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reportage

Tabassé pour une clope

Dans la pire prison de Montpellier, un jeune mec de 19 ans est aujourd'hui entre la vie et la mort.

Photo : Grégoire Korganow

Maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, le 13 février 2016. Dans la cour de cette prison de l'Hérault, une bagarre éclate. Alan, un jeune homme de 19 ans, se fait passer à tabac par trois autres détenus pour une histoire de cigarette. Les trois agresseurs sont mis en examen le jeudi suivant pour violence en réunion ayant entraîné une infirmité irréversible. Ils risquent trente ans de prison alors qu'ils étaient tous libérables l'an prochain. Hospitalisé à Montpellier, la victime est aujourd'hui entre la vie et la mort.

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Perdue dans la plaine de la Mosson, coincée entre étangs et mer Méditerranée, la ville de Villeneuve-lès-Maguelone, autrefois connue des gens de la région pour sa plage, moins fréquentée que celle de Palavas, est désormais tristement célèbre pour sa prison. Grèves des surveillants, agressions au couteaux, arrêts maladies à répétition, climat social délétère, surpopulation (850 détenus pour 600 places en 2015) et sous effectif du personnel, tous les éléments sont réunis pour que la maison d'arrêt de VLM soit le théâtre d'agressions à répétition.

De Montpellier, lorsque je prends la route de Sète, elle apparaît, au détour d'un virage, son mirador se détachant sur le ciel d'un bleu pénible. Son enceinte est longée par une bretelle d'accès surélevée où familles et amis des détenus passent en voiture et lancent des colis au contenu possiblement douteux. Devant la prison, un unique arrêt de bus abrite quatre minettes qui font tourner un joint et échange les histoires au sujet de leurs copains enfermés. Un peu à l'écart, les mères consultent les horaires ; dernier bus à 17h, environ cinq par jour. En face un bar-restaurant-PMU à la façade décrépie achève de déprimer les rares personnes qui viennent se perdre dans les environs.

La maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone est en fonction depuis le mois de juin 1990. Construite dans le cadre du Programme 13 000, qui prévoyait la construction de 13 200 nouvelles places dans les prisons françaises, elle remplace la vétuste maison d'arrêt de Montpellier. Elle accueille des personnes prévenues en attente de procès et des personnes condamnées à de courtes peines, ou en attente d'affectation dans un établissement pour peines (pour les condamnations plus longues). Elle comporte également un quartier pour mineurs.

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La prison se compose de trois bâtiments de détention, A, B et C, et de cinq zones : une zone dite socio-pédagogique, regroupant les activités d'enseignement, culturelles et cultuelles, une zone de sports, avec un terrain de football et un gymnase, une zone d'ateliers, une zone de formation professionnelle et une zone administrative.

Incarcéré à l'étage le plus peuplé, Alan était en détention provisoire dans l'attente de son procès à Villeneuve-lès-Maguelone depuis mai 2015. L'audience aurait dû se tenir au printemps. « Quand quelqu'un entre en prison, il est censé en sortir vivant », m'a lancé David Mendel en guise de salutation, l'avocat de la victime et de sa famille. Chemise bleue rayée blanche, montre en argent au poignet, Maître Mendel, stature imposante et barbe rousse, est avocat depuis 15 ans. Il me reçoit dans son cabinet, proche de la gare de Montpellier. Je patiente dans une salle d'attente recouverte d'affiches de Van Gogh.

« S'il survit, ce sera dans un état neurologique catastrophique », me dit l'avocat du jeune homme, visiblement ému.

Dans le petit bureau, l'avocat s'anime. « Des épisodes de violence dans la cour de promenade, il y en a plein. Certains s'arrêtent au stade de la commission disciplinaire, certains finissent en correctionnelle. Celui-ci ira nécessairement aux assises. » Il s'émeut : « S'il survit, ce sera dans un état neurologique catastrophique. »

L'avocat connaît Alan depuis plusieurs mois. C'était lui déjà qui assurait sa défense dans l'histoire de vol à main armée qui l'a conduit en prison. « En réalité une équipée de branquignols qui sont partis braquer un bureau de tabac dans la banlieue pauvre de Sète », précise-t-il. Une pause, il ménage ses effets, puis tout y passe, du laisser-faire des surveillants de prison à l'attitude inhumaine du juge d'instruction. « Je suis convaincu qu'il y a un scandale judiciaire, administratif et humain derrière ce dossier. »

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Voilà un sujet sur lequel Luc Abratkiewicz ne le contredit pas. Avocat de l'un des trois accusés, on me l'a présenté comme l'un des plus brillants (et des plus chers) de Montpellier. Près du palais de justice, il me reçoit en coup de vent dans son cabinet aux allures de grand appartement cossu. Mâchoire carrée et regard acéré, il dresse le portrait de son client, la trentaine, un casier judiciaire chargé. « Villeneuve-lès-Maguelone est une poudrière », résume l'avocat. Puis en prenant congé, « le procureur parle d'affaires de petits voyous. Pour moi c'est beaucoup plus que ça. En France les prisons sont tout simplement moyenâgeuses. »

À ce sujet, Yanne Pouliquen est intarissable. Contrôleur et déléguée à la communication, elle épaule sur le terrain le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté. Sous sa houlette, une équipe de cinquante personnes peut visiter à tout moment les prisons françaises afin de s'assurer que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté sont respectés.

