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Soulwax n'ont aucune envie de devenir de vieux cons

Le duo belge, nous parle de la mort de la club culture, de la scène belge, de la prolifération des experts et de son nouvel album « From Deewee ».

Un an après avoir composé la BO de Belgica, les frères Dewaele sont de retour avec From Deewee et, autant le dire, ils mettent une fois de plus la misère à un tas de productions venues d'Angleterre, des États-Unis et d'ailleurs. À eux seuls, depuis leur studio à Gand, Stephen et David font en effet de la Belgique une base déterminante lorsqu'on parle expérimentation et musiques électroniques. Ça fait des années que ça dure et c'est toujours une joie de retrouver un groupe qui ne semble jamais empêtré dans sa propre formule, ni encombré de codes et de schémas mélodiques superflus. Rencontré lors de son passage à Paris, David Dewaele le dit d'ailleurs très bien : « Soulwax vit suffisamment entouré de jeunes groupes pour ne pas refaire toujours la même chose. »

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Noisey : Question simple pour commencer : est-ce que vous avez abordé From Deewee différemment de votre travail sur Belgica, la BO du film de Felix Van Groeningen ?
David Dewaele : Ce qui différencie From Deewee de Belgica, c'est que l'on y faisait des morceaux spécialement pour un film et ses différentes scènes. Rien n'avait été écrit avant de voir les séquences, donc tout avait été composé en étroite collaboration avec Félix Van Groeningen. S'il fallait un son hardcore un peu punk, on l'écrivait. L'idée était d'ailleurs de faire comme s'il y avait seize groupes différents sur la BO. Là, tout a été composé pour que l'album corresponde à ce que nous sommes. On s'est, bien entendu, mis pas mal de barrières et de contraintes, mais From Deewee est pour le coup un vrai album de Soulwax, pensé pour nous et pour nos lives.

Pourquoi l'avoir enregistré en une prise ?
Parce que notre cerveau marche comme ça. Après plus de vingt ans dans la musique, on a fini par comprendre que l'on perdait pas mal de nos idées quand on ne s'imposait pas ce genre de contraintes. D'autant que cet album a d'abord été construit en live, avec trois batteurs différents. L'idée, c'était donc de faire un album dans le même esprit, en ressentant le jeu d'un musicien en live, en pensant aux différentes possibilités permises par l'analogique.

Votre studio, du coup, a dû jouer un rôle très important ?
C'est bien sûr très important pour nous d'enregistrer dans ce lieu parce qu'on voulait que Soulwax devienne la partie centrale de notre label DEEWEE, avec lequel on publie un disque en vinyle chaque mois. Et puis, il faut dire ce qui est : c'est aussi une chance de pouvoir enregistrer dans un lieu où on a pu stocker tous les instruments que l'on collectionne depuis 25 ans. Si on l'avait réalisé ailleurs, honnêtement, From Deewee n'aurait pas sonné pareil.

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Dans le communiqué de presse, il y a un long descriptif des différents instruments utilisés. C'est important pour vous l'outil studio, les « vrais instruments » ?
On sait bien que les chansons auraient pu exister en acoustique et au piano, ou encore que la plupart des gens se fichent de savoir que l'on joue de tel ou tel instrument sur un morceau, mais, pour nous, c'est important. On a besoin d'avoir tout ce matériel autour de nous pour faire ce que l'on souhaite et aller au bout de nos idées. Ça pourrait bien sûr être très facile de se perdre dans notre studio, de prendre le synthé le plus rare juste pour s'amuser avec, mais on arrive à éviter ce genre de pièges. Pour tout dire, on a même tendance à utiliser des instruments faciles d'accès.

Quand vous composez, vous réfléchissez à la destination du morceau, si les gens vont l'écouter chez eux ou en club ?
Honnêtement, non. Surtout qu'avec cet album-là, on avait l'intention de construire un album pour chez soi. Crois-moi, si on avait voulu faire un album club, tu l'aurais immédiatement su.

J'ai l'impression que la techno et le clubbing sont devenus un loisir de riche, un truc de consommateurs bêtes et gentils. Tu n'as pas cette impression parfois ?
Je pense que le côté VIP a tué la club culture. C'est devenu chiant, mais ça concerne aussi les concerts de rock ou de pop. Tu sais, on vit dans un monde où il faut montrer que l'on est présent à tel ou tel endroit à travers un selfie ou un snapchat. Ça rend le médium live moins intéressant, plus ennuyeux. Un peu comme si l'explosion d'internet avait tout changé. La façon dont on a incorporé ce médium à notre mode de vie a profondément changé notre quotidien. Mais bon, ça semble convenir à tellement de personnes que je ne peux pas dire que ce soit foncièrement mauvais.

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En regardant les paroles de l'album, j'ai remarqué qu'il n'y avait aucune connotation politique. C'est presque un comble aujourd'hui, vu le contexte de notre époque…
Ça peut paraître bizarre, surtout que l'on est presque obsédé par ces questions avec Stephen, mais ce n'est pas quelque chose qui nous correspond musicalement. Dès le départ, on a consciemment fait le choix de ne pas avoir de paroles politiques, même si parfois ça peut se lire entre les lignes. Ce n'est pas un sujet que l'on souhaite développer et aborder dans nos morceaux, tout comme on ne parle pas littéralement d'amour ou autre. Tout est toujours assez flou chez nous, on n'aime pas ce qui est trop frontal.

