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Music

Cakes Da Killa, qui c'est celui-là ?

Il a fait émerger le hip-hop queer, se définit comme « la shagasse la plus timbrée de tout le rap game » et s'apprête à sortir son très, très attendu premier album.

Il est celui qui a contribué à faire émerger le hip-hop queer au début des années 2010, celui qui a préféré prendre son temps pour sortir son premier album, celui qui continue de prétendre ne pas vouloir faire du rap toute sa vie, celui qui, sur « Break Em Off », s'est défini comme « la shagasse la plus timbrée de tout le rap game ». Cinq ans après son premier EP (Easy Bake Oven), Cakes Da Killa n'a pas beaucoup changé. Il a surtout évolué, peaufiné son flow, son attitude et ses productions, de plus en plus denses et maîtrisées. En pleine promo pour la sortie d'Hedonism, son très attendu premier album, il s'est posé une petite demi-heure pour discuter avec nous. Mots-clés : sexualité, politique américaine, Lil'Kim, Peaches et situation des minorités aux États-Unis. Noisey : Quand as-tu commencé à rapper ?
Cakes Da Killa : C'était au lycée, je devais avoir 16 ou 17 ans et je rappais mes propres morceaux dans le réfectoire du bahut. Le premier, ça devait être « Rapid Fire », un titre qui figure sur mon premier EP. Autant dire que je suis en quelque sorte passé du lycée à l'industrie musicale. Le rêve américain, comme on dit. Tu as réellement l'impression de le vivre, ce rêve ?
Pas vraiment. J'ai longtemps cumulé les activités : le rap, la mode, les piges à droite et à gauche pour différents médias. Pendant un temps, juste après ma mixtape, The Eulogy, j'ai même pensé à arrêter le rap. Mais j'avais besoin de payer mes factures, alors…

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Cakes Da Killa est né comme une extension de ta propre personne ou est-ce que c'est un personnage ?
Non, c'est entièrement moi [Rires]. Je sais que beaucoup d'artistes ont un certain complexe avec leur propre personne et s'inventent des rôles, mais ce n'est pas du tout mon cas. J'ai toujours su assumer qui j'étais. D'ailleurs, je m'habille souvent de la même façon que dans mes clips. Pareil en ce qui concerne mes textes. Si tu écoutes bien, tu peux entendre un tas d'allusions à la personne que je suis, à mon corps, aux personnes que j'aime. C'est une façon pour moi de revendiquer mon existence, même si j'en profite pour parler de la situation des gays et des afro-américains aux USA.

Justement, tu penses quoi de l'état du monde actuel ?
Tu sais, ça a toujours été dur pour les minorités aux États-Unis. Je sais que beaucoup imaginent les USA comme une terre de liberté, mais c'est faux. Aucun pays n'est parfait, et surtout pas l'Amérique. Être noir, ici, c'est encaisser des injustices au quotidien. C'est vivre dans des taudis, c'est entendre des remarques racistes, c'est voir des portes se fermer, etc.

C'est très difficile. Alors quand tu es noir et gay, c'est comme si tu te condamnais toi-même à vivre comme un exclu.

L'élection est pour bientôt. Tu as une préférence ?
Je vais être honnête : la politique ne m'intéresse pas. J'ai l'impression que tous les partis politiques sont corrompus et que les choix sont biaisés d'avance. En plus, je ne me considère pas comme un rappeur à message : je fais juste de la musique.

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Plutôt que politiques, tes textes sont en effet très portés sur la sexualité et la vulgarité…
C'est une remarque que l'on me fait souvent. On prétend que je suis assez vulgaire dans mes morceaux, mais ce n'est pas vrai. Oui, je parle de sexe, mais est-ce vraiment un tabou en 2016 ? Tout le monde en parle librement, on entend des discussions autour de ça à longueur de journée, alors pourquoi pas dans mes morceaux ?

Dans une interview, tu as dis « ne pas vouloir être le premier rappeur gay sur le label Young Money »
En fait, ce que je voulais dire, et ce que beaucoup de journalistes ont du mal à comprendre, c'est que je ne veux pas être un porte-parole. Je veux que l'on me considère comme un rappeur. Sans autre adjectif derrière. Mon but, ce n'est pas de faire des interviews parce que je suis un rappeur gay, mais simplement que l'on m'interviewe parce que j'exerce mon art de la même façon que des tas d'autres MC's et que je suis bon dans ça. Après tout, on n'a pas inventé de catégories telles que « barman queer » ou « acteurs queer », alors pourquoi catégoriser les rappeurs ainsi ?

