Range Tes Disques : Converge

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Range Tes Disques : Converge

On a demandé à Jacob Bannon, le chanteur du groupe de Boston, de classer les 8 albums de son groupe, de celui qu'il aime le moins à celui qu'il préfère.

Le disque de Converge préféré de Jacob Bannon est celui que vous n'avez pas encore écouté. Quand le chanteur du légendaire groupe hardcore de Boston m'a appelé pour cet entretien, il venait de terminer les dernières prises vocales du prochain, le neuvième. Et quand je vous dis qu'il venait de les terminer, je veux dire par là qu'il était carrément en train de franchir la porte du studio.

« Je suis assez satisfait de ce qu'on est en train de faire » m'a-t-il dit, plutôt avare de détails quant au nouvel album, mais déclarant qu'il avait le sentiment d'avoir franchi une nouvelle étape dans l'évolution constante du groupe. Les gens qui suivent t l'activité de Converge ne devraient pas être surpris par le fait que Bannon est quelqu'un qui va constamment de l'avant. Cela fait presque 30 ans qu'il est à la tête de Converge, un des groupe les plus importants et novateurs de sa catégorie, qui s'emploie à brouiller les frontières entre hardcore, metal, punk, et tous les divers sous-genres qui les constituent. Durant ces trois décennies, il a également connu le succès dans d'autres domaines. Ses visuels ornent de nombreuses pochettes de disques et les murs de plusieurs galeries. Son label Deathwish Inc. s'est imposé comme une référence absolue ces dernières années. Et il a déjà sorti deux albums cette année avec son autre groupe, Wear Your Wounds.

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« J'essaie d'obtenir à chaque fois le meilleur résultat possible », m'explique-t-il. « Je sais que je ne suis pas le meilleur chanteur. Je sais que je ne suis pas le meilleur screamer. Je m'en tape. On parle d'émotions. J'essaie de donner le meilleur de moi-même. » C'est ce mélange de modestie, d'honnêteté et de conscience de soi qui caractérise toutes les réponses de Bannon. Il sait que, techniquement, il n'est effectivement pas le meilleur chanteur du monde, mais il a fait de ces limites une force. « Ce sont les tonnes de cicatrices que je porte et les souffrances que j'ai pu vivre qui font sonner ma voix comme ça, et je ne vais pas m'en excuser, ou y changer quoique ce soit. »

Bannon cherche constamment à trouver de nouvelles façons de s'exprimer, quel que soit le médium qu'il ait choisi d'utiliser. Voilà pourquoi, lorsqu'on lui a demandé de classer la discographie de Converge, il a choisi de le faire dans l'ordre chronologique. « Nos enregistrements les plus récents sont, de fait, la représentation la plus précise et la plus fidèle de ce que nous sommes, en tant que groupe », explique-t-il. Quoi qu'il ait pu finir d'enregistrer le jour où nous nous sommes parlés, ça aurait pu figurer en tête de liste. Mais cet après-midi-là, nous nous sommes tournés vers le passé, pour explorer la discographie de Converge et discuter de la perception qu'il en a aujourd'hui. Ou du moins, de celle qu'il en avait à ce moment précis.

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8. Halo In A Haystack (1994)

Noisey : Pour beaucoup de groupes de hardcore, le premier ou le deuxième disque sont souvent ceux vers lesquels les gens reviennent le plus, ce qui peut malheureusement éclipser le reste de leur discographie. Ce n'est pas vraiment le cas pour Converge.
Jacob Bannon : Non, et ça a beaucoup à voir avec l'âge qu'on avait au moment où on a composé ces morceaux. On était littéralement des gamins. On entrait tout juste dans l'adolescence et on essayait de créer un truc. C'est un moment qu'on connaît assez mal en musique. Je veux dire par là qu'il est très peu documenté. La plupart des groupes sont jeunes quand ils commencent, ils ont globalement autour de 20 ans. Mais nous, on a fait ce disque alors qu'on avait entre 15 et 18 ans. On était encore au lycée. Je crois qu'on avait de bonnes intentions et on mettait beaucoup d'émotion dans ces chansons, mais on était encore en train de découvrir qui on était et comment on allait pouvoir fonctionner tous ensemble.

