Les Français ont-ils jamais su faire des B.O. de films de genre ?

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Les Français ont-ils jamais su faire des B.O. de films de genre ?

Mais ont-ils jamais su faire des films de genre tout court ?

C’est une problématique récurrente chez les cinéphiles français. Dans les années 80 on y croyait. Dans les années 90, on a essayé. Dans les 2000, on n'y croyait plus. Et depuis bientôt 10 ans, l’idée de voir surgir en France un « cinéma de genre » de qualité semble renaître dans les esprits les plus optimistes. Mais pour un Grave permettant très vaguement d’y croire, il y aura toujours un Revenge pour confirmer l’adage : non, en France, on ne sait pas faire de « cinéma de genre ». Du polar, oui. Mais aujourd’hui, poussé par une poignée de « bissophiles » acharnés, le « cinéma de genre » qui à une époque englobait indistinctement le western, le péplum, l’aventure, le polar ou la guerre se résume désormais à un quartier très circonscrit de la discipline cinématographique : le fantastique, l’horreur et, plus rarement, le gore. Des genres qui ont connu un regain d’intérêt ces dernières années, y compris côté musique, via l’exhumation méthodique et quasi-systématique de « pépites » de la bande originale horrifique et fantastique, de John Carpenter à Harry Bromley Davenport en passant par Detto Mariano et Howard Shore.

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Depuis 2012, les labels pullulent, les références catalogue aussi, pour le meilleur et pour le pire, mais parmi la petite centaine de titres qui viennent remplir le bacs « Bande Originale », on trouve des italiens, des britanniques, des américains et des japonais mais étonament très, très peu de français. Étonnamment, oui. Parce qu’entre Francis Lai, Vladimir Cosma, François de Roubaix, Michel Magne, Jacques Loussier ou Michel Colombier, ce n’est pas comme si l’Hexagone n’avait pas été pourvu de talentueux musiciens à l’image. Pourtant, dès qu'il s'agit de sortir une mémorable colonne sonore ayant illustré quelques frissons de l’angoisse, la France manque généralement à l'appel. « T’es fou, les BO françaises regorgent de morceaux de genre », m’a pourtant rétorqué Guido Cesarsky, DJ, moitié d'Acid Arab et amateur de comédies françaises impénitent, lorsque je lui ai exposé mon triste constat - avant de me citer pêle-mêle la BO du Mutant (une production télé, plutôt hors-sujet, quoiqu’ouvrant une piste intéressante aussi évoquée par les responsables du label We Release Whatever the Fuck We Want) – ou encore Coup de Torchon et les films d’Alain Resnais (là on est complètement hors-sujet). Après s’être mis d’accord sur le principe que Vladimir Cosma avait pété le game en signant « Monsieur Prescovic » pour Le Père Noël est une Ordure, on a bien dû se rendre à l’évidence : c'est Michel Polnareff qui remporte la palme, pour la BO hallucinante et ultra ciprianesque de Viol et Châtiment, obscur rape & revenge de 1976. Il était le seul élément français de cette production De Laurentiis tournée aux Etats-Unis, dont il a signé la partition glauque, sinistre, morbide - en un mot, Polnareff.

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De Roubaix, lui, avait bossé sur Le Samourai et La Redevance du Fantôme, un téléfilm de Robert Enrico, mais sa plus notable incursion dans le cinéma de genre était plus européenne que française - les très belles Lèvres Rouges de Harry Kümel en 1971. Quant à Cosma, il fait l’unanimité, aussi bien du côté d'Hélène Cattet et Bruno Forzani, les réalisateurs d’Amer et du plus récent Laissez Bronzer les CadavresLa Route de Salina, est le premier titre de BO qui nous vient en tête ») que de Stephan et Olivier, du label WRWTFWW cité plus haut. Pour Guido en revanche, mieux vaut se pencher sur Litan, la Cité des Spectres Verts, une espèce de Wicker Man à la française réalisé par Jean-Pierre « Jock » Mocky en 1982, illustré par une acid folk plus brestoise qu’écossaise avant de partir sur des envolées psyché plutôt bien senties et de la gaudriole typique de l’éternel emmerdeur du cinéma français. Il m'a rappelé au passage l’existence du Démon dans l’Île de Francis Leroi, qui avait reçu le prix du suspense à Avoriaz en 1983. Des martèlements de piano dérivant vers la musique séquentielle, le tout signé Christian Gaubert, un complice de Francis Lai qui, deux ans plus tôt signait la très bassy jazzy BO de La Puce et le Privé, un film de Roger Kay avec Bruno Cremer transformé en téléfilm par Antenne 2. Par tâtonnement et déduction, on abordait deux zones sensibles du cinéma de genre français : les années 80, qui ont permis à Eric Serra de rendre funky l’apocalypse du Dernier Combat, et le polar, qui a clairement offert au film de genre français certaines de ses meilleures bandes originales. À une époque, Diva encore signé Cosma, Mortelle Randonnée (et son ouverture tonitruante) de Carla Bley, la trilogie Brigade Mondaine de Cerrone (entamée en 78) ou encore le Tchao Pantin de Charlélie Couture froid comme le béton, auraient pu redorer le blason de la « B.O. de genre ». Le plus « genré » d’entre eux, Rue Barbare, mis en musique par Bernard Lavilliers, a d'ailleurs raté une belle occasion de marquer le coup - au fer rouge.

