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Music

Dans les rues de Minneapolis avec Bob Mould

L'ex-leader de Sugar et Hüsker Dü nous a fait visiter sa ville, des disquaires disparus aux studios de Prince en passant par l'église où il répétait dans les années 80.

Le disquaire où Hüsker Dü répétait, aujourd'hui transformé en salon de coiffure. La photo que vous voyez ci-dessus a été prise chez Divine Cuts by Rome, un salon de coiffure qui était auparavant un disquaire, dans le sous-sol duquel Hüsker Dü a répété à ses débuts. Il est tôt et on est en semaine, mais le salon tourne déjà à plein régime. Tout le monde sait que ce matin, un musicien doit passer au salon avec une équipe de tournage. Dés notre arrivée, une des coiffeuses assaille Bob de questions. Elle veut savoir quels sont les tubes qu'il enregistré. Bob sourit. Il ne va pas lui dire qu'il a été le leader de Hüsker Dü, un des groupes punk-hardcore les plus importants de tous les temps. Il ne va pas non plus lui dire qu'il a été le leader de Sugar, ni qu'il mène depuis plus de 20 ans une florissante carrière solo. Non, il va juste lui dire que son groupe a enregistré une reprise du générique du Mary Tyler Moore Show. Un ami m'avait prévenu que Bob était le mec le plus adorable au monde. Durant cette journée qu'on a passé avec lui à visiter sa ville, Minneapolis, j'ai eu à peu près 400 occasions de lé vérifier.

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Noisey : Où est-ce que tu nous emmènes?

Bob Mould :

On va au 1451 University Avenue, à St. Paul, Minnesota. Je me rappelle encore de l'adresse exacte, j'en reviens pas. C'est là que se trouvait Northern Lights Records, l'un des nombreux disquaires des villes jumelles Minneapolis – St Paul à la fin des années 70. Et c'est dans leur sous-sol qu'Hüsker Dü se retrouvait pour répéter.

Tous les groupes pouvaient y répéter, où vous entreteniez une relation privilégiée avec le patron ?

Non, j'ai rencontré Grant Hart, le batteur, chez un autre disquaire, Cheapo Records, qui était situé juste à côté de ma résidence à l'université de Macalester. Grant m'a dit qu'il connaissait un type chez Northern Lights qui jouait de la basse et qu'on devrait se voir pour jouer tous ensemble. Et vu que ce type, Greg, travaillait chez Northern Lights, on a pu profiter de leur sous-sol.

C'est dingue la place que tenaient les disquaires à l'époque, les gens pouvaient s'y rencontrer et traîner ensemble. C'est vraiment dommage que toute cette culture ait disparu.

On a tous vécu des moments clés en tant que musiciens ou fans de musique par le biais des disquaires. Quand je suis entré à l'université, j'allais régulièrement chez Cheapo et Northern Lights, mais chaque samedi, je prenais le bus pendant 45 minutes, de St. Paul vers le sud de Minneapolis pour aller chez Oar Folk (disquaire légendaire qui a aujourd'hui fermé ses portes). Tu y trouvais plein d'annonces de musiciens qui en cherchaient d'autres pour former un groupe. Une fois là-bas, je m'asseyais sur le radiateur et je lisais le NME pour avoir ma dose de musique anglaise et chercher quels disques j'allais bien pouvoir m'acheter, en espérant que le disquaire les ait. Puis je me rasseyais, le disque entre les mains, plein d'espoir.

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Et puis on observait les autres. Si un mec achetait un disque de Air Supply par exemple, tu savais que ce n'était pas le genre de type avec qui tu allais traîner. Mais s'il prenait un Throbbing Gristle, là tu pouvais entamer une conversation. Enfin, je pense qu'on peut toujours faire ça, mais ça se passe sur Internet maintenant.

Oui, mais ça a beaucoup moins de charme. Tu es originaire du nord de New York, qu'est-ce qui t'a conduit aux villes jumelles ? La scène artistique, la scène rock ?

Je connaissais un peu la scène, de ce que j'avais lu dans un magazine appelé Rock Scene, dans lequel écrivaient Richard et Lisa Robinson, Danny Field et d'autres types de New York. Je le lisais surtout pour les articles sur Aerosmith et Kiss, mais il y avait aussi des trucs sur les Ramones, Blondie et Television. Ils avaient fait des articles sur les scènes locales, l'un d'entre eux était consacré à Minneapolis, il parlait de ce trio, The Suicide Commandos. J'ai ensuite acheté leur disque à Burlington. Pour revenir à la question, j'ai déménagé à St. Paul pour son université Macalaster, parce que j'y avais obtenu une bourse. Je suis issu d'une famille assez pauvre et dans cette fac il y avait un quota pour les élèves défavorisés, je suppose que je remplissais les critères

The Suicide Commandos est considéré comme un groupe fondateur de la scène de Minneapolis, tu peux m'en parler un peu plus ?