Et puis, il faut se souvenir d'un truc, c'est que le premier groupe que tu fais, en général, tu le fais avec des gens du coin. Soit bien avant que ton cercle social et créatif ne s'élargisse. Avant 21 ans, je n'avais même pas le permis. Je ne pouvais pas bouger pour rencontrer des gens. Donc on jouait avec les gens qui étaient là. Ceci étant dit, c'est comme ça qu'on a dégoté notre premier batteur et notre premier bassiste. On kiffait le skate, le BMX, le punk, le hardcore, le metal, et tu te retrouves tout simplement à jouer avec ces gens-là.

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L'album me rappelle cette époque, ce moment où on essayait de comprendre qui on était et ce qu'on allait devenir. Il faut aussi se rappeler que ce n'était que les débuts de ce genre de musique. Les genres de base existaient déjà. Il y avait des groupes de metal, des groupes de death metal, des groupes de thrash ; mais même le death metal, c'était un truc encore assez nouveau à l'époque. Aujourd'hui, les gens considèrent cette époque comme l'âge d'or du genre. Mais le hardcore n'avait rien à voir avec le hardcore metal qu'on écoute aujourd'hui. Le metalcore n'existait pas. Le mélange chant/hurlements, ça n'existait quasiment pas.

Et chaque nouveau disque qui sortait donnait presque naissance à un nouveau sous-genre.
Ouais, et ce n'était pas du tout fait dans le but de plaire, de décrocher un hit ou je ne sais quoi. Aujourd'hui, les morceaux de metalcore sont traités comme des pop songs : le son est ultra-produit, les titres édités à l'extrême, les voix filtrées à l'auto-tune, etc. Nous, on s'inspirait des groupes qu'on aimait, comme Born Against, Moss Icon, Universal Order Of Armageddon, ou des groupes comme Heroin ou Mohinder, bref, des trucs plutôt déséquilibrés et imprévisibles. La voix du chanteur pouvait se briser, c'était comme ça, parce qu'il n'y avait pas de possibilité de la retravailler sur logiciel ou de l'éditer. Tout ça est arrivé plus tard. Tu faisais ton disque en un jour ou deux, et c'était plié. C'était le côté brut de l'époque, c'était comme ça.

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Il n'y avait personne autour de nous qui faisait la même chose, à l'époque. Le truc le plus proche de ce qu'on faisait, c'était des groupes comme Overcast, avec qui on était amis, et avec qui on l'est toujours aujourd'hui. Ils faisaient un truc plus tourné vers le metal que nous. On avait juste des influences différentes.

À cette époque, Converge n'entrait vraiment pas dans le moule de ce qui se faisait en hardcore. Est-ce que c'était frustrant, ou est-ce qu'au contraire, vous en tiriez parti ?
En fait, on considère qu'on n'est toujours pas dans le moule aujourd'hui. On est assez conscients de ce qu'il se passe dans le reste de la scène de la musique agressive. On sait qu'on est complètement à part. On n'a jamais essayé de copier un style particulier. Même quand on jouait à 5 et qu'Aaron Dalbec [de Bane] était dans le groupe, Aaron était plutôt du genre hardcore straight edge. Il aimait beaucoup plus les trucs mélodiques qui se faisaient à l'époque. Il écoutait Drive Like Jehu. Il n'écoutait pas ces trucs noise-rock qu'on commençait à kiffer avec Kurt [Ballou, guitariste de Converge], ou les trucs de Washington D.C. qui nous obsédaient. On avait donc un mec qui jouait les mêmes morceaux, mais amenait un point de vue entièrement différent sur ces morceaux. Et tu peux presque entendre ça sur le disque. Ça ne sonne comme rien d'autre, parce qu'on venait tous de mondes différents.

