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Reconstruire un pays à coups de death metal

Le réalisateur du documentaire Death Metal Angola nous parle de l'origine de son projet et des points communs entre Huambo et Detroit.

Le truc le plus incroyable en Angola, c'est sa capitale, Luanda, qui bat à plate couture Moscou, Oslo, Hong Kong, Tokyo et Melbourne au titre de ville la plus chère au monde pour les expatriés . Pourquoi ? D'abord parce qu'en Angola, ils ont des ressources minières qui leur sortent par le cul – pétrole, diamants, or, tout ce que vous voulez – et qui génèrent des échanges de devises pharaoniques. Ensuite, parce que la majorité des infrastructures ont été réduites en miettes pendant la guerre civile qui a duré de 1975 à 2002 (avec quelques pauses courtoises au milieu). En gros, si vous voulez une chambre d'hôtel décente en Angola, vous devrez au préalable trouver quelqu'un pour vous la construire.

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C'est dans le cœur mutilé de Huambo, la troisième ville du pays, que se déroule Death Metal Angola, le documentaire de Jeremy Xido. Huambo a, durant un temps, été surnommée la « Nouvelle Lisbonne », en raison de ses élégantes rangées de bâtiments baroques. Mais aujourd'hui, on pourrait tout aussi bien raser les derniers murs qui tiennent encore debout et tout reprendre à zéro. Huambo est en effet devenu l'équivalent africain de Sarajevo, à la fin des années 90. Assiégée pendant des mois. Bombardée tous les jours. Sonia, la directrice d'orphelinat au centre du film se rappelle des « gens qui erraient dans les rues pendant des jours parce qu'ils n'avaient plus aucun endroit où aller ». Elle gère toujours une maison de cinquante enfants, devenus orphelins pendant les derniers jours de la guerre. La réponse de Sonia à Huambo, c'était le heavy metal, et aujourd'hui, son petit-ami Wilker, veut lancer le premier festival de death métal du pays, sur un îlot de verdure au centre de la ville – une quête autour de laquelle Xido a articulé son film.

Xido a rencontré Sonia et Wilker par hasard, alors qu'il tournait un documentaire sur des cheminots chinois. Dans un café, un type avec de courtes dreads et une élégante chemise Oxford l'a abordé. Ils ont discuté. Et sans même qu'il s'en rende compte, Xido, originaire de Detroit, s'est retrouvé à un concert de death metal alimenté par générateur électrique et éclairé par les phares d'un camion. Il venait de trouver le sujet de son prochain film.

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J'ai discuté avec Jeremy Xido au festival CPH:DOX, à Copenhague, où il venait présenter Death Metal Angola.

Noisey : Salut Jeremy. Ce qu'on voit de Huambo dans ton film est assez déprimant. Il y a encore des bâtiments qui valent le coup d'être sauvés là-bas ?
Jeremy : La majorité des projets de reconstruction est concentrée à Luanda, qu'ils transforment en un genre de Miami Beach. Huambo est la ville qui a le plus souffert, mais elle n'a pas reçu le même traitement. En ce moment, beaucoup de vieux bâtiments portugais sont en train d'être rénovés. Mais c'était vraiment la merde. C'est dommage, parce que c'était d'une beauté à couper le souffle.

Il y a toujours des descendants d'anciens colons en Angola ?
Absolument. Il y a beaucoup d'Angolais blancs. Beaucoup de Portugais aussi, maintenant. En fait, il y a énormément d'immigration depuis 2008. Beaucoup de gens ont quitté le Portugal pour venir travailler dans les mines et les chantiers. À l'origine, j'avais été commissionné par un grand théâtre de Lisbonne pour écrire une pièce, et j'ai rencontré une femme angolaise, à qui j'ai naïvement demandé si elle allait rester au Portugal après ses études ou si elle préférait un autre endroit en Europe. Elle m'a regardé comme si j'étais dingue et m'a dit : « L’Europe est morte. Le futur est en Angola ». C'est un pays qui possède énormément de richesses.

Quelle est leur relation avec Internet ? J'imagine que ça a du jouer un rôle important dans le développement de la scène métal locale.
Oui, définitivement. Ça leur a permis de découvrir qu'il y a d'autres personnes, dans d'autres villes, qui pensaient la même chose qu'eux. Une des plus grandes conséquences de la guerre a été la fragmentation de la communication dans le pays. Avant la guerre, il te fallait une après midi pour aller de Benguela à Luanda, aujourd'hui ça prend deux jours. Sur la côte, ils ont des câbles de fibre optique, enfouis sous l'océan, qui leur fournissent l'accès à Internet. Mais à l'intérieur des terres, tout a été miné et il est impossible de creuser pour installer des câbles. Dans certaines zones très pauvres, les gens allaient jusqu'à déterrer les câbles qui restaient en pensant qu'ils pourraient récupérer du cuivre.

