Avec les jeunes qui n’iront pas voter à l’élection présidentielle
Evian-Les-Bains, Haute-Savoie, France. Crédits : Getty.
Société

Avec les jeunes qui n’iront pas voter à l’élection présidentielle

« On est dans une politique où on devrait faire les choses par défaut et ça je ne l’accepte pas. »

L’échéance de l’élection présidentielle du 10 avril approche à grands pas, laissant planer un suspense insoutenable. Le débat politique n’a jamais été aussi médiocre, les candidats s’affrontent en duel dans Face à Baba et les commentateurs répètent les chiffres des sondages qui annoncent déjà la prolongation du bail du locataire de l’Elysée. Certains militent pour la bidoche et le pinard, quelques-uns s’amusent à faire des profils Tinder à leurs candidats, d’autres vous engueulent (« Quoi irresponsable, tu ne vas pas voter Mélenchon ! »), tandis que l’extrême-droite gesticule à heures de grande audience à la télé, voulant restaurer « l’honneur de la République » en rendant hommage à Pétain. 

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Alors sur les plateaux on s’étonne que « les jeunes ne s’intéressent plus à la politique ». C’est surtout les politiques qui ne s’intéressent pas à eux. Selon le dernier sondage Ipsos-Sopra Steria pour la FAGE, 8 jeunes sur 10 envisagent d’aller voter mais 66% estiment que les responsables politiques s’intéressent peu, voire pas du tout, à leurs préoccupations. On s’est intéressé à ceux qui n’iront pas, quoi qu'on leur dise, qu’ils soient dégoûtés, désintéressés ou exaspérés une chose est sûre, ils ne mettront pas un pied dans l’isoloir et nous racontent pourquoi.

Joséphine, 23 ans, étudiante à Sciences Po 

VICE : Est-ce que tu vas aller voter ? 
Joséphine :
À la base je me disais qu’il le faut, car tout le monde nous culpabilise. Mais non, je ne vais pas aller voter. J’ai l’impression que voter c’est contribuer à un système qui ne va pas. Je fais un peu une fixette sur le climat. Là on est vraiment dans la merde, c’est la catastrophe. J’ai lu le rapport du GIEC, ça m’a dévasté. Et là on va aller voter pour le moins pire… ça me parait insignifiant. C’est comme si t’avais un incendie dans un immeuble et tu jettes un saut d’eau. Ce n’est pas en se présentant aux élections que tu vas défendre le climat, il faut être radicale.

« On est vraiment matrixé par les élections comme si c’était tout. A côté, il y a des réfugiés qui meurent dans la mer, des femmes qui meurent à cause de leur mari et des gens entre les mains de la police. Et nous on doit juste aller voter contre Le Pen » – Joséphine

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On dit que les abstentionnistes ne s’intéressent pas à la politique, est-ce que c’est ton cas ?
Ça dépend de ce qu'on met derrière le mot politique. Depuis le Covid, je ne m’intéresse plus à la politique politicienne. Ça me dégoûte. C’est que des mecs blancs, des riches. On voit Zemmour partout, c’est invraisemblable, ultra violent. Je préfère me préserver et ne pas écouter. Pourtant, je suis investie dans la politique. Je suis active au niveau local, j’ai un engagement féministe, pour le droit au logement, contre les violences policières. J’en parle avec mes amis, j’aide, je vais aux manifs, j’essaie d’agir à mon échelle. Nous, notre génération, les millénials, on arrive dans un monde où c’est la merde, tout est extrêmement violent, et on nous culpabilise de pas être assez investi dans la politique. Si le monde est comme il est, ce n’est pas de notre faute. Les boomers c’est eux qui ont bien vécu, j’aurais bien aimé être boomeuse. C’est eux aujourd’hui qui font de la politique. Et nous, ils s’en foutent, ils vont mourir avant l’effondrement.

Tu es plutôt indécise, déçue, indifférente ou autre chose ?
En vrai moi je suis triste. On est vraiment matrixé par les élections comme si c’était tout. À côté, il y a des réfugiés qui meurent dans la mer, des femmes qui meurent à cause de leur mari et des gens entre les mains de la police. Et nous on doit juste aller voter contre Le Pen. Je me dis, c’est chaud.

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Hassan, 19 ans, en BTS commerce et vente

VICE : Est-ce que voter pour toi, c’est important ?
Hassan :
Non ça ne sert à rien, je n’irai pas. Les politiques font semblant que notre avis les intéresse, mais ils s’en foutent. On galère tous, on est nombreux à avoir fait la queue à l’aide alimentaire pour pouvoir manger pendant la crise du Covid, et aujourd’hui vous entendez beaucoup de politiques parlez de ça ? 