7. Petitioning The Empty Sky (1996)

Celui-là est intéressant parce que c'est un mélange de plusieurs enregistrements différents et qu'on commence à sentir que le son du groupe est en train de se mettre en place.
On était encore des gamins, mais on commençait aussi à être un peu plus que ça. Je me souviens quand j'ai écrit « The Saddest Day » dans l'espèce de chambre universitaire de Kurt, à la fac de Boston. Je me rappelle qu'il avait une énorme salle de bain, cet espèce de studio chelou, et je me souviens qu'il me montrait les idées et les bases de riffs qu'il avait. Je crois qu'on commençait à être à l'aise avec ce qu'on faisait.

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Pour ce qui est de l'album, à l'époque on réfléchissait uniquement en terme de 45 tours. On écrivait juste des chansons, et puis on se disait « Bon, on les enregistre ? » On ne pensait pas en terme d'albums. Tout simplement parce que ce n'était pas encore dans nos cordes. En fait, c'est Equal Vision qui a eu l'idée de rassembler tous les EPs et d'en faire une espèce de compilation. Et même si les gens considèrent ce disque comme un album à part entière, techniquement c'est une compilation. Quand je l'écoute, j'entends toujours les sessions séparées. Mais j'ai de bons souvenirs de tous ces enregistrements. Je me souviens de l'enregistrement des voix pour le 45 tours Petitioning The Empty Sky avec Brian McTernan [producteur et chanteur de Battery], à deux heures du mat', dans son vieux studio de Watertown, dans le Massachusetts, et c'est une des premières fois où je me suis senti vraiment satisfait de ce que j'avais fait. C'était dingue, hyper intense. Tous ces bruits sauvages, tous ces trucs que je cherchais à faire, j'avais enfin réussi. Ça a pris du temps pour en arriver là, tu sais ? Je me rappelle que j'étais vraiment content, à vélo sur le chemin du retour, à me dire qu'on avait créé un truc spécial. Je ne me posais pas vraiment la question de savoir si ça aurait un impact sur les gens, si ça plairait ou si ça leur parlerait. Et c'est toujours le cas. Mais j'aime bien ces chansons.

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Certaines d'entre elles, comme « The Saddest Day », apparaissent encore de temps à autres dans vos sets live. Même si elles appartiennent au début de votre carrière, elles semblent toujours recevoir un accueil plutôt positif.
C'est intéressant. Ça fait un bon moment que le groupe existe, et avec le temps, les morceaux vieillissent. Pour moi, l'album Jane Doe est assez vieux, aussi. On l'a fait en 2001, ça va faire 16 ans, ce n'est pas rien. Je veux dire, je me considère vraiment chanceux que les gens se soient sentis concernés par ce que fait le groupe, et l'art qu'on crée ensemble. Il existe tellement de groupes, de sons, de trucs que les gens peuvent écouter, digérer, et le fait qu'ils nous accordent, à nous – cet espèce de groupe noise hardcore – un peu de temps dans leurs vies, qu'ils s'identifient à ces émotions ou à cette musique, c'est inroyablement positif pour nous. Ça l'a toujours été, et ça le sera toujours. Je suis vraiment reconnaissant pour tout ça.

En ce qui concerne ces chansons en particulier, je pense qu'il y a des moments vraiment cool. Je pense vraiment qu'il y a aussi de bons moments dans les sessions Unloved And Weeded Out, qu'on avait enregistrées avant ça, qu'on a rassemblées et transformées en un espèce d'album. Les morceaux commençaient à être cohérents, moins disparates. On apprenait à composer, tout simplement. Quand on était plus jeunes, on ne pensait pas vraiment aux transitions. On écrivait un riff et on se disait « Mortel, ce riff ! Et en voilà un autre, dans la même tonalité, qui rentre à peu près dans la même mesure, essayons de voir si ils marchent ensemble. » On se contentait d'assembler des éléments. J'appelle ça le songwriting queue-leu-leu. On entend ça chez énormément de groupes, encore aujourd'hui. Les groupes qui ajoutent une partie, à une partie, à une partie. Parfois, ça finit par devenir vraiment fragmenté. Durant ces 15 dernières années, on s'est longuement appliqués à ne pas faire ça. Nos morceaux peuvent être excessifs et un peu fous parfois, mais ils n'ont pas ce côté fragmenté. Ça arrive de temps à autres, mais à l'époque, c'était vraiment courant. Je l'entends quand j'écoute ces chansons, mais je nous entends aussi commencer à nous détacher de ça. Surtout sur les trucs de Unloved And Weeded Out, où les choses étaient plus abouties quand on a finalement décidé de les enregistrer.

