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Music

Comment Lady Gaga est devenue la première superstar glam de l'ère digitale

Un extrait du nouveau livre de Simon Reynolds, « Shock and Awe : Glam Rock And Its Legacy », qui revient en détails sur la méthode Gaga.

Dans « Aftershocks », la coda de Shock and Awe : Glam Rock and its Legacy (chez Dey Street)Simon Reynolds part à la recherche des échos du glam qui résonnent encore dans la pop du XXIe siècle. Présenté comme une collection d'instantanés de la carrière de la provocatrice art-pop, cet extrait tente de démontrer à quel point Lady Gaga incarne l'héritage de David Bowie aujourd'hui.

Octobre 2007
Le flyer du New York Street Revival and Trash Dance fait des promesses de « burlesque, pop, rock'n'roll, glam, metal. » Conçues comme une série de fêtes ayant lieu tous les jeudis soirs au Slipper Room, ces soirées sont imaginées et animées par la performeuse Lady Starlight, et une star en herbe en quête de célébrité évoluant sous le pseudonyme de Lady Gaga. Le nom de ces soirées est un hommage au Hollywood Street Revival & Trash Dance Festival d'octobre 1974 – une nuit de concerts devenue légendaire avec la présence d'Iggy Pop, des New York Dolls et de nombreux autres artistes à paillettes locaux, qui s'était tenue au Hollywood Palladium de Los Angeles. Mais là où cet événement était un dernier sursaut ironique du glitter alors à l'agonie, phénomène dont l'éclat faiblissait déjà très vite à la fin de l'année 1974, le New York Street Revival, lui, est vraiment un revival – l'annonce consciente du retour du glam dans le Lower East Side.

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Août 2008
Dans les crédits de son premier album The Fame, sorti en 2008, Lady Gaga remercie Andy Warhol et David Bowie. Dans ses interviews, elle dit s'inspirer de Klaus Nomi, de Grace Jones et de Leigh Bowery. Gaga est aussi généreuse dans ses déclarations qu'elle l'est dans ses apparences. Mais, comme on pouvait l'attendre d'une artiste dont la carrière entière semble être le râle d'agonie du post-modernisme, son baratin a souvent un air de déjà-vu. « Je ne suis pas réelle. Je suis du théâtre », clame-t-elle. Elle a le sentiment « d'être sur scène, tout le temps… quand je danse, quand je chante, quand je prépare le petit déjeuner. » Quand elle arrive dans un aéroport, quand elle sort d'une limousine devant un club – tout est joué, transformé en événement. « Je vénère le show business, et je ne veux pas que mes fans me voient autrement une seule seconde. » Reprenant les paroles d'Oscar Wilde et d'Alice Cooper, Gaga explique qu'elle « ment à profusion », et que « la musique est un mensonge… l'art est un mensonge. » Elle retourne négligemment les attaques des tenants du rock à l'ancienne – pour qui le style éclipse la substance – en avançant avec esprit que sa musique détourne et distrait le public de « l'art performance » que constituent ses vidéos, la mise en scène de ses concerts, et le grand théâtre de sa propre célébrité.

Et il est vrai que la musique - « de la pop électronique sans âme », comme la décrit Gaga, clin d'œil évident à Warhol et à tous les anti-humanistes du coin – n'est que la base de ses provocations visuelles. Arrivée au moment idéal pour exploiter l'accès à une audience internationale permis par YouTube, Lady Gaga profite du revival du vidéo-clip pop – une forme qui avait décliné depuis les sommets atteints avec les gros budgets de la fin des années 90, lorsque MTV avait progressivement supprimé la diffusion musicale pour la remplacer par des programmes de télé-réalité. Aujourd'hui, la pop est un art plus audiovisuel que jamais, et Gaga en est la chef de file. Enfant de YouTube, elle est la première vraie superstar du glam digital, et ses vidéos comme ses apparitions promo sont saturées d'effets spéciaux numériques ainsi que d'un nombre incalculable de costumes, de coiffures et de maquillages différents –  réalisés par son entourage de conseillers créatifs, connu sous le nom de Haus Of Gaga.

