Au cœur d'un autre Roland-Garros avec Bruno Aveillan

FYI.

This story is over 5 years old.

Sports

Au cœur d'un autre Roland-Garros avec Bruno Aveillan

Le photographe, également réalisateur et artiste plasticien, a immortalisé les coulisses, les stars et les petites mains du tournoi du Grand Chelem le plus mythique.

Propos rapportés par Glenn Cloarec.

Photos de Bruno Aveillan extraites de son livre Roland-Garros publié aux Éditions de la Martinière.

Le tournoi de Roland-Garros n'est pas seulement une compétition sportive mondialement connue. Il est devenu au fil des décennies un lieu mythique, pétri de légende. En France, aucun autre événement ne peut se targuer d'une telle aura internationale, mis à part peut-être le Tour de France – et encore… Il s'agit également du seul tournoi du Grand Chelem qui se dispute sur terre battue.

Publicité

En tant que plasticien, je suis sensible à l'omniprésence de la matière et de la lumière et à l'âpreté des enjeux. Il était donc logique que je m'intéresse à cette compétition. Sans nul conteste, elle représente le tournoi le plus exigeant mentalement et physiquement. C'est le théâtre de tous les drames et des scénarios les plus improbables.

L'évènement a une filiation naturelle avec les artistes : chaque année, un artiste prestigieux en signe l'affiche. Réalisé l'an dernier en partenariat avec la Fédération française de tennis, ce travail photographique est un état des lieux « poétique et artistique » de Roland-Garros. Il a fait l'objet d'un livre publié aux Éditions de la Martinière, qui faisait suite à celui de Steve Hiett, paru l'an dernier.

Sur le plan sportif, la finale hommes de ce Roland-Garros 2015 a été pour moi le plus beau match. Non seulement pour la qualité du jeu, mais aussi pour la dimension dramatique du scénario avec la belle mais surprenante victoire du Suisse Stanislas Wawrinka. De plus, il faut dire que j'ai eu le privilège de me retrouver seul photographe avec les deux finalistes avant et après la finale. Avant le match, j'ai d'ailleurs pu noter une différence de nervosité bien compréhensible, entre Djokovic, assez nerveux, qui avait tout à perdre, et Wawrinka, plus détendu, qui avait tout à gagner. Dans le livre, on peut voir Wawrinka qui déambule torse nu et décontracté dans les vestiaires, alors que le joueur serbe, très concentré, semble presque se cacher. Une image vaut mille mots, comme on dit…

Publicité

J'ai aussi le souvenir de ce moment assez incroyable où Wawrinka, juste après le match, est arrivé dans le vestiaire, la coupe dans les bras, les yeux brillants de joie, avec un sourire d'enfant dessiné sur le visage. Soudainement, son expression a changé. Il a presque blêmi. Puis, il a lentement posé la coupe sur son banc, s'est assis et est resté prostré pendant plusieurs minutes dans un silence de cathédrale, le tout sous le regard quasi inquiet des rares personnes présentes. Il venait tout simplement de réaliser son exploit… J'ai fait discrètement deux photos de ce moment si particulier. Sur ces images, ce qui est étonnant, c'est que si on s'amuse à cacher la coupe, on a le sentiment que le joueur suisse a perdu, tant son attitude est introspective.

Toujours pour rester dans le vestiaire, celui de Nadal m'a beaucoup intrigué. Alors que tous sont en parfait état, le sien, le numéro 159, celui qu'il garde depuis sa première victoire et qu'il n'échangerait pour rien au monde, comporte des petites imperfections au bas de la porte. Ce sont des gens de passage qui, discrètement, arrachent ces petits morceaux de bois telles des reliques.

Un autre rite qui échappe aux caméras : dans les travées du court central, sur les murs de bétons, il est de tradition que les jeunes ramasseurs de balles dessinent le pourtour de leur main pour marquer leur passage dans le tournoi. Au fil des ans, ces graffitis sont devenus de véritables fresques.

Publicité

Je pourrais inscrire ce travail dans une démarche que j'ai développée sur quelques projets au sein d'autres lieux mythiques comme les studios Abbey Road de Londres ou le théâtre Bolchoï à Moscou. Pour continuer dans le domaine du sport, le tournoi de Wimbledon pourrait être pour moi une suite logique, mais ma sensibilité latine reste certainement plus proche de la terre battue et du soleil ! En fait, je ne dirais pas non à un nouvel opus à Roland-Garros dans quelques années, de sorte à faire un parallèle avec l'édition de 2015… En outre, parmi les autres évènements sportifs qui pourraient se prêter à un exercice artistique de cet ordre, je pense aux 24 heures du Mans et aux Longines Masters – le saut d'obstacles est une discipline assez peu connue alors qu'elle présente une dimension incroyablement émotionnelle et photogénique.

Sans totalement me détacher d'une approche documentaire, j'ai souhaité préserver un certain équilibre avec la photo plasticienne, qui est plus en phase avec mon univers et mon travail de recherche. Ce fut là un véritable enjeu : il n'est pas aisé de traduire sous un angle incisif un évènement aussi médiatisé. On se rend vite compte qu'en restant dans la fosse réservée aux photographes, on retombe vite sur des images qui, bien qu'intéressantes sur le plan sportif, ne sont pas toujours d'un grand intérêt photographique. Il est essentiel de provoquer en permanence une approche, un angle plus immersif. Certains photographes sportifs traditionnels me regardaient parfois d'un drôle d'air en me voyant me concentrer en plein match sur des détails sûrement assez bizarres à leurs yeux, comme une serviette maculée de terre battue, les marques ocres sur les genoux d'un ramasseur de balles ou les doigts plein de talc d'un préparateur de raquettes. Au-delà du pur évènement sportif, Roland-Garros est une ruche où beaucoup de métiers et de savoir-faire s'expriment dans l'ombre 24 heures sur 24 et où l'être humain est toujours au centre de l'événement. Cette énergie pure et immédiate qui se développe dès les préparatifs du tournoi a été pour moi une grande source d'inspiration et l'élément moteur de ce projet.

Publicité