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Les type beats uniformisent-t-il vraiment le rap ?

S'ils ont indéniablement changé le game, les beats « à la manière de » ont-ils pour autant rendu le rap ultra prévisible ? On a posé la question à NonStop Da Hitman et MJ Nichols, producteurs de l'ombre qui vendent leurs sons au plus offrant.
Illustration : François Dettwiller

On le sait : l’Amérique a toujours aimé les success stories et les self-made men, ces hommes partis de rien et qui, sans que l’on comprenne très bien pourquoi de prime abord, parviennent à se faire un nom et à chambouler un tant soit peu les codes de leur milieu. Loin d’appartenir à la catégorie des Dr. Dre ou des Timbaland, NonStop Da Hitman et MJ Nichols sont tout de même de ceux-là. À leur échelle, les deux Américains font partie de ces producteurs qui ont inondé SoundCloud, YouTube ou SoundClick ces dernières années avec tout un tas de type beats, ces beats « à la manière de » qui copient les recettes de producteurs reconnus et désormais utilisés par les poids lourds du rap US - rappel : fin 2015, Desiigner avait acheté le beat de « Panda » à un jeune Anglais pour 200 dollars à peine.

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Aujourd’hui, on ne peut même plus juste dire que le phénomène prend de l'ampleur, c'est un marché en bonne et due forme. MJ Nichols nous le rappelle d’ailleurs d’emblée : quotidiennement, ce sont des clients du monde entier, basés au Japon ou en Espagne, en Angleterre ou en Russie, qui le sollicitent pour des productions composées assez rapidement (et toujours en pensant à des schémas déjà bien établis) sur FL Studio ou Logic Pro. Au point de se poser une vraie question : les type beats symbolisent-ils une nouvelle forme d'expression créative ou simplement la mainmise sur la production mondiale d’un public qui sait ce qu’il a envie d’écouter ? MJ Nichols et NonStop Da Hitman, présents depuis 2007 dans ce secteur avec des prods très proches de celles de Scott Storch, Dr. Dre ou Battlecat, ont leur propre réponse.

Noisey : Concrètement, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans la production ?
NonStop Da Hitman : Tous mes potes, au début des années 2000, faisaient leurs propres beats ou rapper. Ça a fini par me motiver. Étant fan de 2Pac, Snoop Dogg et E-40, j’ai commencé par le rap, mais je n’aimais pas les rythmes et la tonalité des beats sur lesquels on posait nos textes à ce moment-là. J'avais l'impression d'avoir de bien meilleures idées en tête, d'imaginer des beats qui pourraient faire l'affaire. Depuis un sous-sol de mon quartier, où certains de mes potes payaient le propriétaire pour pouvoir y enregistrer, j’ai commencé à faire mes armes, à travailler sur un clavier Triton qui trainait dans un coin. Bon, je ne saurais pas te dire à quoi pouvait bien ressembler mes sons à cette époque, mais je prenais suffisamment de plaisir pour quitter mon job et m’investir pleinement dans la musique.

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MJ Nichols : Je me souviens du premier beat que j’ai pu réaliser. C’était en 2010, dans le cadre d’un concours orchestré sur les forums du label Stones Throw. C’était horrible, je n’avais aucune idée de ce que je faisais, je cherchais simplement à m’amuser. Je travaillais via Sony ACID à cette époque, mais je n’avais pas la connaissance suffisante pour savoir comment faire un bon beat.

Vous avez l’habitude de travailler sur quel type de matériel ?
MJ Nichols : J'ai travaillé un temps avec Ableton Live, mais FL Studio me correspondait davantage. C'est assez simple, ça me permet d'utiliser facilement mes claviers MIDI et ça correspond parfaitement à mon processus de travail.

NonStop Da Hitman : Personnellement, j’utilise FL20 et les gars de Native Instruments me fournissent le reste de mon équipement. J'adore le son du matériel de Native Instruments, donc j'ouvre généralement Maschine en tant que VST (« Virtual Studio Technology », un plug-in, NDLR) et je fais un maximum de séquençage et d'arrangements avec FL Studio. Ensuite, tout dépend de comment le groove apparaît.

