Alex Cameron, ce héros
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Alex Cameron, ce héros

Imbattable, inimitable, inattaquable : personne n'arrive à la cheville de l'Australien en 2017. Et pour ne rien gâcher, il ne se débrouille pas trop mal en blind-test non plus.

Si vous faites partie de ceux qui ont aimé de passion pure Jumping The Shark, l'incroyable, l'excellent, l'immaculé premier album d'Alex Cameron, sorti en toute confidentialité au printemps 2013 et réédité l'an dernier sur Secretly Canadian, alors vous savez. Vous savez que cet australien blond et fou fait partie de ce qui est arrivé de mieux à cette décennie impitoyable. Vous savez qu'une seule de ses pop songs obliques et pénétrantes suffit à balayer les tristes et besogneux efforts de la concurrence. Vous savez que le type est un véritable animal sur scène, vous l'avez vu bouger comme si la sève éternelle lui montait dans les os, chanter le regard fixe, comme plongé dans quelque surnaturelle réminiscence. Ce que vous ne savez peut-être pas, en revanche, c'est qu'il est tout à fait possible, malgré tout ça, que vous n'aimiez pas son nouvel album, Forced Witness, qui sort demain 8 septembre, toujours sur Secretly Canadian. Exit en effet le crooner pathétique et ses clair-obscurs synthétiques, avec Forced Witness, Alex Cameron s'est taillé un costume flamboyant dans un gros morceau de 1984 : Roxy Music, INXS, Tom Petty, Bruce Springsteen et même cette vieille carne de Kenny Loggins, toute la bande FM y passe, menée par le saxo fou de son sidekick Ron Molloy. Enfin ça, c'est si vous choisissez de rester en surface. Parce que pour le reste, les chansons au coeur noir, ce talent à jongler entre sublime et ridicule, tout est resté rigoureusement intact. Mieux, on a carrément grimpé d'une vingtaine d'étages. OK, le disque est totalement disproportionné, balançant tous les meilleurs morceaux d'entrée de jeu pour se diluer assez péniblement sur la fin. OK, on se serait volontiers passé des percus sur « Marlon Brando » et de la production terriblement lambda de « The Chihuahua ». OK, il risque de s'attirer avec ce disque un public un peu compliqué, fait d'infernaux ironistes et de raclures pop-culture. Mais voilà, qui aujourd'hui arrive à être à la fois Nick Cave, Michael Hutchence et Ferris Bueller ? Qui sort des clips sublimes et aberrants qui donnent systématiquement envie de chialer à la fin (à-t-on vu quelque chose de plus beau et de plus parfait que la vidéo de « Stranger's Kiss » cette année ? Je ne crois pas) ? Qui parvient à avoir l'air totalement bidon et absolument sincère dans une même seconde ? Alex Cameron. L'antidote à tous les Win Butler de l'Univers. Ce que le monde nous a donné de plus beau et de plus fou depuis Nicolas Cage. Une des seules raisons de croire encore à toute cette merde pop en 2017. Preuve supplémentaire, s'il en fallait, de l'amour qu'on porte à ce garçon : on s'est rendu compte qu'on n'avait absolument aucune question à lui poser. Ce qu'il fait se suffit à lui même et ne demande aucune explication. C'est comme avec le nouveau Twin Peaks. Vous comprenez la blague ou vous sortez. Du coup, on a opté pour un blind-test. 100 % australien. De Midnight Oil aux Easybeats en passant par Machinations. Et assuré de main de maître par Albert Potiron.

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MACHINATIONS - « My heart's on fire »

Alex Cameron : Putain, je… Aucune idée. C'est super bien, en tout cas. C'est contemporain ? Mec, c'est énorme ce truc mais je ne sais absolument pas de qui il s'agit. Roy Molloy : Tu aurais dû avoir un plan B pour chaque morceau. Je sens qu'on ne va en trouver aucun.

Noisey : C'est Machinations, un groupe new wave qui marchait pas mal en Australie dans les années 80.
Alex Cameron : Je ne connais pas du tout. C'est impressionnant. La production est fantastique. C'est tout à fait le genre de choses que j'adore.

Roy Molloy : Je crois que je vais beaucoup écouter ce groupe. Je suis déjà fan. Ça s'était bien classé dans les charts à l'époque ?