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Partir, oui, mais où ? Vers la station Terminus, auquel Stan Ridgway prêtait sa voix en 1987 – quelques années après avoir participé à l’une des plus belles BO qui soit - celle de Rusty James ? Ou vers Le Passage de Francis Lalanne et sa mort qui nous contrôle sur son grand ordinateur ? Malgré un 3615 Code Père Noël assumant toutes les déviances, impossible dans les années 80 de compter sur Jean-Félix Lalanne – qu’il s’associe à son frère ou à Bonnie Tyler – pour assurer au cinéma de genre français une éventuelle zone de confort. De tentatives audacieuses en zèderies diverses – la B.O. de Devil’s Story vaut bien toutes les symphonies sur Casio du monde – la France a fini par prendre le genre à bras le corps dans les années 90, aidée par l’essor mirobolant de la jeune production guidée par des Jeunet, Caro, Kassovitz et Kounen. Pas sourde à l’innovation transatlantique, ni aveugle à la photo dégueulasse des dernières productions horrifiques US, la France a tenté l’impossible : offrir à son paysage cinématographique une production de genre telle qu’on en rêvait. Avec des monstres, du latex, des éclairages bleutés étouffés par la fumée comme chez Bava, des ambiances toxiques pleines d’inquiétante étrangeté, comme l’exigent les standards du fantastique classique. Sangria et son émission Les Accords du Diable sur La Cinq avaient fait leur temps. Peter Jackson était passé de Bad Taste à Fantômes contre Fantômes. Il était temps de prouver qu’en France, nous aussi on pouvait faire flipper. Nous aussi on pouvait faire Buffy, Burton et Amblin. Nous aussi, on pouvait tout péter. Armée d’un escadron de Christophe Gans, Julien Magnat, Doug Headline et Lionel Delplanque, la production hexagonale était prête à se frotter à ce domaine qui lui semblait interdit jusque-là : le cinéma de genre à l’américaine ! Le problème, c’est qu’à l’époque, aux Etats-Unis, c’était pas la folie non plus. Carpenter avait fini par tout donner, Wes Craven était revenu avec une saga Scream teintée d’ironie mais aussi présente musicalement qu’une publicité pour M&M’s, on tentait péniblement de faire revivre Halloween et seul Robert Rodriguez semblait avoir une vague idée d’où entraîner le cinéma d’horreur. Mais en France, peur de rien, on y croyait d'un coup dur comme fer. L’Histoire n’aura pas retenu Bloody Mallory, Brocéliande ou Promenons-nous dans les Bois, sinon comme des exemples absolument navrants d’un cinéma n'ayant absolument rien à offrir. Et si Dobermann a réussi à secouer le petit monde du genre français, impossible non plus d'adouber totalement Jan Kounen - pouvait-on décemment faire confiance à un réalisateur ayant fricoté avec Elmer Food Beat ?