En 2008, Villeneuve-lès-Maguelone fut l'une des premières missions d'observation du CGLPL. À l'époque déjà, le rapport, rendu public, est accablant. La surpopulation (166 détenus en surnombre en 2008) est à l'origine de graves difficultés liées à l'inadéquation entre le nombre des usagers et celui des moyens mis à leur disposition : accès aux soins, aux services sociaux, aux activités culturelles et sportives par exemple. En cause aussi, le sous-effectif des personnels. Le rapport souligne également un climat social délétère au sein de l'établissement.

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_Photo : Grégoire Korganow_

En m'intéressant à la longue tradition syndicale de la maison d'arrêt, je fais la rencontre de Stéphane Dulac, secrétaire-adjoint du syndicat FO pénitentiaire et surveillant à Villeneuve-lès-Maguelone depuis huit ans. Lunettes, crâne rasé et poignée de main franche, il m'accueille chez lui pour me parler de ce qu'il appelle son « village d'irréductibles », où plus de 90 % des matons sont syndiqués. « Par chance, à VLM nous sommes d'éternels râleurs. C'est uniquement pour ça qu'on ne nous oublie pas », s'amuse-t-il.

Il se fait plus sombre au moment d'énumérer les nombreux dysfonctionnements de la prison. « À l'heure actuelle, VLM ne descend plus au-dessous de 850 détenus pour 596 places », m'explique-t-il. De fait, selon les chiffres de l'administration pénitentiaire publiés il y a trois semaines, la surpopulation carcérale atteint un niveau historique avec 118 établissements pénitentiaires dont la densité est supérieure à 100 %. La maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone atteint ainsi au 1 er janvier 2016 un taux d'occupation de 139 %.

« La promiscuité engendre nécessairement de la violence », se désole Dulac. Face à cette situation, de nombreux surveillants se sentent isolés. « Aujourd'hui, nous ne sommes tout simplement plus en capacité d'assurer la sécurité dans la prison », avoue-t-il. Avec lui, je détaille l'organigramme. VLM est prévue pour 153 surveillants, avec un effectif réel de 146, et un effectif opérationnel de 130. Où sont passés ces 16 surveillants ?

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« Dans l'établissement, la direction recrée des ghettos, et achète la paix sociale en rassemblant les quartiers entre eux. Pire, ils regroupent les fratries dans une même cellule. »

« Ce sont ceux qui sont en arrêt maladie de plus de six mois », m'explique Stéphane Dulac. Dans le lot, des congés maternités mais aussi des collègues promus et non remplacés à leur ancien grade, ceux déclarés en burn-out, et surtout plusieurs surveillants en accident de travail suite à des agressions de détenus. Dans les étages, un surveillant a en gestion 80 détenus, parfois 160 lorsqu'un gardien est absent.

Et ce n'est pas tout : « Dans l'établissement, la direction recrée des ghettos, et achète la paix sociale en rassemblant les quartiers entre eux. Pire, ils regroupent les fratries dans une même cellule. Si l'on rentre en conflit avec l'un d'eux, c'est tous ses frères qui nous tombent dessus quand on ouvre la porte », fulmine Dulac.

Contacté par VICE, Jean-Luc Ruffenach, le directeur de la prison, refuse formellement de nous répondre.

David Mendel dénonce : « La loi du silence elle est chez les détenus bien sûr, mais aussi au sein de l'administration. Il y a une notation, et s'il y a des vagues, la notation n'est pas bonne. Si la notation n'est pas bonne il n'y a pas de mutation, ni de promotion. C'est aussi simple que ça. »

Une loi du silence contre laquelle s'était également heurtée Yanne Pouliquen. En 2014, l'équipe du CGLPL retourne en urgence à VLM. Ils ont été alertés sur des problèmes de violence grave entre mineurs. « Tout le monde savait, mais on ne faisait rien », dénonce Yann Pouliquen. Entre janvier 2013 et février 2014, 24 cas de violences graves ont été recensés dans la cour de promenade des mineurs, « sûrement plus dans les faits », reconnait-elle, me racontant les réticences de l'administration à fournir les documents demandés.

La surveillance de la cour de promenade est assurée par une caméra fixe et une caméra mobile installées sur le toit de la guérite. L'existence d'un angle mort sur la cour de promenade a été évoquée par de nombreux interlocuteurs. « La vidéosurveillance ne garantit pas la sécurité ; elle permet surtout, lorsque les images sont exploitables, d'identifier a posteriori les auteurs d'une agression », souligne Yanne Pouliquen.

Elle poursuit : « Il n'y a effectivement pas de surveillants dans les cours de promenade, c'est un lieu qui est accepté comme étant dangereux ».

Le 13 février, Alan en a fait les frais.

Morgane est sur Twitter.