Danny Fields est le plus célèbre fouteur de merde de l'industrie musicale

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Danny Fields est le plus célèbre fouteur de merde de l'industrie musicale

Il a managé les Ramones, coulé les Beatles en un seul titre et nui à son entourage tout au long des années 60 et 70. Avec Danny, c'était toujours le bon endroit, au bon moment, tout le temps.

Au début de Danny Says, documentaire sorti récemment sur le légendaire manager, éditeur, écrivain et impresario musical Danny Fields, le spectateur est gratifié d'une des scènes les moins glamour issues de ses pléthoriques archives audiovisuelles : un film amateur de sa bar-mitzvah. Le jeune adolescent maigrichon, mal à l'aise dans son costume trop grand, qu'on voit faire un coucou maladroit à la caméra et servir le vin casher à plusieurs invités au visage austère, est à des années-lumières de Danny le grand fouteur de merde, dont les exploits sont consignés dans des ouvrages tels que Please Kill Me et No One Here Gets Out Alive. Puis la caméra zoome sur sa famille au complet, sourire aux lèvres, et la légende apparaît : Marquet Studio, Forest Hills, NY. « Forest Hills », dit la voix pensive de Danny adulte, hors caméra. « C'est de là que viennent les Ramones, non ? »

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Ceci est la première de la longue série de coïncidences, rencontres fortuites et concours de circonstances décisifs qui ont émaillé la vie de Danny Fields. Il est étonnant qu'avec une capacité aussi troublante à établir des connexions et à faire entrer les artistes dans son monde espiègle et merveilleux, on ne lui ait pas consacré un documentaire plus tôt. Par exemple, le jeune homme originaire du Queens, diplômé de droit à Harvard, traînait dans l'East Village, avec la célèbre bande de la Factory de Warhol (Edie Sedgwick a vécu chez lui pendant un temps). Il a défendu le Velvet Underground, travaillé comme attaché de presse chez Elektra avec les Doors, le MC5 et les Stooges, sans parler de son travail de manager pour les Ramones, à leurs débuts. La liste de ses prouesses sur cette période de 15 ans environ pourrait à elle seule être le sujet de plusieurs longs-métrages, mais ces expériences ne représentent que les trois quarts de la durée du documentaire.

« La première fois que j'ai entendu parler de Danny, c'était quand j'avais 14 ou 15 ans, j'étais un fan absolu de Jim Morrison et je lisais No One Here Gets Out Alive - il était toujours présent quelque-part en arrière-plan », explique le réalisateur de Danny Says, Brendan Toller, mélomane enthousiaste de même pas trente ans. « Je le découvre donc attaché de presse de Jim Morrison et des Doors, et ils se détestent, c'est bien expliqué dans le bouquin. Et puis j'ai lu Edie : American Girl et Please Kill Me, et je me suis dit 'Bon, ce n'est pas possible que ce Danny Fields-là soit le même mec. Il doit s'agir de deux ou trois personnes différentes.' Et bien sûr que c'est le même mec, mais je n'arrive toujours pas à croire qu'il volait du cristal à Cambridge avec Edie, et que des années après, ce soit lui qui manage les Ramones. Il est juste au bon endroit, au bon moment, tout le temps. »

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En parlant à Danny au téléphone, on comprend immédiatement comment il a à ce point réussi à être au four et au moulin pendant toutes ces années. Il aborde tout le monde comme un nouvel ami potentiel. Pendant l'heure et demi qu'a duré notre conversation, il change fréquemment de tempérament : il est un ami intime avec qui on échange les derniers ragots ; une figure paternelle distante, qui témoigne un vague intérêt pour mon bien-être professionnel ; un oncle à la maladresse gentiment déplacée, qui vous montre son méga stock de weed et son incroyable collection de vinyles. Il passe d'un sujet à l'autre, évoquant son amour pour Stromae (« C'est la personne que je trouve la plus intrigante en tant que performer »), les classiques du folk américain (« 'Go Tell Aunt Rhody The Old Grey Goose Is Dead', c'est tellement mignon »), l'état déplorable de sa liste de trucs à voir sur Netflix (« Je me contente de regarder des animaux qui se mangent entre eux ! 'La vie sauvage de Madagascar', en espérant voir arriver les grands carnivores »).