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6. When Forever Comes Crashing (1998)

Avant qu'on commence l'interview, tu m'as dit qu'il s'agissait, pour toi, du premier véritable album de Converge. Pourquoi ?
Quand on l'a écrit, on n'avait plus de label. Et aucun label ne voulait de nous. Et on s'en foutait. Mais à l'époque, ce n'était pas aussi facile qu'aujourd'hui. Tu peux aussi exister de manière très indépendante, de nos jours. À l'époque, c'était plus difficile - il fallait que ta musique soit accessible au public, qu'on trouve tes disques chez les disquaires, des trucs comme ça. Et ça, c'est ce qu'on voulait. On voulait pouvoir tourner, on voulait juste pouvoir exister, et il nous fallait un label pour ça. Steve Reddy [le boss de Equal Vision] nous a vu jouer dans l'ouest du Massachusetts et il nous a dit qu'il n'avait jamais vu ni entendu un truc pareil. Il nous a dit qu'il avait vu tous ces geeks à lunettes se sauter dessus sur scène, et qu'il n'avait jamais vu un truc aussi agressif joué par des types comme nous. Il était habitué à la mentalité et à l'attitude traditionnelle du New York Hardcore, plus stéréotypées et machos, qui différait complètement des nôtres. On était juste différents. À l'époque, quand il a fini par nous signer, c'était l'album qu'on espérait faire. La sortie de Petitioning, ça a été un joli bonus en plus pour eux, mais pour nous, le vrai premier album, ça a été When Forever Comes Crashing. On a eu le sentiment qu'on faisait un vrai album. On ne s'est pas mis de pression pour l'écrire, mais on a fait plus d'efforts pour enregistrer quelque chose de cohérent. C'était très différent. Vraiment très différent.

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Tu as parlé du décalage entre votre musique et votre image. Un phénomène qu'on constate également avec la pochette de l'album, qui ressemble beaucoup plus à celle d'un disque de grindcore. Ce parti-pris esthétique, c'était important pour vous ?
Ça a toujours occupé une place énorme. On aime les groupes qui développent une esthétique cohérente sur la durée. Même si elle peut évoluer et se transformer, on voulait qu'elle forme un ensemble homogène, de A à Z. Et aujourd'hui, je m'occupe du design de plein de choses, et j'assure une grosse part des visuels du groupe, mais on continue à bosser avec beaucoup d'artistes et d'illustrateurs extérieurs. Mais ça doit toujours rester cohérent. On ne veut pas donner l'impression que le groupe essaie de se réinventer ou je ne sais quoi. Beaucoup de groupes changent de logo en cours de route, par exemple. Parce qu'ils ne sont eux-mêmes pas convaincus par ce qu'ils font. Tu peux le faire évoluer, mais il faut que ça reste cohérent. Pas comme Metallica, qui ont fini par découper le leur en morceaux et faire n'importe quoi avec. Le visuel de l'album Petitioning ne ressemble pas à celui de Jane Doe, mais tu peux suivre le cheminement qui mène de l'un à l'autre. Je suis actuellement en train de bosser sur les visuels du nouvel album et je sens une continuation avec le précédent. J'attends d'un groupe qu'il raconte une histoire à la fois sur le plan musical et sur le plan graphique.

