À Nantes, le festival Variations tente un triple salto acrobatique musical et retombe miraculeusement sur ses pieds
(c) David Gallard

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À Nantes, le festival Variations tente un triple salto acrobatique musical et retombe miraculeusement sur ses pieds

Ryuichi Sakamoto ! La Nòvia ! Yuksek & Xavier Veilhan ! Chaton ! Vielle à roue ! Computer music ! La Souterraine !
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

« Dans les années 30, Heitor Villa-Lobos était un pianiste brésilien qui fantasmait sur l’architecture de New York depuis sa ville de Rio de Janeiro. Comme il n’y avait jamais encore été, il composa une de ses pièces, « New York Skyline », en se basant sur une photo de famille du musicologue Nicholas Slonimsky, et transforma le paysage en phrase musicale. La composition est donc écrite à partir de la silhouette des immeubles new-yorkais qui a été retranscrite sur papier. »

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Cette anecdote, racontée par le pianiste Simon Graichy juste avant d’interpréter la pièce en question « New York Skyline » lors du festival Variations à Nantes (axé autour du Lieu Unique, mais également dans les théâtres et églises avoisinants), en dit autant sur la volonté d’un festival de faire tomber les frontières entre musique savante et populaire que sur la manière dont les institutions tentent de faire passer la pilule des musiques expérimentales, improvisées, minimalistes (et maximalistes, on y revient), contemporaines, « jazzifiantes », auprès d’un public non averti. Outre le parallèle assez drôle sur la sonorité d’un autre Villalobos sans doute plus familier de ces pages (Ricardo de son prénom, et qu’on imagine plus ravagé que son ancêtre homonymique – quoique…), on voit surtout que c’est par l’histoire racontée, mais également par leur cadre et leur dispositif, que s’appréhendent les musiques « difficiles » d’aujourd’hui.

Malik Djoudi au Lieu Unique - photo de David Gallard

Dans la salle, on voit des enfants assis sagement sur des chaises en bois ou sur les genoux de leurs parents, une poignée de hipsters en gueule de bois qui ont probablement tiré sur la corde la veille, et des Nantais qui passent par là pour voir l’attraction culturelle du moment – tous les concerts ne sont pas gratuits, mais pas mal le sont, ce qui est déjà un bon point dans la catégorie capital sympathie.

Le festival Variations en était cette année à sa deuxième édition, après le festival Assis ! Debout ! Couché ! d’il y a quelques années, où le dispositif était déjà mis en avant par le Lieu Unique, et où, comme son nom l’indiquait, on pouvait assister à certains concerts debout (comme des gens normaux), assis (comme des vieux), mais aussi allongés (comme lorsqu’on va aux Siestes Electroniques ou qu’on décuve un lendemain de soirée).

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Autre point non négligeable avec Variations : la fondation BNP Paribas finance le festival et accompagne certains de ses artistes. La fondation se réclame plus mécène que sponsor (« tout simplement juridiquement », me dit la chargée de mission de la fondation), n’a pas l’intention de faire un one shot, mais est en partenariat durable avec le Lieu Unique, sur une durée de trois ans et sans ingérence dans la partie artistique.

Ciné-concert au Lieu Unique, avec Yuksek, Caterina Barbieri & Carlo Maria, le Comte, Jonathan Fitoussi sur des films de Xavier Veilhan - photo de David Gallard

À partir de là (avec un investissement sain et une histoire à raconter), on se rend rapidement compte que ce genre d’initiative devient non seulement possible, mais viable. Cette année, pendant une semaine, se produisent Ryuichi Sakamoto puis les gens de la Nòvia, de la vielle à roue avec de la musique sur piano passée à travers des algorithmes mathématiques, mais également des choses aussi diverses et variées que Arnaud Rebotini, Alessandro Cortini dans une église qui fait un set ambient, la Souterraine, Chloé, un ciné-concert de Xavier Veilhan avec Yuksek, et même… Chaton (oui, Chaton).

Pour trouver un semblant de cohérence dans tout ce fatras mosaïque et musical, il fallait donc un angle, un fil rouge. Ce sera les claviers et pianos, avec tout ce que ça implique comme déclinaisons plus ou moins avisées : orgues de barbarie, musique assistée par ordinateur, disklavier, synthé, accordéon (ce dernier point aura à titre personnel été ma limite, je veux bien croire à un revival dans 20 ans mais pour l’instant je ne suis pas encore prêt).

