimes du premier sur l’instru assez moderne du morceau « Dans Paris », et non des moindres : « Toute l’équipe à Sarko, je la ferais bien tapiner, au micro je suis l’un des négros les plus raffinés ». A priori personne n’a décrété que ça transformait Benjamin en rappeur, donc Eddy peut parfaitement rentrer dans la grande famille de la chanson française, sans encombre. Faut juste qu’il se foute tout au fond de la salle et qu’il ne fasse pas trop de bruit en attendant son heure. Malheureusement ce ne sera pas le cas, le mec se cogne la case horrible « au carrefour de la chanson et des musiques urbaines tout en détournant les clichés ». Ce qui implicitement renvoie à peu près tout le reste des rappeurs « classiques » dans la fosse sceptique, ces gros machos de merde qui savent pas aligner trois mots, là, caca.

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Est-ce que c’est insupportable ? Non, c’est récurrent, on a déjà eu la même promo bon marché pour les slameurs il y a plus de 10 ans, sur le mode : « Vous pouvez les écouter, ça vient de la rue mais c’est pas vraiment du rap, en plus ils ont écouté Brel et même lu quelques bouquins ». Ainsi la présentation d’un artiste comme Grand Corps Malade était exactement la même que celle d’Eddy, sauf qu’en 2018 le handicap physique a été remplacé par l’homosexualité. Ce qui est insultant pour à peu près tout le monde quand on y réfléchit deux secondes.

Est-ce que c’est vraiment de la faute d’Eddy ? Absolument pas (ou alors pas totalement, on y revient). Dans sa version actuelle, le pauvre bout de chou a l’air d’être l’archétype de l’artiste solo qui fait sa musique dans son coin pour oublier son quotidien digne d’un film d’Érick Zonca, sans prétention et surtout sans faire chier personne. Il a même expliqué qu’il ne se considérait pas du tout rappeur et qu’il rejetait les catégorisations. Personne ne l’a écouté quand il l’a dit, mais il l’a dit. Sauf que c’est trop tard. Maintenant on va se le taper encore et encore jusqu’à la nausée avec systématiquement la même présentation de publicitaire ; de ONPC à Quotidien, des Inrocks au Monde en passant par Grazia Hommes*, ils vont tout nous faire ces cons-là. L’expression infâme « Panser ses maux avec des mots » a même déjà été utilisée à son propos, donc là tu sais qu’il n’y aura aucune limite.

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Il y a malgré tout un point positif : les auditeurs de rap traditionnel qui sont tombés dans le panneau de la promo et qui ont tendu une oreille par curiosité mais sans y être suffisamment attentif. Bref, ceux qui ont mis un certain temps à comprendre l’horrible vérité, tel Stifler dans le bar gay de American Pie 3 ou Stifler face à des potes de lycée qui ont fait leur coming out dans American Pie 4.

Et ce genre de quiproquo, ça n’a pas de prix.

Vient ensuite la vérification indispensable : la scène. Pour l’émission Alcaline de France 2, Eddy de Pretto a donné un concert privé au Trianon, et le hasard du calendrier a voulu que juste après, au Yoyo, prenait place un live d’Alkpote. Vu qu’on était présents aux deux, comparons donc les deux loustics selon des critères scientifiques irréfutables.

L’accès aux loges

Eddy : Il était impossible de rentrer dans les loges du Trianon.

Alk : Une fois dans sa loge il offre volontiers un plateau de fromage à qui en veut (ce n’est pas une métaphore sexuelle, c’était un vrai plateau avec différents fromages dessus).

Les photos à l’arrache

Eddy : Atmen Kelif, légende depuis les Deschiens croisé par hasard dans le couloir qui mène à la salle, a accepté de se faire prendre en photo avec moi.

Alk : l’Evryen a insisté pour prendre une photo avec moi en constatant que nos deux bonnets étaient de la même marque et que c’était vachement rigolo comme coïncidence.

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La façon de chauffer la salle

Eddy : « Vous êtes vraiment très chauds, ça fait plaisir »

Alk : « Mon show c'est rapide, excitant et expédié aussi vite que dans les vitrines du Red Light District d'Amsterdam »

Les relances entre deux morceaux

Eddy : « Vous êtes toujours là ? »

Alk : « Pupupupute ! »

Les sidekicks

Eddy : Un batteur.

