Les Guilty Razors ne sont jamais devenus riches

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Les Guilty Razors ne sont jamais devenus riches

L'Olympia dévasté, les embrouilles avec les rockers, le virage variété : une discussion avec Tristam, l'ex-chanteur d'un des premiers groupes de punk français, à l'occasion de la sortie de « Punk 45 - The French Connection » chez Soul Jazz.

Fêter les 40 ans du punk, quelle tristesse… Que retiendra t-on du punk français d'ailleurs ? Des poseurs nuls, des bourgeois arrogants, des profs gauchistes, des peintres expérimentaux ? Peu de musique finalement. Et pourtant, nous redécouvrons pas mal de choses, au compte-gouttes, que ce soit par l'intermédiaire de comme labels Born Bad, Danger ou Mémoire Neuve. Et même via les Anglais de Soul Jazz, qui sortent aujourd'hui même un énième volume de leur série Punk 45, cette fois dédié à la France : Les Punks - The French Connection. Compilé par Marc Zermati (l'ancien boss de Skydog Records bien connu des autorités), on y retrouve les marronniers de l'époque : Asphalt Jungle, Métal Urbain, les Olivensteins, Marie & Les Garçons ainsi que quelques groupes moins évidents comme À 3 dans les WC, Kas Product et ces bons vieux Guilty Razors. Formés au milieu des années 70 dans un lycée du 16ème (non, ne riez pas), Guilty Razors n'ont sorti qu'un single durant leur courte existence, avant de suivre une trajectoire étrange. Les frères Pérez ont ensuite monté Bandolero (oui oui, ce Bandolero) tandis que Tristan allait s'adonner à son autre passion, la peinture, avant de revenir pour un single rap à la fin des années 80. On lui a demandé de nous expliquer tout ça et de couper court à toutes les rumeurs qui couraient sur les Razors.

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Noisey : 30 ans après votre premier attentat sur vinyl, le label Seventeen a sorti votre discographie. C'était en 2006. 10 ans plus tard, tu trouves que c'était une bonne idée ?
Tristam Nada : Hormis le 45 tours chez Polydor, le morceau sur la compile de l'Olympia et une démo pourrie sur une compile de chez Skydog, il n'y avait rien d'existant des Guilty, donc c'était une bonne idée, évidemment ! Le malheur, c'est que Seventeen a disparu, que le distributeur a fait faillite et que le disque est passé direct dans la catégorie collector introuvable…

Avant ça, Guilty Razors était surtout présent sur les compilations Killed By Death et autres Best Of du punk français sur lesquels vous ne touchiez pas un rond j'imagine. C'est un truc qui t'a dérangé ?
Sincèrement, on n'a jamais fait ça pour le blé, c'est plutôt la reconnaissance historique qui me défrise ! On était parmi les bons pourtant…

Cet unique single, « I Don't Wanna Be A Rich », était d'ailleurs visionnaire. On raconte que Polydor a, à l'époque, rappelé tous les exemplaires du disque pour les détruire. C'est quoi cette histoire ? Et comment vous vous êtes retrouvés sur cet énorme label d'abord ?
C'est Alexis Quinlin [ ancien manager de Taxi Girl, co-fondateur du club le Rose Bonbon et du label Mankin, et bien d'autres choses], par ailleurs escroc notoire, qui nous avait trouvé le deal, je dois le reconnaître. En ce temps-là, quand un 45T ne marchait pas, il était rappelé et refondu… Le plastique a sans doute servi ensuite à presser un Sheila ou un Claude François ! Comme on ne passait sur aucune radio, vu qu'on chantait en anglais, et que nous étions distribués uniquement sur demande, le sort du disque a été vite scellé.

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Comment et dans quel but s'est formé le groupe Guilty Razors ?
Les Guilty étaient un groupe de lycéens, ou presque. On était dans le seul bahut du 16ème où tu pouvais trouver des gauchistes, Jean-Baptiste Say. José Perez [basse] et moi [chant] avions trouvé le nom, Carlos [guitare] le frère de José nous a ensuite rejoint, puis pour finir, Jano 'Homicid' Levy [deuxième guitare]. On a commencé dans le but de faire des reprises des Stooges, du Velvet, des Seeds, mais dès qu'on a entendu le premier 45 tours des Sex Pistols, Carlos a écrit nos premiers titres. Moi, avec mon anglais appris dans les comics américains, j'ai rédigé les textes, et c'était parti ! On s'est tout de suite revendiqué punk, le côté anar, bordélique, un peu dilettante et marrant, nous parlait. Pas d'ambition trop affirmée mais on voulait bien faire quand même, on était plus inspirés par les Clash que les Ramones, on voulait faire une musique bien stylée, et il faut savoir que les frères Pérez étaient de vrais musiciens.