Oui, #27 dans les charts australiens. Vous pensez que votre nouvel album a des chances de bien se vendre ?
Ne soyons peut-être pas trop optimistes… Alex Cameron : Ça dépend ! Je ne connais pas très bien ce monde là mais j'ai vraiment foi dans ces nouveaux morceaux, foi dans la manière dont ils ont été écrits. Donc je ne serai pas surpris si le succès devait venir avec ce nouveau LP. J'ai vraiment l'impression d'avoir écrit un album que j'adore. Avec des ballades, des tubes potentiels, de l'âme… Tout ça, c'est positif. La seule question, c'est évidemment de savoir si les gens vont partager notre état d'esprit et se connecter à notre musique.

Ce morceau de Machinations figure sur la B.O de Dead End Drive-In, un classique de la série B australienne.
Chez nous on appelle ça de l'Ozploitation. Si tu veux t'intéresser à ce genre de films je te conseille vivement de commencer par The Cars That Ate Paris, le premier long-métrage de Peter Weir. C'est vraiment fascinant d'étudier le cinéma australien des années 70-80 parce que le gouvernement de l'époque injectait énormément d'argent là-dedans. Et sans véritables contrôle. C'est comme ça qu'un truc comme Mad Max a pu sortir. Ils n'avaient même pas l'autorisation de filmer sur des autoroutes. Alors ils se sont pointés sur des autoroutes peu fréquentées et ont filmé comme ça. J'adore cette période du cinéma australien. Il y avait beaucoup de liberté là-dedans. Allez, morceau suivant.

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MIDNIGHT OIL – « Blue Sky Mine »

Roy Molloy : C'est Midnight Oil ! Impossible de ne pas trouver ça !

Alex Cameron : C'est « Blue Sky Mine ». Laisse un peu tourner le morceau, juste pour notre plaisir.

C'est un groupe important pour vous ?
Bien sûr. Très important. Ça nous a introduit à une sorte de rock électronique et « boombastic ». C'est une musique qui me met le sourire. Il y a deux ou trois ans, j'ai rencontré par hasard leur chanteur Peter Garett dans un festival. J'étais très impressionné. Roy Molloy : Il a été parfait dans tout ce qu'il a fait. Pas uniquement dans la musique. Un mec incroyable ! Alex Cameron : Et tellement cool ! On pourrait aussi parler de sa carrière politique, de son passage comme ministre de l'éducation. C'est un homme qui a toujours voulu être bon dans tout ce qu'il a fait, dans sa musique comme dans ses décisions. J'aime ce groupe. Aucun doute là-dessus. Envoie la suite, bébé.

KING GIZZARD AND THE LIZARD WIZARD - « Rattlesnake »

Alex Cameron : C'est beaucoup plus psyché ou garage, ça. Ca pourrait être du King Gizzard, ou un groupe de ce genre.

Roy Molloy : Oui, c'est King Gizzard. Un groupe vraiment cool. Alex Cameron : Ces mecs bossent vraiment dur. On a fait quelques shows avec eux il y a trois ans. Une expérience très bizarre. Ils sont au moins 9 dans le groupe et les gars bossaient sans cesse sur leurs morceaux. J'étais bluffé et très surpris.

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King Gizzard a sorti une grosse dizaine de disques en 6 ou 7 ans.
C'est du délire. Ça ne risque pas de m'arriver, je suis bien trop perfectionniste, notamment sur mes textes. De toute façon, ça n'arrivera pas. Sans leur manquer de respect, King Gizzard ont fait des « Rattlesnake » à la pelle dans leur discographie. Ça simplifie les choses. Moi, j'ai besoin de conceptualiser mes morceaux, de passer beaucoup de temps sur les paroles, qu'elles soient riches… Je ne me vois pas répéter 50 fois le mot « Rattlesnake » dans un morceau par exemple [ Rires].