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The Necks à la Chapelle de L'immaculée conception - photo de David Gallard

Si le cadre joue un rôle prépondérant dans ce type de musique aujourd’hui, parfois, les dispositifs déployés fonctionnent à moitié, et desservent presque les performances. Je me souviens de Ellen Fullman qui jouait sa pièce du Long String Instrument à Sonic Protest il y a deux ans, et dont tous les sons se perdaient dans les réverbérations de l’acoustique de l’Eglise Saint-Merry. Ici, à Nantes, dans la Chapelle de l’Immaculée Conception (qui est un très bon nom pour aller voir des concerts de musique improvisée, je trouve), on pourrait croire que les mêmes écueils peuvent se reproduire de prime abord pour le concert de The Necks, que je vois ce samedi après la performance très poésie sonore contemporaine new-yorkaise de Stéphane Ginsburgh - que j’ai pris pour un Gallois parce que je trouvais qu’il parlait un peu comme John Cale. Il y a une distance, et une forme de froideur du lieu pas forcément incitative lorsqu’on connait la musique du trio australien, qu’on pourrait classer entre un jazz expérimental et une musique improvisée tout en retenue.

La retenue, c’est d’ailleurs ce qui fait le nerf de la guerre chez ces sexagénaires pimpants. Le piano de Chris Abrahams arrive après la contrebasse lourde de Lloyd Swanton, tandis que le soleil derrière les vitraux disparait progressivement et donne un caractère justement crépusculaire, et quasiment sépulcral vu son cadre, à une performance qui n’a pas peur d’aller vers des teintes atonales et des paysages sonores désertés, inquiétants et dissonants par instants. Le silence joue un rôle prépondérant dans leur musique, donnant toute sa sève et des saveurs presque psychédéliques au minimalisme de The Necks, où le bruit des chaises raclées et des raclements de gorge des spectateurs fait ainsi partie intégrante de la performance. La basse vrombissante n’arrive pour donner encore plus de pesanteur et d’hypnotisme mêlés, et on se dit alors qu’il y a bien plus de vie et de force chez ces papys que chez n’importe quelle connerie sortie par un quelconque label du moment de Dresde au contenant soigné mais au contenu insignifiant.

Charlemagne Palestne & Rrose au Théâtre Graslin - Photo de Nicolas Joubard

Tout le contraire de Charlemagne Palestine & Rrose, dont la performance se situe à quelques vingt minutes de là à pieds, au Théâtre Graslin, que je mets près d’un quart d’heure à trouver tellement il est gros comme le nez au milieu de la figure. Placé en loge numérotée au balcon et assis, je me demande un peu ce que je fous là, tandis que Charlemagne Palestine aussi. Le concert est d’un ennui mortel, rien n’arrive vraiment, et Rrose, posté à l’autre bout d’un piano à queue, tapote machinalement lui aussi sur ses touches en attendant que quelque chose se passe. Mon esprit vagabonde et je repense à cette fois où je l’ai vu à quatre heures du matin dans un festival breton délivrer un set de techno psychotrope, en me posant la question du sens de certaines collaborations (qui décide de ça, quels sont leurs réseaux, ce genre de trucs). J’en serais presque à réclamer une bonne grosse ligne de basse, n’importe quoi, pour sortir de cette torpeur, quitte à passer pour un cuistre (mais bon, je garde cette réflexion pour moi, et puis de toute façon je suis tout seul).

Jericho au Lieu Unique - Photo de Nicolas Joubard

Sur le chemin du retour ce samedi soir, après avoir traversé la rue Straed (que je me permettrai de renommer rue de la soif tant elle sent la pisse, la weed et le pub irlandais), ça doit être la Saint Patrick vu que tout le monde a l’air bourré et a la dégaine d’un farfadet rougeaud et jovial. Je me demande quel est le pourcentage de la jeunesse nantaise qui se rend dans un festival comme Variations, puis, en arrivant au Lieu Unique, je me rends compte que tout ça se mélange plutôt de manière bon enfant. Tout le monde a l'air hypnotisé devant Jericho, la vielle à roue est au centre des débats, puis Yuksek enchaine un DJ set cocotier-popotin sans que ça ne semble poser de problème à personne. On se dit alors, non sans avoir enfilé quelques verres de Diplomatico bien chargés au préalable, que c'est bien dans les rassemblements familiers que peut s'organiser une certaine idée du vivre-ensemble - par contre, on laisse vraiment tomber l'accordéon, merci.