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Comment ont-ils résolu ce problème ?
Avec la connexion par satellite – tout le monde s'est rapidement procuré des clés Internet mobiles qu'ils pouvaient brancher à leur ordinateur. Et ça a tout changé. C'est un pays où il est difficile d'envoyer une lettre à quelqu'un parce qu'il n'y a plus d'adresses postales nulle part. Mais tout le monde a une adresse e-mail. Tout le monde est sur Facebook. C'est là que les gens se retrouvent. C'est comme ça que la scène se développe, que les concerts s'organisent.

Tu n'as pas peur que les gens confondent Death Metal Angola et Heavy Metal à Baghdad ?
Oui, les deux films sont un peu vendus de la même manière : de la musique inattendue dans un endroit inattendu – comme c'est exotique. Mais moi je voulais juste raconter l'histoire de ces gars là, les choses qu'ils avaient vécues. Dans le métal nordique, la majorité des paroles sont fantasmagoriques, elles tiennent vraiment de la fantasy. Mais le métal extrême angolais est hyper réaliste, il raconte leur quotidien et les épreuves qu'ils ont traversé. C'est presque journalistique.

Effectivement, le plus intéréssant dans ton fillm, ce n'est pas la musique, mais le fait que des gens essayent de reconstruire une culture dans un endroit où la culture a été éradiquée.
Ce qui a vraiment tout changé pour moi, c'est la rencontre avec Sonia, qui gère un orphelinat. Et réaliser qu'il y avait quelque chose de génial dans cette récupération de fragments de culture et d'histoire, pour tout reprendre à zéro. C'était super de les voir imaginer la ville qu'ils allaient construire d'ici 20 ou 30 ans. Il y avait beaucoup de similarités avec moi et Detroit. Ils ont aussi été décimés. Et maintenant ils essayent de se reconstruire. Ils réfléchissent sur le long terme. La question qu'ils se posent, c'est : où est-ce que notre société en sera dans 20 ans ?

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Tu étais déjà allé en Afrique avant ?

Non, jamais. Comme je le disais, j'ai grandi à Detroit. Et quand j'étais plus jeune, tout ce truc du « retour en Afrique » avait l'air hyper important pour un tas de gens autour de moi. Mais je n'ai jamais eu l'opportunité d'y aller avant cette expérience en Angola.

Dans Last Train to Zona Verde, Paul Theroux parle du fait que la majorité des Afro-américains sont en fait de lignée angolaise, parce que c'était l'épicentre de la traite d'esclaves. Tu souscris à cette théorie ?
Complètement. 50 % des esclaves qui ont été envoyés au Brésil venaient d'Angola. Et 25 % de ceux qu'on trouvait aux USA venaient d'Angola également. Ce qui signifie qu'une très grande majorité des gens dont les ancêtres étaient esclaves ont des origines angolaises. L'une des plus grandes prisons aux États-Unis s'appelle « The Farm ». Elle est gigantesque, et elle est communément surnommée « Angola ». C'est une part énorme de la culture.

Tu as lancé un Kickstater pour financer un projet dans lequel tu emmène les groupes de Death Metal Angola en tournée dans certaines villes de la Rust Belt - de Detroit à Cleveland en passant par Baltimore et Gary, en Indiana. Je ne suis pas tout à fait certain de saisir le lien.
Tout est en rapport avec Detroit. Que j'étais en Angola, je n'ai pas arrêté d'être surpris par les points communs entre Huambo et Detroit. Ça m'a beaucoup rappelé le quartier dans lequel j'ai grandi. J'ai grandi au milieu des coups de feu, mais pas dans une zone de guerre. Ce qui m'a marqué dans la scène angolaise, c'est sa résilience. Sa capacité à rebondir. On s'est associés avec la Fullbright Association pour nous rendre dans des endroits aux États-Unis durement touchés par la désindustrialisation. Et on leur a montré le documentaire comme un parfait exemple de reconstruction d'une communauté.

J'imagine que le problème avec le hip-hop, c'est qu'il a gagné – c'est en effet le langage principal aux USA aujourd'hui. Donc, si tu veux parler des outsiders, le metal convient mieux.
Oui, et ça a toujours été le cas, je pense. C'est fascinant pour moi, parce que, quand j'étais plus jeune, je détestais cette musique. Je pensais que le métal, c'était un truc de blancs qui vivent en banlieue. Et puis, en me lançant dans ce projet, j'ai compris. C'est vraiment un truc de classe ouvrière. Et il y a une mise en valeur de la technique. C'est une musique ambitieuse : tu dois vraiment être bon pour jouer du metal, alors que tu n'as pas besoin d'être bon pour former un groupe punk. Tu dois apprendre et passer de nombreuses étapes. Certaines des personnes qui jouent de cette musique font partie des gens les plus intelligents que j'ai jamais rencontré. Death Metal Angola sera projeté mercredi 18 décembre à la Gaîté Lyrique et on a des places à faire gagner ici. Gavin Haynes est sur Twitter - @hurtgavinhaynes