Les rappeurs français racontent leur morceau préféré de Biggie

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Les rappeurs français racontent leur morceau préféré de Biggie

Il y a 20 ans, un des plus grands rappeurs des années 1990 mourrait dans une fusillade à Los Angeles. Zoxea, Oxmo Puccino, Prince Waly, Lucio Bukowski et quelques autres sont revenus sur leurs titres favoris du Notorious B.I.G.

Il manque souvent des mots suffisamment précis et éclairants pour parler de Biggie, dont on peine toujours, vingt ans après sa mort, le 9 mars 1997 suite à une fusillade à Los Angeles, à définir pleinement l'importance et l'impact. Ce qui est sûr, c'est que l'œuvre du bonhomme, pourtant resserrée sur deux albums à peine, a profondément marqué plusieurs générations de rappeurs hexagonaux, traditionnellement plus portés sur le boom-bap new-yorkais que le G-Funk de la West Coast. On rate donc beaucoup de ce bon vieux Notorious si on ne perçoit pas, derrière sa voix grave, son flow inimitable et ses poses savamment marquetées par Puff Daddy, une influence évidente sur le rap français, actuel ou non. On tient pour preuve ce que nous disent Zoxea, Oxmo Puccino, Prince Waly, Driver ou encore Lucio Bukowski ci-dessous : oui, Biggie a fait évoluer le hip-hop ; oui, il avait un sens du storytelling à faire jalouser Scorsese (les vrais savent que l'enchainement entre l'outro de Ready To Die et l'intro de Life After Death relève du génie) ; et oui, il est encore aujourd'hui (presque) impossible de choisir un titre en particulier au sein d'une discographie riche en morceaux percutants et profonds.

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Zoxea – « Notorious Thug »

Si je ne devais citer qu'un titre, ce serait « Notorious Thug » avec les Bone Thugs-N-Harmony. Quand tu connais bien Biggie, tu sais qu'il était très New York à la base et que, lorsqu'il a voulu grandir, sur les conseils de 2Pac, selon la légende, il a dû se réinventer. Il adopte alors l'imagerie Versace, le côté mafieux italien, et va chercher le groupe le plus chaud de la West Coast. Et c'est assez dingue la facilité avec laquelle il entre dans ce morceau et rappe à la façon des Bone Thugs. Du coup, « Notorious Thug », c'est un peu comme si c'était un mix du son new-yorkais et californien. Ça me rappelle le morceau qu'avaient enregistré Nas, Raekwon et Prodigy, « Eye For An Eye » : là aussi, tu sens que Biggie et Bone Thugs-N-Harmony veulent donner le meilleur d'eux-mêmes, ils veulent se surpasser et ça donne un chef-d'œuvre, avec une âme et de vraies idées mélodiques, comme ce gimmick juste avant le refrain, que l'on presque considérer comme un clin d'œil à la pop anglaise. Pour tout dire, je suis sûr que si Biggie n'était pas mort, il aurait clippé ce morceau.

Prince Waly – « One More Chance »

Dès le début, le morceau est dingue : une meuf le supplie de lui donner une dernière chance, ensuite Biggie débarque et raconte que c'est compliqué pour lui avec les meufs, qu'il les trompe, etc. Ça peut paraître anodin, mais c'est hyper dur de traiter de ce genre de sujet sur une mélodie aussi sombre que celle de « One More Chance ». En plus, il a une façon de raconter l'histoire, un groove dans la voix, que j'ai toujours adoré. J'ai toujours eu l'habitude d'écouter les albums d'une traite, avant de revenir plus tard sur les titres qui m'avaient le plus attirés, et ça n'a pas manqué à l'écoute de Ready To Die : lorsque j'ai découvert ce disque à 18 ans, « One More Chance » a tout de suite été le titre que j'écoutais en boucle. Un peu comme pour Hill des X-Men en France, j'avais besoin de comprendre comment il rappait, comment il arrivait à écrire telle ou telle phrase. Bon, j'étais une bille en anglais, mais Internet me permettait d'aller chercher les traductions. Et ça me fascinait, presque autant que son physique. D'ailleurs, comme j'étais bien fat à l'époque, les copines de ma sœur n'arrêtaient pas de me dire que je lui ressemblais. Ça a renforcé ma sympathie pour Biggie.

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LK de l'Hôtel Moscou – « Ten Crack Commandments »

J'ai découvert sérieusement la musique de B.I.G. sur le tard, au début des années 2000. Avant ça, tout ce que j'avais entendu de lui, c'était ses gros singles jiggy vers 97/98 : les « Juicy » et autres « Mo Money, Mo Problems ». À cette époque-là, j'avais 14 ans et j'avais une conception très cloisonnée du rap, j'étais fermé à tout ce qui se rapprochait un peu du « commercial », je n'avais donc pas approfondi mon écoute. Il m'a fallu quelques années de maturité en plus pour me donner l'envie de redécouvrir des classiques et dépasser mes premières impressions ; et c'est mon intérêt pour les productions de DJ Premier qui m'ont amené aux « Ten Crack Commandments ». La manière dont le sample est utilisé est génial, Primo crée une atmosphère rugueuse, complètement différente du clavier original de Les McCann (le morceau « Vallarta »), à partir d'un son que beaucoup utiliseraient plutôt pour faire un son classieux et propre façon J.U.S.T.I.C.E. League. C'est là que j'ai rencontré le Biggie qui m'intéresse, le storyteller, le technicien, et puis le paranoïaque et sa fascination pour la mort. À partir de là, j'ai pu vraiment m'immerger dans le reste de Life After Death et de Ready To Die.

