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Ce qu'il s'est passé depuis le dernier Craig David

Six ans entre deux disques, à l'heure d'Internet et de la course au buzz, c'est presque un suicide commercial.

Son dernier album date de 2010 (Signed Sealed Delivered), et c'est peu dire que ça fait un bail. Six ans entre deux disques, à l'heure d'Internet, de la course au buzz et des clips « putes à clics », c'est presque un suicide commercial. Il y a bien eu un titre lancé en éclaireur en fin d'année dernière, mais la sortie de Following My Intuition a tellement été repoussée qu'on se refusait à y croire réellement. Jusqu'au 19 août dernier où, via la newsletter de son site officiel, l'Anglais annonçait pour de bon la sortie de son sixième album, diffusant dans la foulée « No Holding Back » et « Ain't Givin Up », deux singles presque aussi ambitieux que celui publié en novembre 2015 mais qui posent une question en appelant des dizaines d'autres : a-t-on encore besoin de Craig David en 2016 ?

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S'il suffit d'écouter les quatorze titres de ce Following My Intuition (dix-huit, si l'on possède la version deluxe) et de jeter un œil aux invités (Big Narstie, Kaytranada, Sigala ou Major Lazer) pour voir la réponse prendre forme peu à peu, il n'en reste pas moins certain que le monde a complétement changé depuis la sortie de Signed Sealed Delivered. La preuve par six.

Le grime est revenu en force

Quelque part, il fallait s'y attendre. Les modes musicales étant soumises à d'éternels recommencements, le grime, après avoir fessé le rap au début des années 2000 et connu une grosse baisse de régime à la fin de cette même décennie, ne pouvait que revenir chatouiller le sommet des charts. Le plus impressionnant, c'est qu'il l'a fait avec la manière, porté par une nouvelle génération (Stormzy, Novelist) incroyablement libre et par la reconnaissance (enfin) du milieu – cf, le Mercury Prize de Skepta obtenu il y a quelques semaines ou l'invitation faite par Wiz Khalifa au duo Krept & Konan. Fort de ce regain d'intérêt, ce sont toutes les influences du grime (le dancehall, le UK garage, le 2-step) qui font leur retour au premier plan.

Même Craig David semble en avoir profité. Pourquoi ? Comment ? Tout simplement parce que l'Anglais est un adepte des productions léchées et gonflées à 130 BPM, celles-là même qui caractérisent la scène UK Garage et qui ont grandement filtrés dans les oreilles des premiers « grimers ». Et comme on ne se refait pas - l'éternel recommencement, toussa toussa -, il suffit d'écouter le premier single de son nouvel album, « When The Bassline Drops », en duo avec le rappeur Big Narstie (tiens, tiens), pour entendre ce bon vieux Craig revenir à ses fondamentaux : à ce chant apte à faire mouiller Todd Edwards et autrefois vénéré sur « Re-Rewind », son tout premier single, celui qu'il réalise avec le producteur Artful Dodger et qui lui permet de signer sur Atlantic Records à la fin des nineties.

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La hype R&B est plus forte que jamais

À l'instar du grime, mais de manière nettement plus populaire, le R&B est lui aussi revenu au premier plan ces dernières années. À dire vrai, on ne compte même plus le nombre de nouvelles têtes qui émergent chaque mois/semaine : FKA Twigs, Abra, Solange, Ta-Ha, Alessia Cara, DVSN, Maxine Ashley, voire tous ces hommes qui, entre mastodontes (Drake, The Weeknd, Miguel), génies underground (James Blake) ou mecs tout simplement tristes (How To Dress Well), chantent leur spleen à longueur de morceaux.  Et c'est bien ça qui a changé depuis le dernier album de Craig David en 2010 : aujourd'hui, il est possible d'être une star d'une R&B. Pas une star pour midinette, comme on a longtemps catalogué (à tort) Aaliyah ou les Destiny's Child, mais une star populaire.

Au point de nous imposer une question : et si Craig David était né à la mauvaise époque ? Après tout, lui aussi a ouvert le R&B à divers genres musicaux, lui aussi a écoulé des disques par millions et amené ce genre musical vers une respectabilité que peu d'adultes étaient alors prêts à lui accorder, lui aussi a joué la carte de l'homme sensible (parfois même un peu trop). Autant dire que si l'on congratule aujourd'hui Drake pour sa science du son et sa façon d'assumer sa fragilité, il est bon de rappeler ce que le Canadien doit à Craig David.