J'avais 17 ans la première fois que je les ai vus. Ils jouaient au Longhorn, je m'étais bricolé une fausse carte d'identité, il fallait absolument voir ce groupe, j'avais adoré leur album

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Make a Record

. C'était mon premier week-end dans les villes jumelles, les Suicide Commandos étaient sur le point de se séparer et Chris du groupe donnait des cours de guitare. Je m'y étais inscrit, j'étais tellement fan, je m'imaginais déjà trainer avec lui. Dès la deuxième leçon, il m'a dit « OK, c'est bon, t'as plus qu'à monter ton groupe ».

Qu'est-ce qu'il a eu le temps de t'apprendre, les power chords ?

On zonait pas mal et on jouait un paquet de trucs. Il m'a montré quelques combines, et il m'a juste dit que c'était bon, je pouvais foncer.

Il fait quoi aujourd'hui ?

Il est toujours dans le coin. Je crois qu'il est vice-président du McNally Smith College of Music, un grand complexe dédié à l'apprentissage de la musique. Chris a été l'un des piliers dans mon parcours musical, je vais souvent lui rendre visite là-bas.

Puisqu'on est dans les souvenirs, tu peux me parler de l'église dans laquelle vous répétiez ?

Cette église ! C'était une église de l'est de St. Paul, qui appartenait à un ami d'Hüsker Dü. Elle s'est vite transformée en une sorte de squat, des gens y ont habité quelques temps, les groupes pouvaient y répéter et parfois, le soir, des concerts étaient organisés.

Dans l'Église, carrément ?

Ouais, il y avait pas mal d'improvisations et on échangeait nos idées, d'ailleurs c'est là qu'on a composé

Zen Arcade

. On en avait écrit des bouts sur la route avant, mais c'est là que tout a réellement pris forme. C'était un lieu très intéressant, des gens allaient et venaient sans cesse. Je crois que jamais personne n'a payé de loyer.

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Vous traîniez avec qui à l'époque ?

Hüsker Dü avait fondé un petit label, Reflex Records, on bossait avec pas mal de groupes du Midwest – des groupes qu'on appréciait, de skate punk ou de hardcore comme Man Sized Action, Rifle Sport, Ground Zero, Otto's Chemical Lounge. On sortait des EP's, des albums, des compilations sur cassette. C'était un peu notre gang, on partageait notre matos et notre argent. On s'entraidait autant qu'on pouvait, notre scène était vraiment cool.

Mis à part le punk et le hardcore, Minneapolis avait aussi une très bonne scène funk…

Bien sûr, c'était très riche, avec Prince et tous ceux qui gravitait autour de lui comme Alexander O'Neal, Terry and Jimmy, The Time et son studio Paisley Park. C'est marrant parce que quand les gens pensent à Minneapolis, ils pensent immédiatement à Hüsker Dü, Replacements, Soul Asylum, Bang. Les villes jumelles – et surtout Minneapolis, étaient comparables au Détroit des années 60. Au nord il y avait Prince, Terry and Jimmy, et au sud, il y avait Hüsker Dü et les Replacements. Et puis First Ave et 7th Street Entry, l'ancien arrêt de bus où tout le monde jouait. C'était une période très intéressante pour la musique, il se passait plein de choses. Il n'y avait pas que le punk rock et Twin/Tone, et il n'y avait pas non plus que Paisley Park et Prince. Il y avait tous ces styles différents, et tous les groupes cohabitaient, ça donnait une scène hyper forte.

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Tu as déjà rencontré Prince ?

En 1988, j'ai travaillé sur l'enregistrement de mon premier album solo

Workbook

aux studios de Paisley Park, pendant une semaine. Le studio était dingue, séparé en trois pièces. Dans l'une d'elle, il y avait une console API d'époque, avec un sound-system monstrueux pour qu'il puisse répéter ses tournées.

C'était l'apogée de Prince.

Oui, sa grande époque. La première pièce du studio était la salle SSL, c'est là qu'il était le plus souvent. On y a traîné quelques jours pour ré-enregistrer quelques basses, il stockait toutes ses écharpes dans cette pièce. Il y avait aussi un hall d'entrée tout blanc très haut de plafond, en forme de cage avec une colombe tout en haut. C'est vraiment un très beau studio, super bien équipé.

Kim, Craig Finn et Bob Mould.