Oxmo Puccino - « Somebody's Gotta Die »

C'est presque impossible de citer un morceau de Biggie en particulier, l'exercice équivaut à demander de choisir ses pages préférées dans un livre sacré. Honnêtement, je n'ai pas de morceau préféré de Biggie, c'est le plus grand rappeur de tous les temps donc tous ces morceaux sont des préférés selon le moment de la vie. Là, j'ai cité « Somebody's Gotta Die », mais ça aurait tout aussi bien pu être « Ten Crack Commandments », « Suicidal Thoughts » ou « Juicy ».

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Lucio Bukowski – « The Wickedest Freestyle »

Plutôt qu'un « classique » tiré d'un de ses albums, je préfère citer ce court freestyle au son bien crade et épuré. Un beat, une basse, une voix. On a tout Biggie en 2 minutes. Pas le Biggie fantasmé par les gens et leur obsession de la « technique » et de la « virtuosité ». Pas de virtuosité, pas de matériau étudié et peaufiné finement, aucun besoin de montrer une maitrise technique quelconque… Ici, il n'y a que cette aisance naturelle propre au MC, ce qui demeure sauvage et instinctif dans la création… un langage pur. Tout comme la guitare était le prolongement du corps d'Hendrix, la trompette celui de Miles, le flow de Biggie est indissociable de son être. Tout le contraire d'une leçon bien apprise !

Caballero – « Big Poppa »

Je dois avouer que ce n'est pas très original, mais mon son préféré de Biggie est sans aucun doute « Big Poppa », sur son premier album Ready To Die. À l'adolescence, je ne le connaissais pas du tout, c'était la période « crunck » à ce moment-là, mais, un beau jour, à 14 ans, je vais chez mon meilleur ami pour passer quelques heures à faire l'apprenti DJ dans la cave de son frère qui possédait des centaines de vinyles et des platines. En fouillant bien dans les bacs, on tombe sur ce qui allait être pour moi une révélation ! L'ambiance new-yorkaise du son me dépaysage totalement de la tendance sauvage du Dirty South de l'époque, les flows et la mélodie plus chill du morceau me séduisent. C'est à ce moment-là que j'ai compris qu'il ne fallait pas que des cris sur tout un morceau pour qu'un rap soit percutant. Depuis ce jour-là, je me suis plongé dans son univers et suis devenu un grand fanatique du rap new-yorkais dans son ensemble. My man Biggie est un maître qui m'a beaucoup appris. J'espère qu'il passe du bon temps là-haut… R.E.P.

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Sam's – « Who Shot Ya? »

Biggie, ça me rappelle toujours quand j'étais tit-pe, lorsque je me prenais ses kicks et ses skills en pleine gueule. C'était du rap sans concessions, avec beaucoup de technique et un flow de malade. Là, pour « Who Shot Ya? », au-delà de l'histoire du morceau et du beef avec 2Pac, c'est son côté tranchant qui me fascine. Tu sens qu'il est sale dedans, qu'il est hardcore mais qu'il est dans un clash intelligent, sans « nique ta mère » ou autre. J'aurais également pu te citer « Kick In The Door », parce que ça fait partie des deux meilleurs morceaux de Biggie, ceux où tu sens qu'il a le seum, ceux sans qui ses tubes n'auraient jamais existé. Pour moi, « Who Shot Ya? » fait vraiment partie des morceaux qui ont bâti les fondations de la légende Biggie, ça lui a permis d'être immédiatement validé par la rue. Et ça, c'était valable jusqu'en France : à l'époque, dans mon quartier, si tu faisais du rap et que tu ne kickais pas sur une instru de Biggie, c'était presque un blasphème.