L'Angleterre est sortie de l'UE

Prétendre que le monde politique a une influence sur l'écriture de Craig David reviendrait en quelque sorte à dire que Bono est un activiste forcené. Comprendre : ce serait lâcher de bien belles conneries. Pourtant, entre 2010 et 2016, le monde a complètement changé : Myspace a été mis en vente en 2011, des révolutions ont éclaté aux quatre coins de la planète, Trump peut légitimement envisager de présider les États-Unis, l'Angleterre est sortie de l'UE…. On l'avoue, on ne sait pas à quel point ce dernier fait a pu influencer Craig David. Toujours est-il qu'après un exil de plusieurs années à Miami, où il jouait les DJ's le temps de plusieurs soirées organisées sur le toit de sa villa de luxe, ce dernier est bel et bien de retour dans son pays d'origine et qu'il semble prêt à lui redonner toutes ses couleurs. Signe du destin ou non, une des chansons de Following My Intuition s'appelle « Better With You ».

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La pop music pleure ses icônes

Jamais, peut-être, en un laps de temps aussi court, la pop music n'aura à ce point compter ses morts : Maurice White, George Martin, Phife Dawg, Prince et David Bowie, tous sont partis tutoyer le paradis depuis le début d'année. Un sacré coup dur pour la pop music, qui perd ainsi quelques unes de ses principales figures… On imagine que certaines de ses disparitions ont également affecté Craig David, lui qui reprenait (maladroitement, ça va sans dire) le plus grand tube disco de Bowie sur «Hot Stuff (Let's Dance)» et qui, le 21 avril dernier, rendait hommage à Prince sur son compte Twitter.

Les stars jouent désormais la carte de l'indépendance

Signe des temps modernes, les deals en exclusivité signés par les artistes avec des services en streaming tels que Apple Music et Tidal se sont multipliés. Drake, Kane West, Beyoncé, Frank Ocean, tous ont surfé sur ce buzz en 2016 et certainement augmenté leurs sources de revenus. À défaut d'être un signe de rébellion comme on a pu le dire à droite ou à gauche, cette attitude marque toutefois un changement d'attitude – au point qu'Universal interdisse récemment à ses artistes de signer des accords de sortie exclusive avec des services de streaming. Sage ou simplement vieux jeu, Craig David a lui choisi de faire confiance à Sony, qui publie donc ce sixième album sans en faire des tonnes. Un peu comme si Craig David n'en était plus à ce point de sa carrière où ses disques doivent en mettre plein la vue et épater. Following My Intuition tente certes de séduire différentes générations - sinon, comment expliquer la présence de Big Narstie, Blonde ou Kaytranada ? -, mais il paraît indéniable que l'Anglais cherche à présent à se racheter une crédibilité plutôt qu'à conquérir les masses.

Écouter Craig David est redevenu cool

Aux yeux de beaucoup, Craig David est un grand nom du R&B, et pour ses détracteurs, un beauf, un peu kitsch et surtout ringard. N'a-t-il pas écrit des chansons comme « Do It On My Own » ou essayé de se relancer en reprenant des tubes de la Motown pour un résultat catastrophique (Signed Sealed Delivered ne s'est écoulé qu'à 33 000 exemplaires) ? Certes, ça nique une réputation, mais ces titres masquent surtout l'importance d'un disque tel que Born To Do It. Autant dire que la ringardise, chez Craig David, est un leurre, un cliché. Ce que Following My Intuition démontre avec une ampleur, une audace et un éclectisme indiscutables, c'est que toute la pop mainstream n'est pas inécoutable, que l'on peut légitimement s'enthousiasmer à l'écoute d'un disque qui, à défaut d'être irréprochable, frappe par sa prise de risques et ses idées.

À l'écoute de Following My Intuition, le fan de Craig David peut enfin se dire qu'il a bien eu raison d'aimer ce gars-là depuis plusieurs années, de le soutenir et le défendre même quand il semblait partir complètement en vrille – cf l'émission Bo' Selecta sur Channel 4. Quand il se lance dans « When The Bassline Drops », c'est le meilleur de Todd Edwards que l'on entend, quand il joue la carte de l'hédonisme sur « One More Time », c'est une vision plus subtile de l'EDM qu'il nous présente, quand il s'associe au duo britannique Blonde, c'est une façon pour lui de partir à la conquête des clubs, quand il invite Kaytranada sur « Got It Good », c'est le principe même du groove qu'il s'approprie….  Mais tout du long, c'est surtout Craig David que l'on entendu, et l'on reconnaît le flow, le sens de la mélodie et la patte de celui qui a signé « Fill Me In » ou « Seven Days ». Avec ce nouveau disque, l'Anglais montre ainsi à une génération, souvent à la recherche de réponses dans la musique, qu'il est possible de retrouver toute sa crédibilité. Même quand personne ne s'y attend. Même quand le monde a complètement changé entretemps.