La Malka Family sonnera-t-elle « Le Retour du Kif » ?

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La Malka Family sonnera-t-elle « Le Retour du Kif » ?

Où en est le funk, en France, en 2018 ? Tentative de réponse avec un des groupes les plus emblématiques du genre, revenu en fin d'année dernière avec un nouvel album.

Après dix-huit ans d’absence, un des seuls groupes ouvertement labellisés funk français dans les 90's, La Malka Family, revient sur scène. Comme pour dire aux Daft Punk, qui ont imité leur groove trentenaire, « Ok, on va vous le faire en vrai ». L’occasion de tracer quelques lignes depuis les origines et de répondre à cette interrogation : où est le funk en France aujourd’hui ? Je suis allée à la rencontre de la Malka, en répétition et à leur concert chahuté de la Cigale, mais aussi de Sidney, de Sandra Nkaké et d’autres résistants qui se battent pour maintenir l’esprit funky. Un retour du groove qui touche aussi bien les jeunes, nostalgiques d’une époque qu’ils n’ont jamais connu, que les anciens, éternels état-d’âmistes du funk. Le funk, l’original, c’est cette musique afro-américaine portée par le black power de Mister Dynamite : « Say it loud, I’m black and I’m proud » - fameux one-liner de James Brown, qui avait déjà pulvérisé la structure traditionnelle de la chanson avec son « Papa's Got A Brand New Bag » en 1966 . La Malka Family se réclame, elle, plus précisément de la P-Funk, « de la pure », initiée dans les années 70 par George Clinton, leader des légendaires groupes Parliament et Funkadelic. Cocktail détonant formé, entre autre, par quelques transfuges du godfather of funk, James Brown : le bassiste Bootsy Collins, ainsi que son frère Catfish, qui enregistra à 17 ans la basse de « Sex Machine » et des premiers tubes funk de James. Bootsy, qui avait dû se sentir rapidement à l'étroit dans son costard serré chez James, s'est épanoui aux côtés de George Clinton, où il a développé son style « en étoile » et recherché les sons les plus gluants et délirants possibles.

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Au programme du P-Funk, sauce Parliament/Funkadelic : humour débridé et décor de science-fiction, comme pour leur P-Funk Earth Tour de 1976 : des shows extravagants d’au moins trois ou quatre heures, Clinton qui apparaît dans un cercueil, débarquant d’une gigantesque soucoupe volante ou sortant d’une pyramide dorée. C’est la libération par le P-Funk : avec le Mothership, George Clinton fait référence au souvenir d’une vie idéalisée avant la « déportation » sur le continent américain. Ce Mothership est une sorte de vaisseau spatial qui pénètre dans le monde des esclaves déportés, pour les sauver par le funk. Une bonne dose de funk serait capable d’amorcer en l’Homme une sorte de renouveau en soi. Ils carburaient aussi beaucoup au LSD.

Cette philosophie a profondément marqué la musique noire américaine. Prince, dans les années 80, en est fortement imprégné. Les rappeurs californiens (Dr Dre, Snoop Doggy Dog, Warren G…) ont largement emprunté à George Clinton, créant au début des années 90 le G-Funk (gangsta funk). Sidney, l’animateur de radio et télévision qui a popularisé le hip-hop en France en 1984, avec sa fameuse émission Hip-hop, nous rappelle combien nombre de musiques actuelles sont basées sur le funk : « Toute la danse hip hop, le mec qui rappe, il y a un beat, un tempo, une ambiance, c’est d’abord funky. »

Comment ce groove a-t-il atterri en France ? Francesco, disquaire spécialisé de la capitale, tenancier du magasin Musique Avenue depuis vingt-deux ans, me raconte l’arrivée du funk dans les années 1971-1972. « Il y avait une communauté noire, des émigrés et un Barclay qui faisait venir des Quincy Jones, Henri Salvador, des musiciens… Johnny Hallyday, en 1972-1973, l’orchestration est disco funk plus que rock. Dans les musiques de films aussi : les Charlots, Lino Ventura, Louis de Funès. Après il faut savoir décoder. »

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Pour Sandra Nkaké, chanteuse soul qui a longtemps collaboré avec un autre mandarin du funk VF, Juan Rozoff, c’est avant tout un état d’esprit, une manière de voir la vie et les rapports humains : « Mon Funk c’est le collectif et défendre des valeurs de respect, de tolérance tout en faisant bouger les corps et les esprits. Ce qui me plaisait et m’intriguait c’était le caractère subversif de Betty Davis, sa manière de défendre une féminité forte mais pas agressive. C’était l’éclectisme et la spiritualité de Human Spirit. »