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5. Jane Doe (2001)

Jane Doe est généralement considéré comme l'album le plus emblématique du groupe. C'est un disque assez personnel pour toi…
Il me semble important d'expliquer que ce disque n'est pas plus personnel que n'importe quel autre. Beaucoup du sens qu'on lui prête vient du ressenti des gens qui l'écoutent – et ça ne me pose aucun problème. La musique, c'est subjectif, et une fois que tu la laisses filer, elle ne t'appartient plus et les gens peuvent y accorder de l'importance, ou l'ignorer. Mais notre approche de la composition, et mon approche dans la rédaction des textes, ça a toujours été d'écrire des chansons personnelles, et de parler de choses de ma vie, que ça soit de manière détaillée, ou métaphorique. Je faisais déjà ça sur Halo In A Haystack, quand j'étais gamin. Ça n'a pas changé. Je pense que sur Jane, l'approche est plus subtile. Et l'ensemble est cohérent. Peut-être que les autres disques le sont un petit peu moins, je ne sais pas.

À quel moment avez vous réalisé que ce disque touchait à ce point les gens ? Dans mes souvenirs, ce n'était pas un disque particulièrement attendu.
Ça nous fait toujours un peu marrer à chaque fois, mais j'ai encore le gros dossier de presse que m'avait donné la boîte qui avait géré la promo de l'album. Il y a des centaines et des centaines de reviews, et je dirais que 60 à 70 % d'entre elles sont horribles, ce qui est plutôt drôle. La plupart des gens qui rédigeaient ces critiques étaient confrontés à cette musique pour la première fois. Même dans notre créneau, on sonnait très différemment des autres groupes. Il y avait des groupes avec lesquels on partageait certains points communs, certaines sonorités, comme The Dillinger Escape Plan, Botch ou le Cave-In des débuts, mais tous étaient très différents, chacun avait son truc à lui. Aucune des chroniques ne citait Rorschach, Born Against, Starkweather ou The Accused. Les journalistes ne comprenaient pas ce qu'ils entendaient, et ils le rejetaient en bloc, genre « qu'est-ce que c'est ce putain de truc ? »

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Dans la scène death metal, les gens nous regardaient en disant : « Vous n'avez pas les cheveux longs et les parties vocales sont incompréhensibles ». Et les mecs du hardcore disaient : « C'est pas du hardcore. » Et dans la scène punk, on nous disait que les morceaux étaient trop techniques pour être considérés comme du punk, et qu'il n'y avait pas de contenu socio-politique, donc qu'on n'était pas non plus un groupe punk. On s'est toujours fait refouler de partout – et c'est encore le cas aujourd'hui.

Je me souviens quand j'ai terminé l'artwork de l'album, je l'ai soumis à Equal Vision et ils m'ont répondu : « Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Les paroles sont illisibles. » Et je leur ai répondu : « C'est volontaire. J'ai essayé de donner une représentation visuelle de l'émotion qui se dégage des morceaux. Ils sont tous parcourus par une énergie assez frénétique, donc j'ai fait une typographie avec beaucoup de mouvement, qui n'est pas forcément toujours lisible. On ne comprend pas toujours ce que je chante, j'ai donc voulu appliquer le même traitement aux visuels. » Et ils n'ont pas compris. Il a vraiment fallu se battre pour conserver cet artwork. Ils n'en voulaient pas.

Wow.
Ils étaient 100 % contre. Et je le comprends. Je ne m'attends pas à ce que tout le monde comprenne, et je ne suis pas en train de dire qu'on est des génies dans notre domaine ou quoi. Mais quand tu abordes les choses sous un angle que les gens en charge de la promo ou de la distribution ne comprennent pas, ils sont susceptibles de le rejeter. C'est comme si tu leur parlais dans une autre langue. C'est quand on a fait ce disque que j'ai commencé à réaliser qu'on était peut-être un peu trop différents pour bosser avec ce label. On était libérés de nos obligations envers eux. L'entente était bonne - c'est juste qu'on prenait une autre direction.