Quelle est ta conception du songwriting ?
C'est essentiel dans ma démarche. Pour pouvoir écrire un morceau, il faut déjà vivre à côté. Si tu n'as pas d'expériences pour nourrir la bête, comment veux-tu qu'elle existe ? J'écris parce que je vis. Et ça prend du temps. Il faut que ça vienne naturellement. Rien de tout ça ne doit être conscient. Sinon il ne se passe rien. Pour pouvoir écrire, j'ai besoin de vivre, de lire des nouveaux livres, de découvrir de la musique. Et ça peut me prendre un an. Alors le rythme de composition de King Gizzard, c'est de la science-fiction pour moi. Je n'ai rien lu l'année dernière, mais l'année d'avant j'avais lu une quarantaine de bouquins. Roy Molloy : Fais gaffe, je voudrais pas qu'on pense que tu dises que King Gizzard fait de la merde. Alex Cameron : C'est pas le cas. Et « Rattlesnake », c'est pas mal du tout.

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MICHAEL HUTCHENCE – « Rooms For The Memory »

Alex Cameron : Attends, laisse tourner, on va attendre la voix s'il y en a une car l'intro est assez longue.

Roy Molloy : La voix du mec ressemble à celle du chanteur d'INXS. Alex Cameron : Oui, c'est Michael Hutchence !

Une icône australienne. C'est un titre qu'il a fait en solo.
Roy Molloy : La batterie est vraiment cool. Vraiment bon ce morceau.

Il figure sur la bande originale de Dogs In Space, un film de 1986 qui se passe dans la scène punk/synth-punk australienne de la fin des années 1970.
Ok, je ne connaissais pas. Alex Cameron : Jamais vu non plus. Roy Molloy : Je suis toujours étonné qu'on raconte le parcours d'un groupe dans un film. Parce que je ne vois pas du tout le fait de faire de la musique comme une histoire. Le storytelling obligatoire, ça peut être vraiment pénible. On a l'impression que la musique ne se suffit plus à elle-même. Alex Cameron : Je ne lis jamais d'autobiographies ou de biographies de chanteurs. Je me contente d'écouter leur musique. Ça devrait d'ailleurs être suffisant pour tout le monde quand la musique est vraiment bonne. Je préfère lire des fictions pour me nourrir. Je préfère l'âme à l'esprit, si je peux dire. Je peux tout à fait être intéressé par la vie d'un scientifique, d'un homme politique, etc. Mais pas par celle d'un musicien. Roy Molloy : J'ai lu une autobiographie de musicien il y a quelques semaines. C'était si mauvais que je préfère ne pas dire donner le nom du coupable.

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Quels sont les noms intéressants à retenir dans la scène australienne actuelle ?
Alex Cameron : Sans parler de synth-pop, pour commencer je citerai Jake Ladder, un brillant songwriter. C'est quelqu'un d'important, d'un peu plus âgé que nous. Quand il est arrivé, je l'ai découvert sur scène. Ça écrasait tout. Un mec essentiel. Tout comme son guitariste, Kirin J. Callinan, qui bosse aussi en solo et qui parvient à créer avec son instrument des paysages franchement sauvages. C'est effrayant comme ils sont bons. Ils ont tout : l'énergie, la personnalité… Sinon, tu as aussi un mec nommé Lost Animal, un parolier fabuleux.

FLASH AND THE PAN – « Waiting For A Train »

Alex Cameron [au bout d'une seconde] : Je l'ai. C'est Flash and The Pan bien sûr ! « Waiting For A Train » !

Roy Molloy : Un morceau dément. Alex Cameron : J'aime tellement cet album, Headlines. Je l'ai écouté pendant des années. Ce truc me renvoie directement en enfance. C'est complètement dingue. Et cette rythmique, bordel. Cette production est tellement importante dans l'histoire de la musique australienne. Le challenge, c'était de créer en studio des rythmes dingues qu'ils pouvaient reproduire en live et qui garderaient toute leur efficacité.