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Lady Gaga reçoit le prix de Meilleur Album Pop Vocal pour

The Fame Monster

aux 53èmes Grammy Awards (Photo : Kevin Winter)

Novembre 2009

The Fame Monster

est la version deluxe et augmentée

de

The Fame, sortie dans le but de capitaliser sur le succès de Gaga, comprenant huit nouveaux titres – dont « Bad Romance », sa meilleure chanson et son plus gros succès commercial. Selon la chanteuse, ces morceaux furent directement inspirées par « le podium » : « J'écrivais en regardant des défilés sans le son, et je suis forcée d'admettre que j'ai composé ma musique pour eux. » Les clips de Lady Gaga ont souvent un air de défilé, c'est vrai, hormis le fait que les décors de l'arrière-plan changent de manière aussi frénétique que les vêtements eux-mêmes. Au bout du compte, le résultat fait penser à une collaboration de Cindy Sherman et d'Alexander McQueen, dont la B.O. serait constituée de dance d'Europe de l'Est.

Il y a un paradoxe à la base du personnage Lady Gaga : elle est tout à fait consciente, avec toute la littérature qu'elle a lu sur le sujet, que la célébrité est une menace pour l'âme, mais elle a malgré tout décidé d'en faire le thème central de son œuvre. Lorsqu'elle présente « Paparazzi » aux MTV Video Music Awards, Gaga déclare qu'elle veut « dire quelque chose de très grave sur la célébrité et sur son prix. » Elle ouvre le spectacle avec une supplication : « Prise dans le feu de tous ces flashs, je prie pour que la célébrité n'ait pas raison de ma vie. » Et elle le termine en mettant sa propre mort en scène, du faux sang jaillissant de sa poitrine.

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Gaga commercialise même un parfum noir appelé « Fame », pour « sentir la cochonne », comme une « pute de luxe ». Des touches de belladone évoquent les effets toxiques du star-system. « La vanité peut s'avérer très cruelle avec vous, si vous ne savez pas comment la gérer », prévient-elle. Et puis il y a « Fame Kills » [le succès tue], une tournée avec Kanye West qui fut annulée après que le rappeur ait pris ses distance avec la vie publique, juste après son irruption sur le plateau des VMA's pour prendre la défense de Beyoncé. Lady Gaga prend l'habitude d'exprimer – de manière mélodramatique, mais qui témoigne peut-être d'une véritable paranoïa – ses peurs de finir comme John Lennon ou Lady Di (avec laquelle elle s'identifie tout particulièrement), qui furent respectivement assassiné par un fou obsessionnel pour l'un et pourchassé à mort par les paparazzis pour l'autre.

Et pourtant, malgré son prix si élevé et tous les dégâts qu'elle provoque, la Gloire semble être la seule vérité digne d'être suivie. Aucune idéologie, aucune foi – ni même de simple amour terrestre –  ne rivalise avec ses promesses d'aboutissement personnel. La célébrité, dans la conception de Gaga, n'est pas vraiment conférée par l'extérieur ; c'est une conviction intérieure immanente, ce qu'elle appelle « Feeling the Fame » [le sentiment de célébrité]. Il s'agit seulement d'extérioriser la projection interne de son ego, et d'amener le monde à ratifier et reconnaître son existence innée. « J'ai toujours été célèbre, c'est juste que personne ne le savait jusqu'à maintenant. » La mission de la star devient alors d'inculquer à son public l'amour de soi – ce qui, pour Gaga, ne s'approche pas tant d'un simple amour-propre que de la conviction d'être extraordinaire. Ses tournées Monster Ball sont « une église de la pop culture », mais plus que la simple idôlatrie, Gaga apprend à ses fans « à s'adorer eux-mêmes. »

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Cette flamme, farouche et fabuleuse, de la confiance en soi-même, est un moyen de défense magique contre ceux qui menacent votre ego – voire votre intégrité physique. Gaga se fait porte-parole des marginaux, de ceux dont l'identité sexuelle est trouble, de ceux qu'on persécute. Dans une interview, elle se souvient, à l'âge de 14 ans, avoir été précipitée dans une poubelle dans la rue par trois garçons, pendant que des filles assistaient à la scène en riant. Elle s'était sentie « sans aucune valeur, honteuse, mortifiée. » Son seul crime, dit-elle, était d'avoir été volubile et théâtrale – un peu trop débordante d'elle-même. En 2011, Gaga fonde la fondation Born This Way, une organisation visant à combattre la persécution.