Aujourd’hui, on a l’impression que les rappeurs posent de plus en plus leurs textes sur des type beats. C’est un marché florissant ?
MJ Nichols : C'est vrai que la vente de type beats sur Internet a clairement augmenté ces dernières années. Perso, quand j'ai commencé à en mettre à disposition sur YouTube, je devais être parmi les premiers à faire ça. J'avais de temps à autres quelques vidéos qui faisaient de très bons scores en termes de vues. Le reste du temps, j'étais surtout suivi par un public fidèle. Ce n'est qu'en 2014 que j'ai commencé à remarquer que ma chaîne fonctionnait réellement. Depuis, les chiffres n'ont cessé de grimper, au point d'être ce qu'ils sont aujourd'hui. C’est devenu une industrie à part entière.

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NonStop Da Hitman : C'est étrange parce que j'ai l'impression qu'il y a de plus en plus de demandes pour les type beats, mais qu'il n'y a pas encore de clientèle bien établie. Ce qui est sûr, c'est qu'il suffit de taper un truc du genre « Drake type beat » dans une barre de recherche pour voir défiler tout un tas de beats et de beatmakers. Ce genre de recherches, ça aide à générer du traffic sur nos pages respectives. Ça a changé notre métier : le type beat, on n’y consacre pas des heures, c’est surtout un moyen de pouvoir vivre de notre art.

Comment expliquez-vous cet intérêt grandissant pour les type beats ?
NonStop Da Hitman : Je pense que les type beats témoignent de la façon dont la musique est devenue accessible aujourd’hui. Tout est à portée de main, rien ne peut empêcher quelqu'un de produire. C'est tellement facile de télécharger des programmes comme FL Studio et de produire quelques gimmicks sonores, voire d'imiter ce qui est populaire. On n'a plus besoin d'apprendre à utiliser différents logiciels aujourd’hui, il suffit de regarder quelques tutoriels et de balancer autant de beats que vous le souhaitez.

Ne risque-t-on pas de faire face à un son de plus en plus uniformisé ?
NonStop Da Hitman : Le piège, c'est que la musique finisse par ressembler à un long et même son… D’ailleurs, c’est sans doute pour ça que beaucoup de producteurs à l’heure actuelle se cachent lorsqu’ils créent des type beats. Parce qu’au fond, ce ne sont que des copies de ce qui fonctionne déjà…

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MJ Nichols : Tu sais ce que je pense ? Que le terme type beat a juste été inventé pour permettre aux artistes de trouver sur le net le type de beats qu'ils recherchent parce qu'ils ont une idée derrière la tête, qu'ils savent ce qui marche et qu'ils ont envie de coller à une esthétique précise, moderne. Je ne pense pas qu'il soit là pour usurpé le style d'autre producteur, il permet simplement de faciliter les recherches.

NonStop Da Hitman : De toute façon, on a tous commencé en imitant nos musiciens préférés. Ça n’a rien de honteux de procéder ainsi. D’ailleurs, d’autres genres musicaux utilisent souvent la même mélodie depuis des décennies… Cela dit, lorsque j’entre en contact avec des rappeurs, je leur demande systématiquement ce qu’ils recherchent avant d’en faire une version NonStop Da Hitman. Faire un énième beat à la Metro Boomin, je n'y vois pas l'intérêt.

MJ Nichols : De toute manière, ceux qui perdurent dans le milieu sont ceux qui ont su se nourrir de leurs influences pour mieux s’en détacher par la suite. Les rappeurs ont beau avoir un beat qui ressemble à Future ou à Young Thug, c’est aussi à eux de se démarquer par la suite grâce à leur interprétation.

En règle générale, à combien vendez-vous vos différents type beats ?
MJ Nichols : Tous mes prix varient en fonction du beat. Son ancienneté, la façon dont il va être vendu, etc. En fonction de tous ces éléments, j'envoie mes tarifs à l'artiste et on voit ce que ça donne. Mais je ne peux pas t’en dire plus à ce sujet.