Contrairement à ce morceau, le saxophone est omniprésent sur Forced Witness.
Roy Molloy : On sait bien que c'est un instrument parfois décrié dans l'histoire de la pop. Alex Cameron : C'est pas du tout risqué de mettre du saxophone sur notre musique. Ça l'est quand tu le fais en pensant plus aux auditeurs qu'au morceau que tu construis. Ce qui n'est pas notre cas. On l'a placé là parce que c'était une évidence. Que ce soit pour les instruments, les arrangements, les morceaux, je raisonne toujours de la même façon. Tout est une question d'état d'esprit. Si je ne sens pas un morceau, je ne le mettrais pas sur l'album. J'ai trop de respect pour ça. Idem pour les instruments. Le saxo doit être naturellement présent, s'imposer sans qu'on s'en rende compte. Sans ça, hors de question de le mettre en évidence. Tout ce qu'on fait est spirituel. C'est une question de présence, d'énergie. Et Roy transmet ça magnifiquement bien à travers son saxophone. ROSE TATOO – « Nice Boys »

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Alex Cameron : Waouh, du rock'n'roll. Roy Molloy : Je sens que je vais trouver… Bon sang. Je connais ce truc !

Alex Cameron : Bonne mélodie, bon morceau, mais je ne vois pas. C'est pas les Sunnyboys, ceux qui avaient fait « Alone With You » ?

Ça y ressemble un peu, mais c'est Rose Tatoo.
Ah oui, je vois ! Attends, mais…Tu te fous de moi ? C'est le groupe d'Angry Anderson. Je déteste ce mec. Roy Molloy : Je refuse d'écouter un autre morceau de ce mec. Et on va arrêter le blindtest de suite, d'ailleurs [ Rires]. Je ne veux pas faire parti d'une interview où le nom d'Angry Anderson apparaît. C'est de la provocation. Alex Cameron : Je devrais sûrement pas dire ça mais Angry Anderson est un putain de cauchemar. Une ordure. Je ne veux pas être associé à ce gars. C'est un raciste. Le genre de type qui abîme l'image de l'Australie. En même temps, c'est important de parler des gens que tu n'aimes pas. Tu ne peux pas ne pas parler de quelqu'un juste parce que c'est une mauvaise personne. Ce mec a une des vidéos les plus atroces et ridicules que j'ai vue sur Youtube depuis sa création. C'est Angry Anderson jouant « Bound For Glory » à la mi-temps d'une finale de foot en 1991 et (sortant son smartphone) je vais te la montrer maintenant. Mate-ça. C'est ridicule. Tout le monde se fout de lui. C'est irréel. Angry « fucking » Anderson qui chante « Bound For Glory » ? Allez, passons au morceau suivant.

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THE EASYBEATS – « Friday On My Mind »

Alex Cameron : Un classique [il se met à chanter]. Tu connais la connexion entre les Easybeats et Flash And The Pan je suppose ? Les Easybeats, c'est Flash And The Pan. Wanda et Young. Des génies.

Ce morceau vient d'un âge d'or de la musique. Et aujourd'hui, on en est où ?
Alex Cameron : Je dirais qu'on vit dans un âge d'or du fake. Ce qui est déjà pas si mal. On vit une époque parfaite pour raconter des histoires. Mais on doit trouver de nouvelles façons d'être magique, d'être spirituels, de se transcender. À l'époque, la meilleure façon de le faire c'était de fumer de la weed, de prendre toutes sortes de drogues. N'importe quel type qui prenait une guitare pour jouer du rock'n'roll passait par les drogues, c'était quasiment l'étape obligatoire. Aujourd'hui on doit trouver autre chose. Et c'est excitant parce qu'on doit le faire sans argent. Il n'y a plus d'oseille dans la musique. On est définitivement plus libres, même si certains voudraient nous mettre de la pression pour faire la musique qu'ils voudraient entendre. On ne les écoute évidemment pas. YOU AM I – « Hourly, Daily »

Alex Cameron : Je ne connais pas You Am I. Mais ça ressemble un peu à Mental As Anything. Ils ont un univers sonique bien à eux et sont super inventifs. Ou alors à The Reels, un groupe incroyable des années 80. Si je devais conseiller un titre de Mental As Anything, ce serait sans hésitation « The Nips Are Getting Bigger ». Et ça, je tiens à ce que ça figure dans l'interview.

Forced Witness sort demain, 8 septembre, sur Secretly Canadian. Lelo Jimmy Batista a écrit l'intro de cet article et demandé à Albert Potiron de s'occuper du blind-test dont ils ont choisi les morceaux ensemble. Ce faisant, ils ont justifié leur salaire chez Noisey, un site dont la principale préoccupation est la musique (mais pas que).