On dit beaucoup que ce n’est pas seulement un droit mais aussi un devoir.
Un devoir envers qui ? Peut-être qu'à une époque des gens se sont battus pour qu’on ait le droit de voter, mais aujourd’hui ça ne sert à rien. J’habite dans une cité où on a peur de la police, où on galère pour trouver du taff, et quand j’allume la télé j’entends que parler d’immigration. Je ne sais pas si c’est un devoir de participer à cette connerie.

« Le Pen, c’est pas ce que je pense. Zemmour, encore moins. Macron on l’a déjà et on voit bien ce que ça a donné. Mélenchon a de bonnes idées, mais il n’est pas très crédible » – Hassan

Tu es plutôt indécis, déçu, indifférent ou autre chose ?
Indifférent à leurs débats à la con sûrement oui. Mais je suis surtout en colère. C’est tous des escrocs, Balkany, Sarkozy, ils ont tous des histoires et personne ne va en prison, en réalité ce sont juste des privilégiés, je vois pas pourquoi je m’intéresserais à eux. Avec Macron on pensait qu’on pourrait réussir comme aux Etats-Unis mais en vrai, on galère limite encore plus.

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Ophélie, 25 ans, agent d’entretien

VICE : Tu vas aller voter ?
Ophélie :
Non. Je ne suis pas intéressée par la politique. Et puis honnêtement, qu’on vote ou pas, la plupart ne tiendront pas leurs promesses, donc je ne vois pas l’intérêt d’y aller.

Tu es plutôt indécise, déçue, indifférente ou autre chose ?
Je suis indifférente. Avec les candidats qu’on a en ce moment, il n’y en a aucun qui donne envie de voter.

Qui pourrait te donner envie de voter ?
Le Pen, c’est pas ce que je pense. Zemmour, encore moins. Macron on l’a déjà et on voit bien ce que ça a donné. Mélenchon a de bonnes idées, mais il n’est pas très crédible. J'aimerais qu’il y ait quelqu’un d’extérieur au monde politique, quelqu’un qu’on n’a pas l’habitude de voir, pas un professionnel de la politique, quelqu’un qui nous représente.

Clémence, 24 ans, étudiante en sociologie

VICE : Est-ce que tu vas aller voter ?
Clémence :
J’ai pas envie. Je voulais voter blanc, mais comme ce n’est pas pris en compte, ça ne sert à rien que j’y aille dans tous les cas mon vote ne comptera pas. Il faut une reconnaissance du « non, il n’y a personne qui me convient », pour inclure la population qui refuse. On est dans une politique où on devrait faire les choses par défaut et ça je ne l’accepte pas. 

On entend beaucoup dire que les jeunes qui ne votent pas ne s’intéressent pas à la politique, est-ce que c’est ton cas ?
Non pas du tout. A l'inverse, quand je n’étais pas politisée, j’allais voter. Aujourd’hui je suis vachement radicale. Ne pas voter, c’est une sorte de revendication. Je fais le choix de ne pas y aller parce que j’aimerai que ce soit un choix, pas une obligation insidieuse. Les présidentielles, c’est toujours le même discours. Cette injonction à devoir soutenir une personne pour que l’autre ne passe pas, c’est devenu institué, il y a une perte énorme de sens.

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Il n’y a pas un seul candidat qui pourrait te représenter ?
Non. Mélenchon quand il a gueulé « la République c’est moi », ça a tout cassé, encore un homme blanc de 50 ballais, j’ai du mal à me dire que je veux que cet homme-là me représente. Aujourd’hui les candidats représentent un vieux monde. J’aurais bien aimé voir plus de femmes de gauche, là il y a surtout des femmes de droite. Plus de jeunes aussi et plus de gens qui viennent d’en bas, qui savent ce qui s’y passe.

Nicolas, 26 ans, en recherche d’emploi

VICE : Est-ce que tu vas aller voter ?
Nicolas : Non, cette année je ne me sens pas concerné. Je ne me reconnais pas en eux, en leurs idées. Ce n’est pas que je ne m’y intéresse pas, on est obligé de s’y intéresser un minimum, je suis les infos, j’ai mon avis. Mais il n’y a vraiment personne qui me représente.

Il n’y en a pas un qui sort du lot ?
Il y a des candidats que je tolère pas du tout comme Zemmour. Macron on ne peut pas dire que ça a été fructueux. Mélenchon à la limite, mais c’est compliqué. Il a tellement été moqué que j’ai peur qu’il ne soit pas pris au sérieux, surtout au niveau international avec tout ce qui se passe en ce moment.

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