Iggy Pop et Danny. Photo - Brigid Berlin.

Sa personnalité est presque écrasante, ce qui rend d'autant plus intrigante sa réaction relativement blasée face à ce film qui met sa seule existence à l'honneur.

« Il n'y a pas d'intérêt inhérent à ma personne », me dit-il quand je lui demande ce que ça fait de voir autant de moments de sa vie compilés dans un documentaire. « Mon nom n'est pas fait pour être mis en avant. C'est plutôt une coïncidence si mon nom se retrouve dans le titre. Ça ne signifie rien, à part le fait qu'il figure aussi dans le titre d'une chanson catchy », déclare-t-il prosaïquement, faisant allusion à la balade des Ramones de 1980, d'où le documentaire tire son nom. « C'est très pratique d'avoir cette chanson, et de ne pas avoir à réfléchir à un titre pour le film, parce qu'on l'aurait appelé comment, sinon ? Danny comment ? J'ai de la chance d'avoir toujours été entouré de gens intéressants, qui eux-mêmes ont des connexions intéressantes. Sous cet aspect-là seulement, oui, ça parle de moi. »

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La majeure partie du documentaire repose sur l'accès aux archives personnelles, à la limite de l'obsessionnel, de Danny : une chronologie minutieusement conservée et référencée, de toutes les fabuleuses personnalités ayant gravité dans son entourage. Les innombrables heures de conversations téléphoniques, qui semblent avoir été enregistrées plus par habitude que par volonté de mémoire, sont particulièrement juteuses. « Au début des années 60, avec l'avènement de l'enregistreur cassette facile à utiliser, tout le monde s'est mis à tout consigner. » explique-t-il. « Ils avaient une petite ventouse qu'il suffisait de coller derrière le combiné d'un téléphone fixe pour enregistrer toute la conversation. Tu sais, c'était affreux à l'époque, si tu n'avais plus de place sur une cassette, il fallait trier. 'Hé, untel est plus mignon. Je vais l'enregistrer par-dessus untel qui, je sais pas, je n'aimais pas son odeur. »

Il y a un échange remarquablement drôle, avec Nico, autour de l'enregistrement de son album totalement avant-gardiste The Marble Index, dans lequel elle discute de travail avec Danny, de ce même drone de voix caverneuse avec laquelle elle chante. « C'est exactement ce à quoi on s'attend, hein ? Et quelle chance d'avoir ce truc ! » s'exclame Danny. « Je veux dire, elle est beaucoup plus mythique et légendaire, et importante pour notre civilisation depuis l'époque où cette cassette a été faite. Et puis elle est morte, tu vois ? Et si j'avais dit 'Oh, on a échangé tellement d'appels géniaux, j'aurais pu les enregistrer, mais je ne l'ai pas fait' ? »

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Bien que le film consacre une autre scène au « Wall of Fame » de Danny, une partie de son appartement de New York, recouverte du sol au plafond de photos de lui avec différents musiciens célèbres – Janis Joplin, John Lennon, Brian Eno –, il ne semble pas non plus pleurer un passé révolu. « Je crois que quand il pense à sa vie, il repense à une belle journée, un bon moment, ou à une personne qu'il aime », analyse le réalisateur. « Et tellement d'entre elles ont disparu. Des tonnes d'amis se sont évanouis de son carnet d'adresse. Mais je pense qu'à ceux que ça intéresse, il dira tout de son passé, parce qu'il sait qu'aujourd'hui, ces histoires peuvent exciter les gens, ou leur révéler des choses qu'ils ne connaissent pas sur cette époque. »

« Je me dis toujours la même chose, » confirme Danny, sur son habitude d'archivage. « 'Ah, quelle soirée magnifique ça avait été, quelle personne géniale c'était, pourquoi est-ce que je n'ai pas pris de photo.' Je ne consigne pas tout, mais j'y pense encore. 'Mon Dieu, c'était le coup de fil le plus drôle de ma vie', ou 'Mon Dieu, qu'est-ce que j'aimerais avoir une cassette de la voix de cette personne, qu'est-ce qu'elle me manque.' »

Danny, Iggy, Lisa Robinson, Bowie. P

hoto - Lee Black Childers.