Là où les groupes français étaient plus enclins à reprendre (mal) les Stooges, vous, vous faisiez une reprise de Pink Floyd. C'était de la provoc ?
Reprendre « Lucifer Sam » était de la pure provoc : quand on l'annonçait en concert, les gens sifflaient, ils croyaient à une vanne, mais le premier album de Pink Floyd avec Syd Barrett est juste un chef d'oeuvre.

Tu chantais exclusivement en anglais, langue que tu avouais ne pas maitriser. Tu racontais quoi dans des titres comme « Terrorist Bad Heart » par exemple ?
Pas si mauvais que ça hein, il était juste truffé d'expressions américaines un peu bizarres… « Terrorist Bad Heart » parlais de la Bande à Baader, évidemment, et de la colère de la jeunesse face aux institutions, de la violence qu'elle peut entraîner. Rien de nouveau, et un titre foutrement toujours d'actualité.

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Tu as un titre préféré des Guilty ?
Perso, j'adore notre version de « Lucifer Sam » justement, et « Stupido » sur le CD de 2006.

Vous avez joué à l'Olympia en 1979, lors de la fameuse Nuit Punk ou Woodstock Punk (lol). Comment était l'ambiance des concerts entre 1976 et 1978 ? Il paraît qu'on vous jetait toutes sortes de projectiles !
Ce concert à l'Olympia était un bordel monstre, comme les concerts de l'époque en général. J'ai encore l'image des gens qui sautaient du balcon pour se jeter dans la fosse devant la scène. Nos roadies de l'époque étaient des bikers, ils ont braqué pas mal de ces pauvres punks dans la salle ce soir-là… Moi j'étais tellement déchiré que José m'a remplacé au chant pendant une partie du set, un souvenir impérissable. En règle générale, les mecs du premier rang avaient l'habitude de cracher sur tous les groupes, mais je le leur rendais bien. J'ai pas le souvenir de projectifs "solides" en tête, par contre…

Et dans les rues de Paris, c'était la survie à la fin des 70's ?
On s'est souvent fait courser par les Rocky, en effet, notamment durant l'été 77, quand on a fait la première partie de Metal Urbain au Bus Palladium. Ils étaient une bonne centaine, je me souviens avoir vu Patrick Eudeline se faire péter la clavicule devant moi, autant dire que j'ai pas demandé mon reste ! Mais parfois, on courait aussi derrière eux, comme à ce concert de The Jam au Théâtre du Gymnase où l'on faisait également la première partie. Là, on était accompagnés de tous nos potes bikers, et ça a carrément failli finir à coups de fusil de chasse !

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Quelles étaient les bandes les plus redoutées ?
Les rockers de la Courneuve et des Puces de Clignancourt étaient les plus féroces mais on a vite fait copain-copain avec eux, leur chef était le cousin de Jano, donc ça a facilité le rapprochement.

Aujourd'hui sort la compile « Les Punks - The French Connection » sur Soul Jazz. Que peux-tu me dire sur ces autres groupes qui figurent à vos côtés :

Marie et Les Garçons : De la variété.

Gazoline : Alain Kan était déjà un vieux briscard de la chanson, pas trop punk, mais plutôt glam rock.

Asphalt Jungle : Bon groupe, j'adore Patrick [Eudeline], mais il chantait encore plus mal que moi !

Metal Urbain : Les plus inventifs, les précurseurs de l'electro.

Les Dogs : Bizarrement on ne s'est jamais vraiment croisés, mais pour moi ça reste du pub rock, pas du punk.

Comme d'autres groupes de cette période, je pense à La Souris Déglinguée, il y avait tout un contingent qui tournait autour des Guilty Razors : « mauvais musiciens, artistes poseurs et hippies opportunistes ! » comme le racontait José dans le booklet accompagnant votre discographie. Tu peux m'en parler ?
La Souris appartient à la génération suivante, ils ont eu la chance de disposer de plus de salles de concerts. Nous, à part le Gibus, il n'y avait rien, à part quelques premières parties de groupes anglais, mais c'était pas facile de se placer… Et les concerts en province, même pas en rêve ! Il n'y avait tout simplement aucune structure pour ça. On était un minuscule microcosme à Paris, beaucoup de poseurs, de punks branchouilles, et de groupes qui n'avaient que leur nom et qui ne jouaient jamais.

