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Music

« Cherche musicien électro pour projet breton innovant »

Le groupe de « techno-breizh » BHT nous présente son concept, entre deux tournées en Chine, une dédicace d'Alan Stivell et un travail acharné pour mixer tradition et modernité.

Comment peut-on être Breton, et faire de la techno ? Ce pourrait une version poche 2016 du classique de Morvan Lebesque, à destination des producteurs en herbe de la plus belle région de France (oui, tous les classements sont formels). Mais les mecs de BHT n'ont besoin d'aucun mode d'emploi et n'ont pas attendu Nolwenn Leroy pour être fiers de leurs racines. Ils ont baigné dès leur plus jeunes âge dans les bagadou et les fest-noz avant de se lancer eux-mêmes dans la musique, traditionnelle d'abord, puis moderne ensuite, dans un but précis : faire bouger ce qu'ils appellent le « breizhfloor ». Ce ne sont pas les premiers à oser le mélange, ce ne seront pas les derniers non plus, mais ce sont certainement les plus conscients de la complexité à marier passé et futur, dans une contrée où l'on pouvait encore lire il y a quelque décennies, « interdit de parler breton et de cracher par terre » sur le fronton des écoles. Nous avons posé quelques questions à Will Zégal, l'homme-machine du quatuor qui s'est formé à l'ancienne, après la publication d'une petite annonce.

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Noisey : Que signifie ce nom, « Begon Ha Trans » ?
Will Zégal : Begon (prononcer « beudjon ») est un mot de vannetais signifiant en gros « tonus », « vitalité », « énergie ». Begon Ha Trañs signifie donc « énergie et transe » ; l'énergie de notre musique, la transe de la danse.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Pierre-Marie Kervarec alias Pims qui est talabarder (joueur de bombarde) et Yaouenn Nedeleg alias Nedo (biniouer) ont longtemps été voisins de chambrée au Bagad de Lann Bihoué. Pims connait Gwénolé Le Quentrec, notre accordéoniste, de longue date, notamment au travers des cercles celtiques. Pims et moi, qui m'occupe des machines, nous sommes tout bêtement rencontrés par une petite annonce passée par Pims : « cherche musicien électro pour projet breton innovant ».

À quel moment cette idée de mélange vous est venue ? Vous avez baigné dans les fest noz durant votre enfance ? 
Mes trois compères baignent dans la musique bretonne depuis toujours et mon premier souvenir de live quand j'étais enfant est un fest-noz. J'ai voulu faire de la bombarde, mais cela m'a été interdit pour raisons de santé. Je me suis également intéressé très tôt à la façon de produire de la musique et du son avec des sources synthétiques. Dès l'adolescence, j'ai senti qu'il y avait quelque chose à faire en mariant l'électronique et la musique bretonne, mais je n'ai alors rien réussi de satisfaisant. Il faut dire que le matos était rudimentaire et inaccessible et je n'avais clairement pas les connaissances musicales suffisantes.

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Et puis j'ai été appelé vers les groupes de rock, comme guitariste et bassiste, ne revenant progressivement à l'électronique que bien plus tard, avec l'avènement de l'informatique musicale.  C'est Pims qui a été à l'origine de l'idée BHT, poussé par Rolland Becker à monter son propre projet. Pims a pensé que l'électronique collait à sa vision à la fois très énergique et moderne de la musique bretonne.

Quels retours avez-vous eu des musiciens et du public de musique celtique traditionnelle ?
Côté public, l'accueil est vraiment excellent. Bien que nous ayons tous pas mal de bouteille dans la musique, nous n'avions encore jamais connu un tel engouement. Côté musiciens, l'accueil est aussi très bon avec beaucoup de soutien et d'enthousiasme. Ceux qui émettent des réserves le font sur la base de critiques intéressantes et constructives sur des choses qui restent à améliorer, notamment un mariage plus étroit entre instruments et électro. Et on a le soutien de grands comme Alan Stivell avec qui Pims a tourné et qui aime bien ce qu'on fait. Quel meilleur encouragement ?

Est-ce qu'ils comprennent votre musique ? Comment vous la définiriez ; électro-gallo, techno celte, breizh-step ?
La question des étiquettes est toujours compliquée. Ce qu'on essaye de faire, c'est simplement de la musique bretonne électro. La presse parle parfois de nous comme groupe de « l'électro-trad ». Pourquoi pas ? Mais quelle « trad » ? La musique puise ses racines dans la tradition, mais le jeu des instrumentistes est résolument moderne.