Bien qu'elle ne soit pas ouvertement mentionnée, cette mélancolie devient, au fil des anecdotes triviale, le propos sous-jacent mais inhérent à Danny Says – Danny pourrait bien être le dernier d'une lignée mourante, dans la mesure où, même s'il n'était pas musicien, il a réussi a exploiter les richesses de l'industrie depuis l'intérieur pour permettre le développement d'une partie de la musique rock la plus influente de tous les temps. Sa manière, digne d'un caméléon, d'endosser un rôle après l'autre – rédacteur en chef d'un magasin pour ados Datebook, au milieu des années 60 (il est responsable du fameux titre « Les Beatles sont plus connus que Jésus »), « dégénéré officiel » des bureaux d'Elektra – lui a conféré une capacité de pénétration inenvisageable chez quelqu'un doté d'une personnalité plus traditionnelle. ​

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« Il y a tellement de gens qui se définissent par leur travail de nos jours, et tellement de gens qui ne font même pas leur travail, » explique Brendan, quand il parle de ce qui l'a fait s'intéresser à la carrière de Danny. « Ce que ce film montre, je l'espère, c'est qu'il n'est pas forcément défini par sa sexualité, qu'il n'est pas vraiment défini par son boulot, quel qu'il soit à un moment X ou Y, rien de tout ça ne le définit. S'il était artiste, son médium serait les gens. Simplement faire naître la confiance ou créer le contexte nécessaires pour qu'une personne donnée existe aux yeux du grand public, que ça soit Joey Ramone, ou Patti Smith, ou Iggy Pop. Voilà des artistes sur lesquels un Clive Davis, ou même un Jac Holzman, n'auraient jamais vraiment parié, mais grâce à son éducation, son intelligence, Danny réussissait à réunir différents éléments et à convaincre les gens que ça valait le coup d'être vu et entendu. »

Danny, de son côté, repousse toute tentative d'idéalisation romantique. « C'est une petite annonce – et quelle métaphore pour quelqu'un qui se demande quoi faire de sa vie, 'Hmm, voyons voir ce qu'ils cherchent' – qui m'a lancé dans le milieu le plus improbable du monde, en l'occurrence l'industrie de la musique populaire », dit-il, songeur. « J'ai menti, et je me suis fait virer, mais c'était fait, j'avais un pied dedans, j'avais fait ma part de bêtises, pour le dire gentiment, et j'ai simplement continué. Tu avais la musique, tu avais cinq mecs mignons en même temps, n'oublions pas ça. Tous les mecs disaient qu'ils jouaient dans des groupes pour draguer, et toutes les filles disaient que ça leur plaisait parce que ça leur permettait de rencontrer cinq mecs mignons d'un coup ! Alors ouais, c'était cool. Mais je ne pense pas qu'il y ait de moment où tu cries « Eureka ! ». Je crois plutôt que tu te retrouves là-dedans, et qu'ensuite tu inventes ce que tu es, et qui te permet de payer ton loyer et d'acheter de quoi manger. »

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Danny et Nico. Photo - Linda Eastman McCartney​.

Peut-être est-ce seulement l'environnement dans lequel Danny a laissé son empreinte qui n'existe plus vraiment sous cette forme ; il est le vestige d'une époque où les labels avaient assez d'argent pour se payer quelqu'un avec son intelligence sociale. « Mon boulot n'avait pas de nom, et c'est pourquoi j'avais toujours le sentiment que j'allais me faire virer, parce que quelque soit le boulot que je visais, j'allais filouter pour l'obtenir, et je serais la mauvaise personne. Mais tant que tu peux faire des notes de frais, que tu as des secrétaires, et un salaire, tu te débrouilles pour avancer. Et on générait des grandes quantités d'argent grâce au truc de vendre aux gens 12 chansons là où ils n'en demandaient qu'une seule. » Il rit. « Les gens se roulaient dans le fric. On nous payait l'avion pour un week-end à Copenhague, en première classe, juste pour voir, je ne me souviens même pas du nom du groupe. Aller-retour en première pour l'Europe, et puis l'hôtel cinq étoiles, pour aller voir un groupe ? Avec plaisir. »