Mettre un article défini devant le mot « Fame » dans un titre d'album est dérangeant, cela crée un effet de distanciation. « The Fame » sonne comme le nom de maladie. Plus tard, la combinaison avec le monstrueux – The Fame Monster, le Monstre de la Célébrité – est encore plus perturbant. La célébrité est-elle ici un monstre qui saccage et ravage le monde ? Ou est-ce que Lady Gaga est elle-même, le monstre créé par les effets mutagènes de la culture de la célébrité sur la psyché humaine ? « Les Petits Monstres », c'est comme ça que Gaga appelle ses fans ; elle est la Maman Monstre. « Avant, je priais toutes les nuits que Dieu me fasse devenir folle », confesse-t-elle. « Qu'Il instille en moi la créativité et l'étrangeté », du type de celles qui animaient les artistes qu'elle admire. Mais Gaga va plus loin que les clichés du « génie = folie ». Cette soif de célébrité en soi est d'une virulence infernale, une volonté dérangée d'omniprésence et de surexposition, qui précède l'apparition d'un don ou d'un talent spécifique, et qui peut même exister malgré leur absence. « Je veux que les femmes – et les hommes – se sentent investis par la puissance d'une partie d'eux-mêmes plus profonde et plus psychotique. La partie qu'ils ont toujours désespérément essayé de cacher » déclare Gaga. « Mon espace d'action est un espace fantasmé – c'est le thème de The Fame. Avant, je marchais dans la rue comme si j'étais une putain de star. Je veux que les gens se baladent en fantasmant leur capacité à être géniaux et puis qu'ils se battent à tout prix pour le devenir, tous les jours, que le mensonge finisse par devenir la réalité. »

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Avril 2010
« Alejandro », le troisième single issu de The Fame Monster, est un morceau insignifiant, tout ce qu'il y a de plus classique, qui évoque vaguement « La Isla Bonita » de Madonna. Mais la vidéo réalisée par Steven Klein est un tour de force militaro-kitsch teinté de porno très ciblé. « Tout tourne autour de mes origines, et de mon amour pour le théâtre… L'amour du mensonge dans l'art » explique Gaga. Le « mes origines » fait probablement référence à l'éducation catholique italo-américaine qu'elle partage avec Madonna, représentée ici sous forme de blasphème compulsif : Gaga, en tenue de nonne en latex rouge, avale des chapelets de perles rouge sang. Mais il y a du Cabaret là-dedans, et peut-être aussi de l'Evita. La vidéo dégouline de torses militaires chics dans les tons et le goût de Tom of Finland. Et dans un autre clin d'oeil à Madonna, Gaga porte un soutien-gorge muni de canons de mitraillettes qui pointent comme des tétons mortels. Des lutteurs sortis de quelque école militaire de l'entre deux guerres s'affrontent dans un combat homo-érotique, vêtus de shorts noirs brillants et de hautes bottes noires. Le clip d' « Alejandro » entier est une transcription visuelle et auditive des dernières phrases célèbres de Fascinant fascisme de Susan Sontag : « La couleur, c'est le noir ; le matériau, c'est le cuir ; la séduction, c'est la beauté ; le but, c'est l'extase ; le fantasme, c'est la mort. »

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Janvier 2011
Comme c'était le cas pour son père spirituel Bowie, le fait que Lady Gaga soit pleinement consciente de ce qu'elle fait et contrôle à la perfection n'empêche pas les observateurs extérieurs de l'analyser –  bien au contraire, même. Billets d'humeur, essais sur les blogs, livres (des biographies aux ouvrages théoriques queer, comme Gaga Feminism de J. Jack Halberstam) fleurissent autour de sa vidéographie et de sa discographie, interprétant et isolant les nombreuses références et allusions qui y sont incrustées. Gaga demande presque à genoux à ce qu'on l'analyse à travers les prismes de notions comme l'hyper-réalité, développée par Jean Baudrillard, le cyber-féminisme, et la performativité du genre. Les études académiques ont toujours été à la traîne par rapport à la pop culture (celles sur le punk n'ont commencé à apparaître en nombre qu'au cours des années 80), mais à peine 18 mois après l'avènement de la star, le séminaire «​ Lady Gaga and the Sociology of Fame »​ [Lady Gaga et la sociologie de la célébrité] filait déjà bon train à l'Université de Caroline du Sud, dès le printemps 2011. Il a d'ailleurs valu à son créateur, le Professeur Mathieu Deflem, sa propre part de notoriété, ce qui l'a poussé à écrire un essai académique sur son expérience de « célébrité par association », Professor Goes Gaga. Dans une interview, Deflem évoque la désorientation grandissante qu'il avait ressenti : « D'une certaine manière, on le subit. C'est une expérience totale. On n'a pas le moindre contrôle. »