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À propos, il existait une coupure nette entre Paris et la Province dans ces années-là comme en témoignent les textes de certains groupes comme Stalag de Bordeaux, qui maudissaient les punks parisiens. Vous vous placiez comment par rapport à cette rivalité ?
Parler de rivalité est un peu surfait. Excepté celle inventée par notre manager de l'époque avec Starshooter (je suis devenu pote avec Kent [l'ex chanteur] depuis, et ça nous fait bien rigoler aujourd'hui). Ou encore celle avec les Stinky Toys, créée de toute pièce par Polydor. Quant à Stalag, je ne connais pas, désolé…

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C'était quoi ce beef avec les Stinky Toys ?
Polydor avaient été leur raconter qu'on bavait sur eux et vice-versa, c'était très tendance la rivalité entre groupes… Une pauvre connerie quoi ! Au concert des Ramones au Bataclan [en mai 77], on tombe sur Jacno, on le coince au bar et là on discute (pas si brutes épaisses que ça les Guilty !). Et on se rend compte de la supercherie, fin de l'histoire. Pour l'anecdote, Jacno avait un pistolet à grenaille sur lui, et était prêt à s'en servir.

En quelle année vous-êtes vous séparés, et qu'est ce qui a provoqué la cassure ?
Le groupe a splité juste après l'Olympia, à l'été 1978, pour des histoires de dope, d'égo, rien de bien brillant…

José Perez et son frère Carlos ont ensuite fondé Bandolero, auteurs du tube des années 80 « Paris Latino ». Ca te faisait quoi de voir soudain tes potes à la télé ? Wikipédia dit que Madonna n'est pas étrangère à leur succès…
On est restés potes malgré tout, et j'ai été très content de leur succès. Par contre, Madonna n'a rien à voir là-dedans, je sais pas d'où elle sort celle-là ! Wikipedia, on connait mieux comme source d'info… Faudrait demander à José, mais il vit en Thaïlande aujourd'hui et y'a pas l'ADSL dans son coin. Si tu me paies le billet, j'irai lui poser la question !

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On te retrouvera toi aussi dans le top 50 à la fin des années 80, avec le morceau « Bonne bonne humeur ce matin », dans lequel tu « rappes » et où l'on voit un très jeune Vincent Cassel se trémousser. Parle-moi de ce disque, du clip et de l'album qui a suivi.
Je n'ai jamais été classé dans le Top 50, c'est une légende, j'étais 51ème !  C'est une opportunité dont je suis plutôt fier. Pierre Grillet, l'auteur de la chanson (il a aussi écrit « C'est la ouate », « À caus' des garçons » et « Madame rêve », entre autres) était un ami et voisin, et ça s'est donc fait tout naturellement. L'époque était aux « coups », on a tapé dans le mille, et la chanson est depuis devenue un classique, c'est cool. Le clip est ce que j'appellerai un scopitone. Vincent était un pote de l'époque, il devait avoir entre 18 et 20 ans et on fréquentait les Bains et le Palace ensemble. Concernant l'album qui a suivi, le résultat était trop variétoche pour moi, on ne s'était pas entourés des bonnes personnes. Je crois que j'aurais dû faire un disque plus trash, plus proche de l'esprit des Guilty, avec les musiciens que je fréquentais à l'époque, genre les Rita Mitsouko, FFF, etc.

Tu côtoies toujours Vincent Cassel , Est-ce qu'il considère cette vidéo comme une casserole ?
Je le croise de temps à autre, mais nous n'évoluons pas dans les mêmes sphères… Il m'a toujours dit que ça le faisait marrer d'avoir fait ça avec moi, donc pas de casserole, désolé.

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Entre 78 et 88, t'as complètement disparu des radars. T'étais passé où  ?
Depuis 1980, je fais ce que je sais le mieux faire, c'est à dire de la peinture. Puis j'ai créé un groupe qui s'appelait « Les Musulmans Fumants » et qui a sévi pendant 10 ans. On a travaillé avec tous les gens et les milieux intéressants de cette période : Afrika Bambaataa, Keith Haring, Jean-Baptiste Mondino, Jean-Paul Goude, dans la mode, la pub, le rap, le cinéma, on a laissé des traces partout, cherche bien…

As-tu fini par devenir riche finalement ?
Je ne suis pas riche non, mais je vis de ma peinture, je fais ce que je veux, et ça, c'est le luxe ultime !

Punk 45 - Les Punks : French Connection est disponible dès aujourd'hui via Soul Jazz.

Tristam sera à la galerie 18 bis boulevard Voltaire, le 12 novembre, pour le vernissage de l'exposition Ba-ta-clan Project.

Rod Glacial essaie de transformer son Twitter en oeuvre d'art, pas évident.