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Culture

Une convalescence créative pour le beatmaker Liam

Alors qu’il se remet à peine d’un grave accident de vélo, le beatmaker montréalais Liam fait paraître son nouvel album, Keep It Moving. Contraint à une longue convalescence à domicile, il a utilisé le beatmaking pour panser ses blessures.
Crédit photo | François Ollivier

Le 5 août 2015, Liam circulait à vélo sur une piste cyclable et il s'est fait rentrer dedans par une mobylette électrique. Le choc l'a violemment jeté au sol. Il a eu l'épaule disloquée, le nez cassé, le coude fracturé.

Léandre Martin Meilleur, alias Liam, est un designer graphique de 32 ans, mais c'est surtout l'un des beatmakers les plus sous-estimés de la scène montréalaise. Il a commencé la production musicale en 2010. Le public l'a alors découvert au travers des soirées Artbeat auxquelles participaient aussi Kaytranada et High Klassified.

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C'est au sein du collectif ALAIZ qu'il peaufine sa science du beatmaking aux côtés de producteurs comme Dr. MaD, Musoni et Charles Cozy. Entre 2012 et 2014, Liam connaît une période faste, sortant à la fois des projets solos, mais aussi plusieurs pépites avec son acolyte de toujours, le rapper ST. Avec ce dernier, il cofonde également Trust The Team (TTT), une formation à laquelle va s'ajouter Fruits, un ami beatmaker avec lequel ils vont sortir plusieurs titres en 2014 et 2015.

Immobilisé un long moment par les séquelles de son accident, il a utilisé la musique comme thérapie et a sorti deux albums durant sa période de convalescence.

VICE : Tu t'es senti comment après l'accident?
J'étais dans une certaine détresse, j'ai tout de suite su que ça allait prendre du temps avant de m'en remettre. J'étais aussi très en colère parce que les mobylettes électriques sont interdites sur les pistes cyclables. Si le conducteur avait respecté la loi, tout cela aurait pu être évité. Le plus ironique dans tout ça, c'est que c'est arrivé cinq jours après que j'ai signé un gros contrat en design graphique.

Crédit photo | François Ollivier

C'était quoi le plus dur dans cette histoire?
J'ai eu une blessure qui n'a pas été détectée tout de suite par les médecins lorsqu'on m'a transporté à l'hôpital. C'est seulement deux mois après l'accident que je m'en suis rendu compte. Je suis allé dans une clinique et c'est là que j'ai appris que j'avais une luxation postérieure de l'épaule [l'humérus – l'os du bras entre l'épaule et le coude – sort de l'articulation, vers l'arrière du corps]. Un phénomène très rare qui survient dans moins de 5 % des cas de dislocation. On a dû me reconstruire une partie de l'épaule avant de la replacer. Ma convalescence a été beaucoup plus longue que si ça avait été détecté dès le début. Cette opération, c'était comme un deuxième accident. J'étais revenu à la case départ et même beaucoup plus mal en point qu'après l'accident.

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Ça a changé quoi dans ta vie de tous les jours?
Je n'ai pas pu travailler pendant plus de six mois et je ne roulais pas sur l'or à cette époque. J'ai eu beaucoup moins de temps pour faire de la musique avec mes amis parce que je n'étais pas apte à faire de longues sessions en studio. Ma relation avec eux a changé en raison de mon immobilisation, j'ai dû annuler des concerts et diminuer la cadence de mes projets collectifs. Ajouté à ça, je n'étais pas vraiment autonome : impossible de faire l'épicerie tout seul. Heureusement qu'il y avait mes parents et ma copine pour s'occuper de moi parce que je faisais vraiment dur.

Quel rôle a joué la musique dans ta convalescence?
Elle m'a permis de ne pas sombrer dans la déprime et de continuer à rester créatif. Ne pas pouvoir travailler m'a donné du temps pour faire de la musique. J'étais bloqué chez moi. Même si pendant un moment je n'avais que la main gauche qui fonctionnait, c'était suffisant pour faire des beats. C'est à ce moment-là que j'ai senti que la musique allait me garder en vie et que j'ai décidé de composer Rekindle, le premier des deux albums que j'ai sortis pendant ma convalescence. C'est un album exclusivement instrumental sorti en mars 2016. C'était comme une thérapie et surtout ça me permettait de faire autre chose que de regarder l'énième épisode d'une série obscure sur Netflix!

Crédit photo | François Ollivier

Est-ce que ça a modifié ton rapport à la musique?
Dans un sens, oui. Désormais, j'ai le sentiment qu'il doit y avoir une raison forte pour sortir un projet. C'est comme si ma musique avait une mission, celle d'apaiser les souffrances. Rekindle, je l'ai sorti pour raconter mon histoire. Alors que le plus récent, Keep It Moving, c'était pour soutenir un ami. Avec ce second album, le but était de continuer d'être créatif pour ne pas repenser à l'accident et aux séquelles. C'est un projet que j'ai terminé assez rapidement, mais je ne savais pas quand j'allais le sortir. En mars 2017, Pierre-Luc, un de mes meilleurs amis, mais aussi un fan de ma musique, a perdu sa mère. Cette nouvelle m'a autant abattu que mon accident. Quand je suis revenu de l'enterrement, j'ai décidé que j'allais sortir mon album, c'était ma manière de l'aider à se sentir un peu mieux.

À quoi ressemble ta vie aujourd'hui?
Mon quotidien n'est pas si mal, je n'ai plus vraiment de douleur, mais j'ai encore quelques problèmes de mobilité : je ne peux pas lever mon bras gauche très haut. Ça ne m'empêche pas de travailler ou de faire de la musique, mais ça a tout de même changé quelque chose en moi. L'année 2016 a été pas mal difficile, je n'avais pas beaucoup d'endurance, j'avais très souvent mal au dos et je n'étais pas capable de travailler une semaine de 35 h, de jouer de la batterie ou encore de faire du sport. Aujourd'hui, mon corps n'est toujours pas revenu à la normale à 100 % et cela va rester ainsi encore quelque temps. L'essentiel est que j'arrive à vivre avec. Je préfère vivre avec un bras qui fonctionne à moitié qu'un bras qui ne fonctionne pas du tout!

Et le vélo dans tout ça?
Aujourd'hui, je suis devenu légèrement obsédé par la sécurité. Je porte un casque, je ne roule plus sur les trottoirs. Parfois, il m'arrive même de ne pas prendre mon vélo parce que je ne suis pas à l'aise. Je suis devenu le cycliste modèle qui n'essaye même plus de se faufiler entre les voitures. Je suis aussi devenu beaucoup plus sensible aux incivilités sur la route, c'est fou le trash talk qu'il peut y avoir entre les voitures, les vélos et les piétons. On dirait vraiment un combat de coqs alors que c'est tellement simple de partager la route.

Est-ce que ça t'a donné envie de participer au débat public sur ce genre de questions?
Pas vraiment parce que je ne suis pas certain qu'on aurait entendu ma voix. Mon accident est arrivé un peu plus d'un mois après celui d'Isabelle Richer, une journaliste de Radio-Canada qui s'est fait frapper par un camion. Son accident a été très médiatisé parce qu'il s'agit d'une personnalité publique, et c'est logique. Ça a eu le mérite de mettre en lumière les conséquences que peut avoir un tel accident sur la vie de quelqu'un. Mon accident m'a surtout rendu beaucoup plus prudent qu'avant, même peut-être un peu trop.

Écoutez les deux derniers albums de Liam Redinkle et Keep it moving. Il prévoit de sortir un album avec ST le 11 août prochain.