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Honnêtement, on se fiche un peu des étiquettes, même si on sait qu'elles sont importantes pour situer un groupe. Nous, on a résumé tout ça sous la notion de « breizhfloor », car notre crédo reste la danse, faire bouger les gens, qu'ils pratiquent les danses bretonnes ou préfèrent danser comme en free party. Ces deux façons de bouger sont autant génératrices de transe et ce qui nous éclate le plus est de voir les deux publics partager la piste.

La démarche est comprise, en tous cas. Ce qui est sûr, c'est qu'énormément de gens ressentent notre musique et sont portés par elle. L'enthousiasme public fait plaisir à voir. Et pas que chez les Bretons ! Un allemand de passage qui ne connaissait rien à la musique bretonne nous a dit texto, «no one can escape your energy ». Et en Chine, nous avons réussi à faire se lever et danser des Chinois alors que ce public est réputé très réservé et policé.

Ce que je trouve assez dommage, c'est que le chant ne varie pas énormément comparé à la musique bretonne traditionnelle. On dirait parfois une simple superposition d'un bagad avec un beat electro derrière. Une déconstruction du chant, comme ce que fait le rap depuis quelques années, pourrait être intéressante, non ?
Tout à fait. Mais nous assumons clairement notre filiation traditionnelle. C'est même le concept de BHT : mélanger cet héritage de la tradition avec la pulse et les territoires sonores de l'électro. Même si on aime ça, on ne veut pas faire de la world music, une musique pop ou électro avec une couleur bretonne. Nous cherchons à faire une musique qui soit à la fois bretonne, électro et à danser. Cela demande à respecter un certain nombre de codes ou de contraintes. Le chant tient une grande place dans la musique bretonne où il donne la pulsation de la danse, au même titre que les instruments. La métrique des paroles comme la façon de les scander correspond à chaque danse.

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Mais nous avons aussi prévu de collaborer avec un rappeur sur un prochain morceau et nous sommes ouverts à toutes collaborations intéressantes. Lorsque nous créerons des morceaux qui ne soient pas dédiés à la danse, cela nous donnera aussi plus de libertés rythmiques. Et les choses continuent à évoluer dans le groupe qui n'a que deux ans et le mélange « trad » et « électro » tel que nous le pratiquons n'est pas si évident et demande beaucoup de recherche. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir, chacun en tant que musicien et ensemble en tant que groupe.

Vous avez eu des modèles en la matière, je pense notamment à Plantec​ ? Le courant « Breizh n bass » lancé par la rennaise Miss Blue​, ça vous parle ?
Nous avons en commun de mêler musique bretonne et électronique, mais les démarches sont différentes. Je pense que notre première référence reste Alan Stivell pour sa démarche de réappropriation de la tradition dans la modernité. Ensuite, il y a Denez Prigent ou encore Angel IK. Nous avons beaucoup de respect pour Plantec et aimons beaucoup certains de leurs albums ou morceaux. Leur démarche nous semble très différente de la nôtre. Chez eux, c'est surtout l'électronique qui donne les beats des pas de danse tandis que la mélodie s'en évade. Dans BHT, les instruments mélodiques donnent le groove de la danse bretonne tandis que l'électronique cherche une pulsation plus électro, voire techno. Nous essayons aussi d'avoir plus de parties mélodiques synthétiques et de les marier aux mélodies jouées par les instruments traditionnels.La démarche de Miss Blue est salutaire, mais c'est aussi une toute autre approche musicale. Son travail à partir de samples et de remix est par nature différent de notre travail de composition avec des instruments réels joués en live.

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Vous avez joué dans un fest noz pour les Bretons d'Argenteuil. Vous jouez souvent hors de la Bretagne ? Ca se passe comment ?
En dehors d'une tournée en Chine où l'accueil a été excellent, nos dates sont pour l'instant essentiellement en Bretagne. Vu que des gens d'un peu partout manifestent leur enthousiasme, nous allons probablement jouer de plus en plus souvent ailleurs. Il faut le temps que cela remonte aux oreilles des organisateurs. Pour l'instant, nous n'avons ni prod ni tourneur et devons tout faire nous-mêmes, ce qui prend forcément plus de temps. Nous savons aussi que des gens dans le monde de l'électro prévoient de nous programmer. Il faut aussi le temps que tout cela se concrétise.