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NonStop Da Hitman : Pareil, je ne préfère pas me prononcer là-dessus… [À titre d'exemple, Bone Collector, dont les plus célèbres collaborations sont aux côtés de Damso et Booba, vend entre 500 et 1000 dollars ses exclusivités, NDLR]

On peut au moins savoir le premier beat que vous avez vendu ?
NonStop Da Hitman : C’était en 2013. J’avais balancé vingt beats sur SoundClick, que j’avais laissé à disposition pendant une semaine. J’ai fini par les retirer avant même d’en avoir vendu un seul [Rires].

MJ Nichols : Le jour où j'ai vendu mon premier beat et que j'ai reçu l'argent sur mon compte PayPal, j'étais tellement excité mec ! C'était environ un an après que j'ai commencé à composer des beats. Alors, forcément, ça m'a encouragé à continuer. J'ai compris que je pouvais en faire ma vie.

Vous vous rendez-compte que vous n’avez pas vraiment répondu à ma question ?
NonStop Da Hitman : C’est sans doute que l’on ne s’en souvient plus exactement (rires) ! Tu sais, les demandes s’enchainent. Les productions aussi, du coup !

Tu penses que le marché peut encore s’élargir davantage ?
MJ Nichols : Honnêtement, je ne sais pas comment tout ça va évoluer. Il y a encore quelques années, le marché des ventes en ligne était hyper lucratif, mais tout s'est un peu saturé ces derniers mois, et tout le monde achète désormais des « vues » sur YouTube… Le jeu a clairement changé, on ne sait plus différencier ce qui est vrai de ce qui est faux.

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Et toi, NonStop Da Hitman, tu as une petite idée ?
NonStop Da Hitman : Pareil, c’est difficile à dire. Peut-être qu'une application fera son apparition et révolutionnera encore un peu plus ce marché. Un truc qui permettrait de télécharger des beats, de les enregistrer et de mettre en forme une chanson depuis son iPhone 15 ou quelque chose comme ça [Rires].

Toi, NonStop Da Hitman, tu as l’occasion de collaborer avec Drake, Migos, Dave Eats ou encore 2Chainz. C’était comment ?
NonStop Da Hitman : C'est mon pote PartyNextDoor qui m'a mis en contact avec Drake et m'a permis de collaborer avec lui, alors que Migos a utilisé un de mes beats sans mon accord après qu'un des producteurs dont ils sont proches leur ait parlé de moi. Quand j'ai enfin pu être en contact avec leur management, j'ai pu rétablir le problème, mais la chanson a quand même vu le jour avec d’autres producteurs crédités à ma place… Quant à 2Chainz, j'ai bossé avec lui à l'occasion de l'album Helicopter de Lil Scrappy sorti en 2010. Il se faisait encore appeler Tity Boy à cette époque, mais il a absolument tout niquer sur le titre. C'était super de pouvoir tester de nouvelles choses à ses côtés, même si je garderai toujours en tête ma collaboration avec Dave East. On s’est enfermé dans les locaux du Billboard Studio à Atlanta et on a cuisiné toute la nuit [Rires].

Il y a une histoire particulière derrière « Elevate », un titre que l’on retrouve sur le dernier album de Drake, ou pas du tout ?
NonStop Da Hitman : En fait, j'étais coincé chez moi à cause d'une tempête de neige à Atlanta. Je vis au dernier étage d'un immeuble dans le Midtown et tout mon matériel est juste à côté de mes fenêtres. En les ouvrant, ça donnait l’impression d’être en plein cœur d’un nuage. J’ai donc commencé à composer en me disant qu’il me faudrait un beat trap qui donne l’impression d’avoir été enregistré au paradis [Rires]. Après ça, je l'ai envoyé à PartyNextDoor et ils m'ont immédiatement répondu en me disant qu’ils l’avaient envoyé à Drake. À ce moment-là, il bossait avec Tay Keith, il voulait insérer un de ses breaks dans le morceau, mais il a fini par l’enlever et enregistrer le morceau sur le beat tel qu’il l’avait reçu.

Maxime Delcourt est sur Noisey.

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