Alk : Un DJ et les traditionnels 10 mecs sur scène qui ne servent pas à grand-chose mais qui sont là quand même.

Les invités

Eddy : Nemir, rappeur-chanteur talentueux mais peu voire pas du tout connu du public d’Eddy, du coup c’est plutôt très classe de sa part d’avoir pensé à lui.

Alk : Jok’Air et Chich pour le titre « La Reine du bal » qui déchaîne toute la salle, sachant que le clip avait été diffusé une semaine avant.

La scénographie

Eddy : Un jeu de lumière plutôt sobre.

Alk : Un écran qui projette un montage assez perché, sorte de mélange de bouts de clips et de photos évoquant drogue et nudité.

Les réactions de la salle

Eddy : Des cris et des applaudissements.

Alk : Des cris, des pogos et des gens qui tentent de taper dans la main du rappeur.

L’au revoir au public

Eddy : « Merci à tous »

Alk : « Je ne peux pas éjaculer indéfiniment, désolé, je dois partir, mes couilles sont vides »

Le public et l’orga

Eddy : Des invités un poil VIP, des familles, le tout organisé par Alcaline, une émission de France Télévisions.

Alk : Des hipsters, des filles de mauvaise vie, des invités crevards, des fanatiques de rap, des drogués, parfois tout ça à la fois, le tout organisé par les agences Dedicated Productions (dédicace à Hervé) et GDS qui forment Underdogs, que je connaissais un peu parce que GDS a longtemps organisé des soirées rap, dont une mémorable avec le groupe 13Block, à Asnières. Plus précisément dans l’énorme squat que constituait un entrepôt/usine désaffecté(e) du quartier industriel.

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Les résultats sont sans appel : Eddy a encore d’énormes progrès à faire pour mériter l’appellation de rappeur. Mais on pourrait objecter que la prestation d’Alkpote comportait des défauts et ne représente pas vraiment l’intégralité du rap français. C’est donc là qu’il faut rappeler une fine analyse sur cette musique de primates indécrottables : « J'ai toujours trouvé le rap un peu vulgaire, même aujourd'hui […] Il y a une férocité dans le langage, qui marche très bien, mais moi ça n'a jamais été ma façon de parler. J'aime bien être curieux quand j'écris des chansons, chercher des mots inconnus. Je fais beaucoup de recherches pour trouver quel mot sera le plus efficace et le plus subtil pour dire ce que j'ai envie de dire. » Ça c’est ce qu’expliquait doctement le Eddy de Pretto de septembre 2017 avant d’expliquer ce qu’il visait : Victoires de la musique, triomphe à Bercy, etc. C’est là qu’on se dit que ce n’est pas plus mal finalement que son équipe actuelle ait fini par lui faire comprendre qu’il fallait plutôt faire ami-ami avec des rappeurs accessibles et surtout très vite se calmer niveau déclarations de merde sous peine d’être rapidement soupçonné de renifler ses propres pets comme si c’était du parfum de luxe. Pas parce que ça fait de lui quelqu’un de plus classe, mais parce qu’en étant faussement humble et discret, avec un beau packaging, ce seront les médias généralistes qui se chargeront de faire ce genre d’éloges sans qu’il doive fournir le moindre effort.

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BONUS

Parce que ce serait dommage de se quitter sur une note négative, et puisque l’on vous parlait d’Alkpote : suite à l’article sur la période cracra du rappeur Kaaris, plusieurs experts ont noté qu’il frappait très fort à l’époque, mais pas autant que l’auto-proclamé Empereur de la crasserie. Comparons donc les deux loustics selon, une fois n'est pas coutume, des critères scientifiques irréfutables, avec deux memes en forme de mise en perspective darwiniste.

"Survival of the fittest"

Version détaillée avec des précisions pour les plus tatillons.

Donc effectivement, Alk l’emporte aux points, de par sa constance totale dans la crasserie depuis maintenant douze ans, là où Kaaris a ralenti la cadence au bout de quatre ans et demi.

*Pour la petite histoire, à la base c'était Booba qui était censé faire la couv' du magazine Grazia Hommes, mais il leur a fait faux bond, du coup ils ont opté pour Eddy. Ce qui veut dire qu'à un moment, un décideur a pensé : « Booba est pas dispo ? Bon ben appelez Eddy de Pretto ». Voilà Voilà.

Yérim Sar est sur Noisey.