Est-ce que vous utilisez l'application Stag pour connecter avec les Bretons partout dans le monde ?
Nous avons connu Stag en pleine tournée chinoise et c'était un peu tard pour s'y connecter. Nul doute que nous l'utiliserons dès notre prochain voyage, son principe étant de rencontrer les Bretons autour de soi dans le monde. Nous sommes très présents sur Facebook (@BHTgroupe) . On essaye de l'être sur pas mal de réseaux, mais ceci prend énormément de temps. Et puis, on veut le faire avec respect : il n'est pas question pour nous de débarquer et de spammer les gens. Nous préférons encourager ceux qui nous apprécient à partager nos contenus. En résumé, on préfère travailler pour créer des choses qu'un maximum de gens aura envie de partager plutôt que de faire de la pure « com » qui encombre, voire agresse les gens.

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Avec qui vous sentez-vous le mieux, les DJ's ou les bagadoù ?
Le groupe est composé de quatre personnes ayant des histoires personnelles et musicales très différentes. Trois d'entre elles ont été très impliquées dans les bagadou ou les cercles de danses où elles comptent énormément de connaissances, sinon d'amis. Mes amis évoluent dans le metal, le rock, le hip-hop, la chanson, le jazz, l'électro… Mais c'est surtout des questions d'individus, de personnalités et évidemment de musiques. L'important, c'est qu'on trouve de belles personnes partout, quel que soit le milieu musical.

BHT sera à l'affiche du prochain festival Yaouank à Rennes

On n'a parfois l'impression que le folklore breton est devenu une sorte de costume de clown, vu de l'extérieur. Ca vous chagrine qu'on réduise souvent cette culture à une coiffe bretonne, une crêpe ou un biniou ?
Bien sûr, c'est triste et dommage. Il y a d'ailleurs là-dedans une responsabilité des Bretons eux-même : la communication institutionnelle, notamment, est souvent basée sur une image assez folklorique, parce qu'on doit estimer que c'est ça qui fait venir le touriste. Et puis, la publicité fonctionne sur des images fortes et facilement identifiables. Une coiffe ou un biniou, on sait tout de suite de quoi ça parle. Un certain nombre de marques n'hésitent pas non plus à surfer là-dessus, même si certaines le font avec un second degré pas forcément compris par tous.

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Rien que ce mot « folklore » nous fait horreur. Le folklore, c'est les clichés et la commémoration d'un passé figé. On lui préfère le mot « culture » qui est quelque chose de vivant, et c'est ce qui se passe en Bretagne. Même si le folklore existe, la région est résolument tournée vers l'avenir, assumant racines et héritage, mais pour en faire sans cesse de nouvelles choses, notamment nourries d'apports extérieurs. Et franchement, on n'a pas l'impression que c'est en Bretagne qu'on entend le discours « c'était mieux avant ».

Mais la Bretagne n'est pas la seule à souffrir d'images réductrices et je pense qu'on tous a des visions réduites aux clichés d'autres pays, régions ou cultures qu'on ne fréquente pas d'assez près. Finalement, l'important, c'est que des gens aiment la Bretagne et s'y sentent bien. Si certains viennent pour les crêpes et les coiffes, c'est pour l'ambiance et l'esprit qu'ils reviennent.

À quand un remix club d'« Ouvrez les portes de la nuit » de Glenmor ?
Ah ! Une boutade ! Plus sérieusement, cette chanson tient plus de la chanson française proche de Léo Ferré que de la musique bretonne. D'autres gens plus proches de cet univers reprennent ça bien mieux qu'on ne le ferait.

Vous prévoyez de sortir un album ?
On nous réclame beaucoup un album. Nous souhaitons prendre le temps de bien faire les choses. Il y a des chances pour qu'on entre en studio en 2017. On travaille aussi sur un clip, mais là aussi, faire les choses bien avec les moyens de l'auto-production prend beaucoup de temps. Nous sommes dans une période où chacun d'entre nous, qui étions pris par plein d'autres choses, abandonne ses autres projets pour se concentrer sur le groupe, ce qui devrait accélérer pas mal le mouvement. Nous avons aussi plusieurs pistes de nouvelles tournées à l'étranger.

Un dernier mot  ?
Un proverbe breton : « Qui ne risque rien ne perd ni ne gagne ».

BHT sont sur Soundcloud et Facebook.

Rod Glacial est un Breton exilé sur Twitter.