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May 2011
Le fait d'être à ce point prise au sérieux semble affecter Gaga : sur Born This Way, le successeur de The Fame Monster, elle se place en femme d'état de la pop, abordant tous les sujets importants, et dans ses interviews, dit vouloir « prendre part à des rassemblements avec ses fans, ajouter sa voix à la leur, aider à mobiliser et mettre en œuvre le changement ». En combinant les questions du droit au mariage homosexuel et celle de la condition des immigrants illégaux aux États-Unis, sur un fond musical entre mariachi et rythmes Hi-NRG, « Americano » mêle kitsch et didactique. Ailleurs dans le disque, le son occupe une place nouvelle, qui correspond à des thèmes plus pesants : le rock de stades et un certain mauvais goût issu des 80's ajoutent poids et grandiloquence aux sonorités club ; des évocations de Springsteen, Pat Benatar, Jim Steinman. Sur « The Edge Of Glory », on retrouve Clarence Clemons, le saxophoniste du E Street Band ; Brian May apparaît sur « Yoü and I ». Les éléments rock pompeux permettent à Gaga de faire montre de prouesses musicales conventionnelles, comme chanteuse et pianiste. Avec ses punchlines comme « Don'be a drag, be a queen » ou « Nous sommes tous des superstars-nées », le single central de l'album, « Born This Way », est un hymne multi-usage, ode à la fierté destiné à la communauté LGBT autant qu'à n'importe qui se sentant différent, marginalisé ou « culturellement autre ». Criard et tonitruant, le morceau « ne se contente pas de plagier Madonna, il l'outrepasse », écrit le critique Pat Blashill, faisant allusion à l'idée largement répandue selon laquelle le morceau doit beaucoup à « Express Yourself. »

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Août 2011
Lors des Video Music Awards de 2011, Gaga prend un virage à 180° et apparaît en drag-king, dans la peau de son alter ego Jo Calderone. Le personnage est de toute évidence calqué sur le modèle de Johnny, le bad boy de The Outsiders de Coppola – cheveux gominés, cigarette calée derrière l'oreille, lèvre retroussée sur un sourire cynique –, même si on peut aussi penser à un simple plagiat de la transformation d'Annie Lennox en loubard à rouflaquettes des années 50, à l'occasion des Grammys de 1984. Bien que la plupart de ses morceaux traitent du désir amoureux hétérosexuel, Gaga joue le jeu de la confusion des genres aussi bien que n'importe qui depuis, hum, David Bowie. Elle propage, ou encourage la rumeur selon laquelle elle serait hermaphrodite, ce qui pousse les fans à examiner minutieusement ses photos, à la recherche de renflements suspects, et à se repasser sans cesse les images de la vidéo YouTube dans laquelle on semble apercevoir un pénis lorsqu'elle enfourche une moto en mini-jupe.

Lady Gaga sur la scène de la Perth Arena, en Australie, le 20 août 2014, durant la tournée

 artRave: The Artpop Ball

(Photo : Paul Kane)

Septembre 2014
Après la grandiloquence de Born This Way, Lady Gaga franchit l'étape fatale qui la mènera dans l'hybris, avec ARTPOP. La fanfare marketing développée pour l'album (ainsi que l'activité trans-médiatique qui l'accompagne) clame que Gaga s'apprête à « ramener l'art dans la culture populaire, dans un voyage warholien inversé » – 40 ans après que Bowie et Roxy Music aient déjàaccompli cette mission. « Je vis pour les applaudissements, applaudissements, applaudissements », proclame-t-elle dans le single « Applause » –  mais sera seulement accueillie par le silence pensant du public.

Novembre 2014
L'heure est à la retraite stratégique : Lady Gaga prend le tournant classique ringard-mais-cool. Elle fait équipe avec le crooner Tony Bennett pour l'album et la tournée à succès Cheek to Cheek. Écho délibéré au duo de Bowie et Bing Crosby sur « Peace On Earth/Little Drummer Boy », sur le plateau d'une émission télé de 1977 ? Ou simple astuce de carrière bien pensée ?