On assiste à un retour du funk depuis quelques années, notamment dans les musiques électroniques : « Ils ont découvert très rapidement le funk sur Internet, alors qu’il y a un moment, pour découvrir cet univers, il fallait aller chez les disquaires », se souvient Joseph Guigui, le guitariste de la Malka Family. « Et y aller souvent, parce que parfois ils n’avaient pas le truc, il fallait attendre, arriver au bon moment, une raretés de James Brown coûtait 800 francs à l’époque mais on pouvait la trouver aux Puces à 25 francs, parce que le mec ne savait pas ce que c’était ! »

Il fallait créer son identité, ses codes et ses réseaux. La Malka Family a trouvé le bon filon : organiser des soirées. Les fameuses « Chez Roger boite funk » au Globo. La soirée branchée du vendredi, avec Actuel, Nova et cie. « Ce qui était génial c’est que tout le monde venait super habillé. Au bout d'une heure ou deux, quand le funk faisait son effet, il faisait chaud. On ne pouvait plus garder ses habits, tout le monde retournait au vestiaire et à partir de 23h, tout le monde était en t-shirt, il n’y avait plus de code vestimentaire. »

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La Malka Family s’est affirmée dans un univers musical et social en France, à l’époque où ce qu’elle faisait n’existait pas. Très proches de l’esprit qui animait George Clinton : libertaire, créatif. « La multitude, le côté famille, ériger la fête en évènement social. Revenir à l’esprit mystique et religieux. » Woody Braun, le saxophoniste, souligne la part cosmique de la musique, comme dans leur chanson « Bellevie ». Il confie avoir été sauvé par une chanson de Parliament. « J’étais très déprimé à une époque, adolescent. Je prenais des cachetons et j’ai compris dans "Funkentelechy" (la force qui rend le funk meilleur), je l'écoutais en boucle, c'était une sorte de thérapie. » Il y a toujours eu une part de sorcellerie dans le funk -à un moment donné, le corps est pris et l’âme aussi. Woody s’envole : « C’est comme le cosmos, un art de cycles et de vibrations. Sauf que la vibration musicale est une vibration terrestre, plus ésotérique. » Dany'O Thomasi, le bassiste, conclut : « On élargit le champ, c’est un lâcher-prise collectif. »

La Malka a sorti son premier album (Malka On The Beach) en 1991, une période où on ne faisait pas le buzz en 2 jours. « Si t’avais pas un tube ou que tu ne passais pas dans l’émission de variété du samedi soir, pour exister, la seule solution c'était il de faire des concerts. » Ils se souviennent de leur plus grosse date, à la Mutualité -plus de deux mille personnes, du monde dehors. Le concert s’est terminé dans un délire incroyable, non-maîtrisé : « A la fin de "Tous Des Oufs", le public est monté sur scène, on ne se voyait même plus entre musiciens, je pense qu’on était plus de 200. C’était complètement intersidéral, même le patron a flippé, il a fini par allumer les néons. »

Mais le funk de la Malka est-il aussi crade en 2018 ? « On s’est lavé deux trois fois depuis », plaisante Joseph. Après dix-huit ans d’absence, le groupe qui s’était séparé victime de son poids logistique (plus de 14 membres lors de sa dernière tournée mondiale), se reformant au printemps 2015 et signant Le retour du kif en novembre dernier chez Saint Paul Force. « Maintenant c’est carrément une multinationale de la teuf », atteste Woody Braun, qui mixe notamment à la Mano. Francesco, le disquaire, est également DJ. Il raconte son nouvel an à la Mécanique Ondulatoire : « De 18-19 ans, jusqu’à 35 voire 40 ans, des punks, des funks, de tous styles, blacks, blancs, beurs, j’ai passé du Malka Family, Sly and the Family Stone, George Clinton, Georges Duke, Michael Jackson, Prince, des morceaux faits par des rockeurs comme "Let’s Dance" de David Bowie. 300 disques ! »

Pour Emmanuel Forlani, l’organisateur des Free your funk, Paris se remet à groover : « Il y a certainement une saturation d'événements électroniques et finalement les gens sont demandeurs de "Black Music" dans les soirées parisiennes, aussi bien Soul, Funk et Disco que Hip Hop. » L’esprit s'est diffusé, comme le prédisait George Clinton dans les années 1970. George Clinton et la Malka Family seront le 3 juillet au Casino de Paris.