Quoi qu’il en soit, cette porte aura ouvert la voie à une bande de réalisateurs un peu plus investis dans leur mission. Qu’on apprécie ou pas le travail d’Alexandre Bustillo, Julien Maury, Xavier Gens, Pascal Laugier, Hélène Cattet et Bruno Forzani – pour citer les plus reconnus d’entre eux – on ne peut que constater qu’une école du genre, sinon française, au moins francophone, semble avoir fini par émerger de ces décennies d’échecs relatifs. Les B.O. qui les accompagnent n’ont en revanche pas retenu l’attention des labels - si ce n'est WRWTFWW, qui a décidé de s’occuper des illustrations composites de Cattet et Forzani. Les deux cinéastes se tournent d'ailleurs en priorité vers le passé pour sonoriser leurs films. « Ce n’est pas pour autant un constat d’échec. Dans notre cas, il s’agit plus d’une question de texture », m'expliquent-ils pour justifier leur choix de piocher dans des titres 70’s de Morricone, Cipriani ou Nicolai. « C'est pour cette raison qu'on tourne en pellicule et on va, de fait se tourner vers des musiques enregistrées à cette époque. » C’est sans doute cette quête de grain, de texture, qui pousse aujourd’hui les labels francophones à se tourner vers de vieux enregistrements plutôt que des choses récentes. Un label comme The Omega Productions Records s’intéresse ainsi aussi bien à Jean Rollin qu'à Norbert Moutier (Mad Mutilator) ou Bernard Launois (Devil’s Story). De leur côté, WRWTFWW trouvent visiblement plus intéressant de se tourner aujourd’hui vers Le Réserviste – un court-métrage d’action indé et fauché sorti en 2012 – que vers du cinéma plus officiel. « Après notre première édition (la BO du mondo La France Interdite composée par André Georget), un ami, Jean Sens, nous a conseillé la BO composée par Thomas Barrandon pour Le Réserviste », m’ont-ils raconté. « Elle mélangeait avec subtilité et élégance le meilleur de Tangerine Dream et des musiques de films de la Cannon, le tout généreusement assaisonné de solos de saxophone et de guitares metal FM. Étant fans de Commando, Deadly Prey ou encore Cobra ça nous à tout de suite parlé. » Des références qui n’ont que peu marqué un paysage cinématographique hexagonal sommes toutes relativement désert au fil des décennies. Il aura fallu attendre une triple digestion des classiques du genre (80, 90 et 00) pour qu’aujourd’hui, la tendance BO initiée par le label Death Waltz en 2012 et la hype entourant un réal comme Nicolas Winding Refn – qui colle son nom à une collection du label Milan – aidant, certains tendent enfin l’oreille et montrent un intérêt certain à offrir à un cinéma de genre nouvelle génération l’illustration musicale qu’elle mérite. L’année dernière, si le film Grave laissait à désirer, sa BO n’avait elle pas à pâlir face aux récents efforts US orientés synthwave - genre lui-même né d’une digestion pneumatique de Carpenter et Goblin. Des influences visiblement pesantes, puisqu’à maints égards, la BO d’Irréversible de Gaspar Noé, signée Thomas Bangalter et clairement sous influence, est meilleure que le film lui-même et marque le haut du panier de ce qui a pu se faire en terme de B.O. de cinéma de genre en France ces 30 dernières années. Ironiquement, les titres signés de la moitié de Daft Punk ne sont que peu exploités dans le rape & revenge du réalisateur franco-argentin.

Et lorsque les critiques sortiront offusqués des projections du Revenge de Coralie Fargeat (sur les écrans le 7 février), ce sera davantage à cause ses pseudo-scènes choc que de la BO aussi fainéante que transparente de Rob. C’est pourtant sur ses accords synthétiques que s’est écrite une partie de l’Histoire récente de la B.O. de cinéma de genre en France. D’Alexandre Aja à Nicolas Boukhrief en passant par Rebecca Zlotowski, Romain Levy (quoi ? Gangsterdam n’est pas un film de genre ?), le parcours cinématographique du musicien illustre finalement assez bien le problème. « Tu cherches des disques qui n’existent pas, dans un genre qui n’existe pas, et quand y a des trucs, ça te va pas !! », me reprochait Guido à la fin de notre échange. Le problème vient peut-être de moi, c'est une hypothèse, mais je persiste à croire que si on continue à faire appel à Rob pour signer des B.O. de films de genre de seconde zone qu’on essaie de nous faire passer comme le sommet de la production actuelle, je ne suis pas sûr que dans 30 ans, une fois qu’ils auront écumé toutes les nanars produits en France entre 1983 et 1989, les WRWTFWW du futur auront beaucoup de choses à se mettre sous la dent. « Il y a en fait beaucoup de BO magnifiques et encore inexploitées dans le cinéma français, il s'agit d'avoir l'oreille attentive, l'esprit ouvert et le temps pour creuser passionnément et sans relâche, sans oublier le porno, les séries TV, et les moyens et court-métrages, qui regorgent eux aussi de nombreuses perles », me confiaient Stephan et Olivier de WRWTFWW avant d’aller vérifier les test-pressings de leur prochaine sortie, la géniale BO des Shadoks de Robert Cohen-Solal. Pas tout à fait du cinéma, pour le coup. Ni vraiment du genre. Virgile Iscan est sur Noisey.