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Music

Pourquoi le morceau « Panda » de Desiigner me pose problème

Vous l'entendez partout, il a été « écrit » par un mec âgé de 18 ans qui vient de signer sur G.O.O.D Music et on dirait une mauvaise parodie de Future.

À moins de vivre sous un rocher dans les îles Galapagos ou de ne refuser en bloc tout ce qui s'apparente de près ou de loin à du rap, il est quasiment impossible d’échapper à « Panda » de Desiigner. Le jeune rappeur originaire de Brooklyn est la nouvelle recrue de GOOD Music, label mené par Pusha T & Kanye West. On le retrouve d’ailleurs sur deux morceaux de The Life Of Pablo, « Father Stretch Your Hands Pt.2 » et « Freestyle 4 ».

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La première fois que j’ai entendu « Panda », j’ai tout de suite pensé avoir râté un épisode dans la discographie de Future. Puis j’ai appris qu'en fait, c’était l'oeuvre dun rappeur de New York de 18 ans, j'ai aquiescé, penaude et désabusée. Autour de moi, personne ne semble trouver ça préoccupant mais Desiigner pose de la même voix caverneuse et raillée que Future (auto-tune compris), il fait les mêmes ad-libs (« Get ! Get ! ») que Future, il suffit d’écouter « Maison Margiela » pour capter.

Difficile de comprendre l’engouement pour ce type. Endosser ce type d’artistes revient au même que soutenir un sosie de Johnny Hallyday et s'en féliciter à base de phrases de type : « il lui ressemble quand même vachement, c'"est bluffant. » Avec « Panda », on flirte sans gêne avec la caricature. Tenter de résumer l’énergie du rappeur par un morceau de trap monotone est très audacieux mais Desiigner repassera. La plupart appréhende sûrement Future de façon artificielle (pas vrai Hopsin ?) mais le rappeur lunaire sait jouer sur plusieurs tableaux à l’aide de ses multiples alter-egos : de l’astronaute, à Super Future en passant par un Future Hendrix aussi romantique que blasé.

On peut apprécier sa trap ignorante, redondante, confuse, sans humour mais ces caractéristiques ne peuvent pas être cumulatives. « Panda » est un juste un long couplet et un long refrain sur le même gimmick insupportable. Dans le refrain, Desiigner parle quasi essentiellement de sa BMW X6 et de ses sbires du ghetto prêts à en découdre (JE NE LE CROIS PAS UNE SEULE SECONDE). Puis, il évoque Atlanta comme s’il était originaire du coin alors qu’il n’y avait jamais mis les pieds avant la sortie du titre en question. Tout est en toc, rien n’est plausible et tout est risible, y compris la perf du rappeur. Apparemment, il passerait la plupart de ses concerts à danser sur ses propres chansons en scandant une phrase sur six, plutôt léger, même pour un rappeur ! Et étant donné que son répertoire est limité (avec deux chansons et demi au compteur), il n’hésite pas à tirer sur la corde en allant jusqu’à rapper 11 fois « Panda » à la manière de Jay-Z et Kanye West sur « Niggas In Paris », perpétuant là-aussi sa logique d’imitateur borné jusqu’au bout.

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Pour comprendre cette diatribe, il faut revenir sur ce que signifie le rap d’Atlanta dont Future est l’égérie. Atlanta et ses rappeurs ont toujours dû défendre leur spécificité et leur originalité face à un rap new-yorkais élitiste, et garant du bon goût. De nos jours, la courbe s'est inversée et la ville a réussi à imposer ses codes, la preuve, Desiigner dans son imposture se réclame de cette tradition sans savoir ce qu’elle implique, ni même qu’elle a pu exister seulement au prix d’une affirmation toujours plus retentissante.

On se souvient d’Outkast aux The Source Awards de 1995. Le groupe d’Atlanta gagne le prix du meilleur nouveau groupe, hués et pris de haut par un milieu rap dédaigneux, obsédé par la guerre East Coast/West Coast. Andre 3000 préfigure alors l’avenir : « The South got something to say and it’s all I gotta say » (Le Sud a quelque chose à dire et c’est tout ce que j’ai à dire). N’en déplaiseà certains, il n’y aurait pas de Rich Homie Quan, de Future et encore moins de Desiigner sans Outkast et cette volonté de revendiquer le Vieux Sud.

Et quand Complex demande à Desiigner ce qu’il pense des comparaisons avec Future, il répond : « Dieu l’a doté d’un don, tout comme moi. Je ne douterai jamais de la qualité de sa musique car elle est belle. De la musique est faite chaque jour. Big up à lui, big up à Future. (…) Je ne suis ni un rageux, ni là pour le critiquer. Dieu le bénisse, Dieu me bénisse ». Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? Pourquoi il ne répond pas à la question ?

Bien sûr le rap comme tout art est une mimesis, les artistes se copient et se citent, répliquent et dupliquent, à l’infini. Après tout, on dit aussi que l’imitation est la plus belle des flatteries. On l’a compris, Desiigner est fan de Future et il a 18 ans. Mais est-ce qu’une seule chanson de trap - aussi naive soit-elle - basée sur la vision artistique et personnelle de quelqu’un d’autre peut fonder une carrière ? J’ose espérer que non. Christelle est sur Twitter.