Maintenant que tu vis à San Francisco, qu'est-ce qui te manque le plus ?

Les gens de Minneapolis sont adorables. Donc je dirais la chaleur des gens du Minnesota.

J'ai cru comprendre ça, les hôtesses de mon vol étaient très sympa.

[Rires]

Toujours. Les gens ont toujours été très gentils avec moi, depuis mon arrivée à l'université, jusqu'à aujourd'hui, quand je reviens de temps en temps. C'était le lieu idéal pour commencer une carrière, ici tout le monde te soutient.

Durant notre visite, on a aussi parlé à Lori de Babes in Toyland. Tu la connais bien, non ?

Oui, elle faisait partie de la scène aussi, on traînait tous ensemble, on écoutait du punk, on organisait des concerts et on s'occupait des groupes qui venaient jouer à Minneapolis. Elle était géniale, elle a vraiment rendu la scène de Minneapolis solide, elle faisait le lien entre les clubs et les musiciens.

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Ton nouvel album vient de sortir, tu abordes des sujets très personnels dessus…

L'album s'appelle

Beauty & Ruin

, j'ai commencé à l'écrire en octobre 2012. C'était une étape importante de ma vie, mon père venait de mourir. C'est lui qui m'a fait découvrir la musique quand j'étais enfant, qui m'a offert mes premiers disques et mes deux premières guitares. Pour les tournées d'Hüsker Dü, il nous avait acheté deux vans, il a conduit près de 2000 km à travers le pays pour nous les apporter.

Hüsker Dü en 1981.

Il a donc eu un rôle assez important.

Très important. Il était dur, je n'ai pas eu une enfance facile, mais bon, c'est notre cas à tous. À sa mort, je me suis posé, j'ai commencé à réfléchir et les douze mois qui ont suivi, j'ai écrit ce qui devenu

Beauty & Ruin

. J'y aborde, dans cet ordre, la mort, la réflexion qui la suit, l'acceptation et l'avenir. Ce sont les quatre boîtes dans lesquelles j'ai rangé mes souvenirs pour faire cet album. C'est vraiment un bon album, il ressemble à tout ce que j'ai pu faire de bien au cours de ma carrière. C'est très catchy, parfois très noir, mais ça tape toujours autant. Les gens ont eu l'air d'apprécier et d'être vraiment touchés par le disque.

C'est sûrement parce que tu es sincère du début à la fin.

Oui, c'est toujours un pari risqué. Quand tu écris des choses comme ça, tu prends le risque de choquer tes auditeurs. Quand je me suis vraiment mis sur cet album, plusieurs options s'offraient à moi, soit j'écrivais un album sincère, soit je faisais semblant, en ressortant un album joyeux et j'enfouissais tout ce qui venait de se passer… Mais ce n'est pas mon genre. J'ai décidé d'être franc, en espérant que tout se passe bien. J'ai beaucoup de chance, j'ai un public qui est resté très fidèle – c'est un public qui est bien plus âgé que celui des pop-stars du moment et qui a certainement déjà traversé ce genre d'épreuves. Ils comprendront sûrement ma vision des choses. Tu dois accepter les changements, peu importe leur nature, tu n'as pas le choix et l'avenir se réalise dès à présent, il n'attendra pas demain. L'avenir c'est quand tu te dis que tu pourras le faire plus tard, alors que tu peux le faire dès maintenant.

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Tu as également sorti une autobiographie, ça fait un moment que tu fouilles dans on passé.

Ouais et pourtant je n'ai jamais été du genre à regarder en arrière. Je suis toujours passé à autre chose dès que je finissais un truc, le plus rapidement possible. Les quelques années qui ont suivi la sortie de mon autobiographie on été riches, avec les rééditions des disques sortis sur Sugar et de l'album

Workbook

. En reprenant l'histoire dans l'ordre, j'ai pu replacer les bons et les mauvais moments – je comprends maintenant mieux ce que je fais, je me sens mieux vis-à-vis de moi-même et du travail que j'ai fourni. Et surtout, je m'amuse toujours. J'ai 53 ans et le punk rock est un truc pour les jeunes, mais on s'éclate toujours à en jouer. Je ne sais pas où j'en serai dans 10 ans mais en ce moment, avec John et Jason on s'éclate bien et les gens apprécient. Pour une fois, ce n'est pas difficile de donner aux gens ce qu'ils veulent.

Le réalisateur Lance Bangs, Bob Mould, Kim de Noisey et Craig Finn.

Beauty & Ruin

, le nouvel album de Bob Mould est disponible depuis quelques semaines via Merge / Differ-Ant.

Kim est rédactrice chez Noisey. Elle est sur Twitter -

@theKTB