Février 2015
Gaga continue à mettre en avant ses qualités en matière de showbiz, avec un medley de chansons tirées de La Mélodie du Bonheur, qu'elle chante aux Academy Awards en l'honneur du 50ème anniversaire de la comédie musicale. Julie Andrews se montre courtoise, glissant à travers la scène pour serrer chaleureusement Gaga dans ses bras. Mais au rang des critiques, on retrouve le vénérable Stephen Sondheim qui, dans une déclaration acide au périodique des vrais fans de théâtre Playbill, qualifie la performance de la chanteuse de « parodie… Elle n'avait aucun lien avec ce qu'elle chantait. »

Janvier 2016
Lady Gaga remporte un Golden Globe pour son rôle dans American Horror Story. Vêtue d'une robe Versace de velours noir, épaules dénudées et décolleté plongeant – « l'apogée du glamour rétro », s'extasient les blogs mode – elle se lance dans un discours de remerciements millimétré à la perfection, jusqu'au dernier tremblement de ses lèvres. Elle informe l'assemblée qu'elle « voulait devenir actrice avant de vouloir devenir chanteuse, mais c'est la musique qui a marché en premier. » Le monstre de la célébrité vient de finaliser sa métamorphose en pure entertainer comme seule l'Amérique sait en produire.

Mais un peu plus tard le même soir, la nouvelle de la mort de David Bowie explose sur Internet – et éjecte instantanément Gaga, ainsi que tous les autres lauréats des Golden Globes, des gros titres des journaux du monde entier. C'est ce qu'on appelle se faire voler la vedette… Été-Automne 2016
L'industrie du spectacle semble avoir un penchant inhérent pour l'introspection : son histoire fourmille de films sur le monde du cinéma, de pièces et de comédies musicales sur le théâtre. Il arrive souvent que ceux-ci reviennent de façon nostalgique sur une époque précédente du divertissement : Singin' In The Rain, la comédie musicale de 1952, se passe 20 ans plus tôt, à l'époque de transition entre les films muets et les films parlants. C'est aussi cette tendance à créer sa propre mythologie qui donne naissance à des morceaux comme « There's No Business Like Show Business » (tiré d'Annie, la Reine du Cirque) et « Life is a Cabaret » (tiré de Cabaret). Et quand la pop s'aventure sur cette pente glissante, on entre aussi dans le domaine du meta : « Thank You For The Music » et « Super Trouper » (qui tire son nom d'un type de projecteur) d'ABBA, « I Write The Songs » de Billy Joel, « Let Me Entertain You » de Robbie Williams…

On ne pouvait pas trouver preuve plus parfaite de la fusion totale de Lady Gaga avec le show-business américain que l'annonce de sa figuration au casting de A Star Is Born, dans le rôle principal –  troisième remake cette production typique « Hollywood parle d'Hollywood », depuis l'originale de 1937. Gaga marchera sur les traces de Janet Gaynor, Judy Garland et Barbara Streisand.

En parallèle, sa carrière de chanteuse pop continue, avec sa sortie la plus convenue à ce jour, « Perfect Illusion ». Quand elle parle du message délivré par la chanson, Gaga fait part de ses inquiétudes quant à ce fantasme et cette supercherie dont elle faisait auparavant l'éloge : « Je pense que beaucoup d'entre nous se demandent pourquoi il y a autant de fausseté autour de nous. Comment faire pour évoluer sur les réseaux sociaux ? Comment faire pour regarder toutes ces images, que nous savons être modifiées, retouchées, et déchiffrer ce qui est réel et ce qui tient de l'illusion parfaite ? On trouve aussi beaucoup de choses sur Internet qui ne sont pas vraies. Et je pense que les gens souffrent de la pression qui les pousse à perpétuer cette illusion personnelle dans leur vie de tous les jours. Cette chanson parle de se révolter contre ça, et de lâcher prise. De la volonté que les gens rétablissent le lien humain. »

Dans cette optique, elle renonce à l'Autotune, et dans son apparence globale, la vidéo met le holà sur les images retouchées et l'habillage digital exagérément présents dans ses clips les plus célèbres. Plutôt que de changer 20 fois de tenue par minute, Gaga opte pour un look plutôt sobre : un crop top gris, idéal pour l'effort physique, et un short en jean coupé. En terme d'arrière-plan, on alterne entre la chanteuse qui virevolte au hasard dans la poussière du désert, et des scènes de foule déchaînée, à mi-chemin entre une rave et un mosh-pit, au milieu de quoi Gaga bouge comme une possédée, aux côtés d'un guitariste dont on peine à entendre l'instrument sur le morceau. La reine de l'hyper-réalité et du glam digital serait-elle en train d'essayer de lancer un… revival grunge ? Mais comment allier ça avec son rôle dans A Star Is Born ? Gaga, comme Courtney Love avant elle, à l'époque de Celebrity Skin et The People Vs Larry Flynt, croit-elle pouvoir dire oui à Hollywood tout en restant fidèle à ses convictions ?