Depuis tes débuts, les médias ont d'ailleurs systématiquement cherché à te créer des liens avec Zebra Katz, Mykki Blanco, LE1F et d'autres rappeurs gays. C'est quelque chose qui te dérange ?
Je trouve ça quand même très étrange que l'on classe des gens uniquement selon leur orientation sexuelle. Alors, certes, on fait des articles élogieux sur nous, on prétend que l'on est cool, mais c'est hyper réac finalement de la part des rédactions d'agir ainsi. D'autant que nos styles sont très différents. Pourquoi ne parle-t-on pas simplement de musique ?

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Justement, que penses-tu du hip-hop actuellement ? J'ai l'impression qu'il est plus que jamais à l'avant-garde…
C'est marrant parce que j'ai la sensation totalement inverse. Pour moi, le hip-hop est complètement ennuyeux actuellement. On ne respecte plus les rappeurs, on cherche simplement à savoir qui est le meilleur pendant quelques semaines avant de le mettre de côté et de chercher un suivant. À dire vrai, je trouve qu'il manque de propositions fortes actuellement. D'ailleurs, si les anciens n'arrêtent pas de se plaindre du manque de connaissance des fondamentaux de la part des nouvelles générations, c'est qu'il y a une raison.

Tu penses qu'être gay est toujours vu comme un tabou ?
Bien sûr ! Les choses progressent, mais il suffit de voir le nombre de diffusion dont on peut bénéficier à la radio. C'est très minoritaire.

Je crois savoir que tu aimes particulièrement Lil'Kim….
Mais tout le monde l'aime, non ? Elle a tellement apporté au hip-hop avec ses tenues excentriques ou ses lyrics orientés sur la sexualité. Avant elle, beaucoup de rappeuses essayaient d'adopter le même rôle que celui des rappeurs. Une fois arrivée, elle a complètement chamboulé le game avec ses propos féministes et clairement vulgaires. C'est la reine de la vulgarité, cette nana !

Cela dit, on peut aussi penser qu'elle était la « bitch » de Biggie ?
Oh tu sais, je me fiche de tout ça. Ils ont peut-être couché ensemble, mais ce n'est pas mon problème. En tout cas, elle a su tirer bénéfice de cette situation [Rires].

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Tu as d'autres inspirations, hormis Lil'Kim ?
J'écoute beaucoup de disco-house, de soul et de funk. À dire vrai, je respecte beaucoup les performeurs et les songwriters, voire les excentriques à la Busta Rhymes, Cam'Ron et ODB.

Puisqu'on parle de performeurs et d'excentriques, tu n'as jamais songé à faire du théâtre ?J'ai une théorie : tous les gays rêvent plus ou moins secrètement de faire du théâtre [Rires]! Plus sérieusement, j'ai longtemps été un mordu de théâtre lorsque j'étais au lycée. Je jouais dans un tas de pièces, ma façon d'assumer mon homosexualité était très théâtrale également. Je l'exprimais dans ma façon de m'habiller, dans mes peintures, dans mes poèmes. Cela dit, je n'ai jamais voulu m'enfermer dans une quelconque attitude. J'ai fait mon coming out à 8 ans, mais j'ai eu la chance de rencontrer des personnes d'horizons très différents, de classes sociales et de régions très différentes. Ça été très enrichissant et ça m'a ouvert à pas mal de choses. Tout s'est fait par hasard. Un peu comme le rap. Au départ, j'en faisais simplement pour poster des vidéos rigolotes sur YouTube ou Facebook. Jusqu'à ce qu'un pote me dise de passer au studio et de commencer à envisager le rap sérieusement.

En tout cas, tu as mis du temps à publier ton premier album. Pourquoi l'avoir nommé Hedonism, d'ailleurs ?
On pense que, parce que je suis gay, j'ai un message à transmettre. Mais la réalité est toute autre : bien sûr, j'aimerais que tout aille mieux dans ce monde, mais je rappe surtout dans le but de m'amuser. Je n'aime pas en rajouter une couche sur tout ce qui ne va pas aujourd'hui. Au contraire, je veux que ma musique soit utile aux gens, qu'ils s'en servent pour prendre du bon temps et penser à autre chose.

Il y a beaucoup d'invités sur ce disque. Peux-tu nous dire dans quelles conditions tu l'as enregistré ?
Hedonism a pris peu à peu forme lors de ma tournée en Espagne, en Allemagne et en Angleterre. C'est pourquoi je pense qu'il y a beaucoup d'influences européennes sur ce disque. C'est aussi pour ça que j'ai souhaité m'entourer pour l'enregistrer. Je rencontrais plein de monde sur la route et j'avais envie de m'enrichir de tous ces échanges. Peaches, par exemple, je la connais depuis longtemps. Ça faisait un moment que je voulais faire un morceau avec elle, mais l'occasion ne s'était jamais présentée. Dès que ça été possible, j'ai sauté sur l'occasion. Quant aux différents producteurs présents, tout est né un peu au hasard : on m'envoyait des sons, on me proposait des collaborations, je donnais mes propres directives et mes propres envies, tout était possible.