Quand même, tu ne crois pas que la techno à autre chose à offrir que de l'hédonisme pur ?
Bien sûr, mais chacun ses thèmes de prédilection. Et puis il faut dire ce qui est : l'hédonisme, c'est ce que j'aimais dans la techno quand j'ai découvert ce genre musical il y a vingt ou trente ans. D'ailleurs, j'en suis même à me dire que ce n'est pas l'ambition de cette musique qui a changé, mais bien notre rapport social à elle. Aujourd'hui, il y a tellement de musiques en circulation, et particulièrement dans le monde des musiques électroniques, que ça donne une impression de banalité, que les morceaux sont moins spéciaux qu'avant. C'est totalement faux.

Justement, en regardant un peu en arrière, tu juges comment l'évolution des musiques électroniques ? Tu fais partie de ces vieux cons qui pensent que les nouvelles générations sont moins éduquées qu'avant ?
Au contraire, je dirais qu'ils sont plus éduqués, mais dans des domaines spécifiques. Grâce à notre label, on bosse avec beaucoup de jeunes qui connaissent toute la discographie de Joy Division, mais qui sont incapables de reconnaître un des morceaux du groupe. Il y a vingt ans, ce n'était pas le cas : on vivait dans une monoculture et on savait qui étaient les stars. Aujourd'hui, je ne suis pas sûr que les gens soient au courant de ce qui sort de leur bulle. On vit dans un univers où tout le monde est un expert sur certains aspects. Je ne dis pas que c'est mauvais ou non, c'est comme ça.

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Une chanson de l'album se nomme « A Singer Become A Deejay ». C'est votre sentiment, que les DJ's ont volé la vedette aux chanteurs ?
Ce n'est pas si littéral que ça, mais on trouvait assez drôle de faire un morceau sans voix, avec uniquement des batteurs. Après, c'est vrai que les DJ's sont les grandes vedettes de notre époque et qu'il y en a des tas. Ce qui correspond, finalement, à ce que l'on annonçait déjà en appelant notre deuxième projet, 2 Many DJ's. Aussi, il faut dire que toutes les musiques sont électroniques aujourd'hui, de la pop au hip-hop, en passant par le jazz. Même Ed Sheeran peut être vu aujourd'hui comme un musicien électronique, dans le sens où tout est créé derrière un ordi.

On a beaucoup parlé d'une nouvelle scène rap en Belgique ces deux dernières années. C'est une scène que tu suis de près ?
Pas du tout… Tu vois, quand je te disais que les gens vivent de plus en plus dans une bulle, ça s'applique aussi à moi. D'ailleurs, je trouve quand même assez fou que l'on s'intéresse toujours à ce qui se crée à l'étranger, on voit ça comme une ouverture d'esprit alors que, bien souvent, on ne prend jamais le temps de regarder ce qui se fait chez soi, dans son propre pays. C'est un peu honteux, finalement.

Au fond, est-ce que la Belgique n'a pas toujours été en avance sur la France musicalement ? Je pense notamment à la new beat, mais aussi au rock, en quelque sorte ?
C'est étrange parce que la culture française est nettement plus importante que la culture belge dans le monde entier, mais j'ai l'impression que ça libère les musiciens belges de ne pas avoir ce poids à défendre. La Belgique, c'est un peu comme le Canada ou la Suisse, les musiciens y sont très libres. Il y a moins d'attentes autour d'eux, donc moins de pression. Mais tu sais, il n'y a pas que la France dans cette situation. En Angleterre, où on vit une bonne partie de l'année, c'est pareil : tout est très dessiné et on a l'impression qu'il faut marcher sur les lignes pour se faire un nom. En Belgique, non.

C'est comment pour vous de jouer en Belgique aujourd'hui ?
Musicalement, ça ne change rien, on jouera toujours notre musique. Par contre, ce qui diffère, c'est la présence de nos proches et de notre famille. Étant donné que l'on ne joue qu'une ou deux fois par an en Belgique, il y a un nombre de spectateurs assez dingue à chaque fois. Ça rajoute une pression que l'on n'a pas ailleurs.

Finalement, on parle de nouveau de vous aujourd'hui pour From Deewee, mais vous avez un tas d'autres projets en cours. Notamment Despacio, vos DJ sets avec James Murphy…
James vient de finir son album et va partir en tournée, donc ça risque d'être compliqué de trouver du temps pour continuer le projet ces prochains mois. Je croise les doigts pour qu'on reprenne tout ça après l'été. Mais bon, comme tu dis, on a de quoi s'occuper. Là, la tournée se met en place, et on a toujours notre émission de radio sur Apple Music.

From Deewee sort le 31 mars chez PIAS.

Soulwax sera en concert à Paris le 3 avril (Elysée Montmartre) et à Lille le 7 avril (Aeronef).