Driver – « Gimme The Loot »

Ce titre possède une histoire digne d'un scénario de film. Ça raconte l'histoire d'un vieux gangster expérimenté qui part faire un braquage aux côtés d'un jeune gangster, en manque d'expérience. Biggie y rappe les deux personnages, avec une voix plus grave pour l'ancien et plus aigue pour le jeune, et les échanges sont magnifiques : c'est parfois drôle, parfois cru, mais toujours très bien écrit. Comme lorsqu'il braque une femme enceinte et que le gangster expérimenté lui dit qu'il veut ses bijoux, son argent et l'argent qu'elle compte mettre sur le compte en banque de son enfant. Quand la police arrive, on sent que le jeune commence à paniquer, qu'il a des regrets et qu'il veut se rendre, mais l'ancien n'est pas d'accord. Pour lui, c'est réussir ou mourir et il fait alors comprendre à son jeune comparse qu'il est prêt à aller jusqu'à la mort sur ce coup. En cinq minutes à peine, tu tiens là un scénario de fou. Biggie reprendra un peu le même procédé sur « Warning », où il rappe à la place de Puff Daddy, qui joue son rôle dans le clip mais qui ne rappait pas encore à cette époque. Mais là, dans « Gimme The Loot », tu saisis à quel point c'était un rappeur qui avait le sens de la description, dans ses moindres détails. Et c'est ce que j'aime chez lui, cette faculté à penser à des nuances auxquelles les autres rappeurs ne vont pas penser.

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Ce qui est marrant aussi, c'est que cette phase sur la femme enceinte est censurée dans la réédition de l'album Ready To Die. C'est dommage parce que ça représente bien le jusqu'au-boutisme de Biggie, un mec qui, sur le titre « Ready To Die », a quand même été jusqu'à dire : « I'm ready to die and nobody can save me. Fuck the world, fuck my moms and my girl ». Il a dit « Fuck my moms », merde ! Et voilà pourquoi « Gimme The Loot » est important pour moi, parce que cette science du storytelling est poussée à l'extrême. Cela dit, j'aurais pu te citer également « Big Poppa », dans le sens où le clip de ce morceau m'a fait comprendre à quel point on pouvait être gros tout en étant sexy et plaire aux filles.

Jeff Le Nerf – « Juicy »

Même si ce n'est pas mon préféré musicalement, « Juicy » est sans doute son morceau qui m'a le plus marqué, lyricalement du moins. J'avais 16 piges quand j'ai découvert le titre et ça donnait de l'espoir à tous ceux qui espéraient devenir rappeur. Cela dit, à 20 ans, quand j'ai eu l'occasion de découvrir Biggie en profondeur, notamment grâce à des potes calés en anglais qui m'ont permis de comprendre davantage ses textes, j'ai été déçu. Je trouvais que ça parlait beaucoup de champagne et de putes, et ça ne me touchait pas. Je sais qu'il y a tout un mythe autour de Biggie et que je risque de me faire attaquer pour ce que je vais dire, mais je pense sincèrement que Puff Daddy a gâché le talent de Biggie en l'orientant vers ce genre de morceaux. Attention, je respecte à fond le bonhomme et reconnaît qu'il avait un flow de malade, je ne peux d'ailleurs pas te dire à quel point j'ai kiffé Ready To Die, mais j'ai toujours trouvé que ça manquait de consistance au niveau des textes. C'est sans doute pour ça que je préfère 2Pac, de toute façon. Que ce soit pour sa vibe, son propos ou son flow rageur, 2Pac m'a toujours paru plus profond, même si Biggie fait quand même partie des rares rappeurs inimitables. Ce n'est pas possible de rentrer sur son terrain sans lui ressembler ou paraître pour un vulgaire copieur.

Mokobe – « Dead Wrong »

Au sein de la Mafia K'1 Fry, on était beaucoup à venir de la danse, on était donc très sensible au rythme de la mélodie. Quand « Juicy » a débarqué, on s'est donc tous pris une claque en pleine gueule avec cette prod à la fois dansante et mélancolique. À l'époque, tu étais certain de l'entendre en soirée. C'était sans doute l'un de ses sons les moins new-yorkais, j'aurais même vu davantage 2Pac poser sur ce genre d'instru, mais il a bercé notre jeunesse. Pourtant, ce n'est pas le titre de Biggie qui m'a mis la plus grosse claque. Selon moi, son meilleur titre est sorti en 1999. C'est « Dead Wrong ». À l'époque, on commençait à faire le deuil de Biggie, ça faisait deux ans qu'il était décédé et on était en train de se faire une raison. Mais là, on nous annonce qu'il y a des titres inédits qui arrivent et on découvre que, parmi ces morceaux, il y en a un aussi puissant que « Dead Wrong », avec son beat exceptionnel, à la fois old school et club. Ça été une grosse claque, et ça m'a reconnecté avec Biggie. Il faut savoir qu'on l'avait découvert via MTV et que, lorsqu'on allait à Londres, vers 1994-1995, on faisait du shopping pour rentrer au quartier avec les mêmes pulls et les mêmes lunettes Versace que lui. Bon, c'était de la contrefaçon, on n'avait pas les moyens d'acheter les originaux, mais ça nous permettait de nous connecter à lui. Donc ça été agréable de ressentir à nouveau ce genre de sensation à l'écoute de « Dead Wrong ». Aujourd'hui encore, les titres de Biggie me rendent hyper nostalgiques, ils sont tellement liés aux années Mafia K'1 Fry, à tous ces moments où l'on sillonnait les rues de Paris et de Province tous ensemble, que je ne peux que regretter cette époque. Maxime Delcourt est sur Noisey Noisey 1997 c'est toute la semaine ici.