Il me demande si je bénéficie des mêmes avantages, en tant que journaliste musical, en 2016. Je l'informe que non. Mais, amener de vrais artistes, novateurs et légitimes, dans ce monde-là, n'est-ce pas suivre les principes fondamentaux du punk ? Renverser l'ordre établi au nom de l'authenticité et de la volonté de choquer ? Par exemple, prenons le fameux épisode avec les Beatles, lorsque Danny et sa nature désinvolte attisèrent la haine de l'Amérique conservatrice. « J'ai commencé avec un magazine. Ce que je faisais le mieux, c'était lire et écrire, et regarder des photos de beaux garçons. Tu ajoutes tout ça, et ça te fait un magazine de rock'n'roll ! Et puis tu mets Jésus par-dessus le tout, ça fait un peu de bruit, et des années plus tard, on en reparle, parce qu'il n'a fait qu'aller en s'amplifiant, ce bruit. Sur Facebook, quelqu'un a demandé à Brenda 'C'est un documentaire sur le journaliste qui a tué John Lennon ?' »

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Danny semble authentiquement choqué. « Voilà le monde dans lequel on vit. Imagine, tu es assis à ton bureau, c'est ton premier boulot dans un magazine, tu as 20 ans, et tu te dis 'Allez, c'est le moment de lancer un truc qui mènera à la mort de John Lennon dans 15 ans.' Les gars, vous êtes sérieux ? Ce n'est pas ce qu'il s'est passé, mais apparemment il semblerait qu'aujourd'hui il existe quelqu'un, dans tout l'univers, qui pense ça. C'est ahurissant d'absurdité et de bêtise, mais s'il y a quelqu'un pour penser ça, je ne peux pas y faire grand chose. »

Cela semble être le seul épisode, dans la chronologie du film, où la machine de lancement promotionnel de Danny s'emballe et devient hors de contrôle, mais il témoigne bien plus de la folie de la droite conservatrice ainsi que du pouvoir de la presse musicale de l'époque, que de sa volonté de mettre le feu aux poudres.

Danny ne fait plus autant de remue-ménage dans le milieu (le documentaire n'aborde pas son travail dans le monde de la country, ni sa biographie acclamée de Linda McCartney, son amie proche). En vérité, il semble plutôt s'en tenir à l'écart ces temps-ci (il se plaint de devoir assister à la première de Danny Says, par peur des « preneurs de selfies »).

« La musique a toujours fait partie intégrante de ma vie, même si maintenant, je m'octroie le droit de dire que je hais la musique quand les gens commencent à en discuter – je veux dire, à mes yeux, je déteste la façon dont les gens parlent du business de la musique, parce que ça a été toute ma carrière. Quand tu passes une frontière, et que la douane te demande  'Que faisiez vous dans votre vie ?' Je réponds 'J'étais dans l'industrie de la musique', mais juste parce qu'aucune meilleure phrase ne me vient à l'esprit. Un seul élément ne suffit pas à changer le monde. La nouvelle idole des jeunes, elle doit passer à la télé, et/ou avoir un tube, en général, plutôt une combinaison des deux. Tu as besoin d'un truc comme les Bay City Rollers » explique-t-il, en parlant du groupe pour ados qu'il a contribué à faire percer aux États-Unis, quand il était rédacteur en chef du magazine 16, au milieu des années 70 – encore une autre identité professionnelle. « Toutes les filles hurlaient en Angleterre, mais on arrivait pas à les faire hurler en Amérique avant qu'ils aient un morceau numéro 1. Ce coup de pouce est nécessaire au démarrage. Il faut un peu de musique, un peu de chanson, et un peu de mouvement de bassin. Mais tu as besoin de tout ça. Voilà pourquoi j'ai juste envie de danser, maintenant. »

« Danny, c'est le personnage punk typique », explique Brendan. « Un de ses films préférés, c'est Le Voleur de Bagdad, et je me souviens de lui disant à un journaliste, 'Je veux juste être cette créature magnifique, asexuée, rebelle, qui s'enfuit en tapis volant vers un arc-en-ciel.' Et c'est la personne qu'il est, non ? Je pense que même s'il ne travaille plus dans l'industrie de la musique aujourd'hui, il continue à faire ce qu'il a toujours fait, que ça soit découvrir un professeur de Qigong, ou encourager les ambitions artistiques d'une jeune serveuse. Il est simplement lui-même, et sa simple présence sur Terre en tant que Danny Fields est une valeur ajoutée. »

Cameron Cook est sur Twitter.