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Vous avez fini par signer chez Epitaph, avec qui vous travaillez depuis plus de 10 ans. Mais le line-up du groupe a changé, Aaron Dalbec a quitté le groupe après la sortie du disque.
On a décidé que le dernier concert d'Aaron avec le groupe serait… Enfin, ça a été une combinaison de deux concerts, qu'on a fait à 3 semaines d'intervalle. On a fait un concert sous le nom de Jane Doe, on jouait avec Isis, au Middle East. On ne l'avait pas vraiment annoncé, dans la mesure où les gens ne connaissaient pas encore le nom de l'album, et qu'on avait juste envie de jouer ces morceaux en live. Ça a été marrant, parce qu'on avait jamais fait ça avant. Mais notre force commune avait en quelque sorte été affectée par la création du disque. Ça nous a encore plus soudés - tous, sauf Aaron qui était occupé par beaucoup d'autres choses, notamment Bane. On a réalisé pendant l'enregistrement qu'on était en train de prendre des chemins différents. On était de plus en plus proches dans notre façon de jouer, dans ce qu'on attendait les uns des autres, mais lui n'était simplement pas aussi présent qu'on l'espérait. Voilà pourquoi on a préféré se séparer. On s'est fixé un rendez-vous environ une semaine après ça, et on a décidé que le dernier concert qu'il ferait avec nous serait la release party de Jane Doe. C'est dommage, parce qu'Aaron est quelqu'un de super important dans le parcours du groupe, je l'apprécie beaucoup en tant que personne, mais nos rapports n'ont jamais vraiment été les mêmes par la suite. On est toujours amis, mais c'est dur. C'est émotionnellement intense de demander à quelqu'un de partir, même en sachant que c'est dans ton intérêt. Et je le pense encore. Ça lui a permis de se concentrer vraiment sur sa passion, qui était Bane, et pas notre groupe.

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Vous vous êtes demandés comment vous alliez pouvoir aller de l'avant, étant donné que vous sortiez un nouvel album et que vous passiez sans transition d'un groupe à deux guitares à une seule ?
On n'avait pas le choix. On avait booké une tournée qui devait commencer une semaine plus tard. On partait avec Playing Enemy et ça a été notre première tournée à 4. On n'était pas sûrs de ce qu'on allait faire. Je me souviens la première fois qu'on a joué, c'était assez excitant. On a joué avec un set-up prévu pour deux guitares, comme aujourd'hui, parce qu'il y a des façons de faire pour que ça ne sonne pas « vide ». Je pense que depuis, on a fini par maîtriser cette approche, mais à l'époque, c'était tout nouveau pour nous. On a relevé le challenge et ça a insufflé une nouvelle vie au groupe, exactement comme quand Ben [Koller, batteur] est arrivé.

4. You Fail Me (2004)

C'est le vrai début de l'époque moderne de Converge. D'après ce que j'ai compris, celui-ci est sorti avec pas mal de retard.
Ça n'avait pas vraiment de lien avec le processus créatif. On était hyper-concentrés sur les compositions et l'enregistrement s'est fait assez rapidement. On était pressés par le temps, pour différentes raisons, mais le problème qui a fait traîner les choses aussi longtemps, ça a été un différend avec Equal Vision. Ils estimaient qu'on n'avait pas rempli nos obligations envers eux et qu'on leur devait encore un album. On avait signé un contrat pour deux albums à l'époque, avec une option sur un album supplémentaire. Et, je le rappelle, on était des gamins quand on avait signé ça. On avait la petite vingtaine. Bon, ce n'est pas une excuse, vu qu'on l'avait fait relire par un avocat – mais on était un peu trop excités. Et pour le label, Petitioning The Empty Sky n'était pas un album, il ne comptait donc pas comme une sortie. Je comprends leur point de vue, mais on ne pouvait plus continuer avec eux. Ils ne comprenaient plus ce qu'on faisait, il était donc temps de partir.

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À l'époque, Epitaph était avant tout connu pour être un label de pop punk. C'était le label d'Offspring, de Bad Religion, de Rancid et de tous les groupes de la planète qui jouaient cette musique. Mais ils commençaient à élargir leur spectre, à se diversifier et ils avaient beaucoup de respect pour notre indépendance et notre côté unique. Ils n'ont pas cherché à nous mettre sur le même plan que les autres jeunes groupes qu'ils signaient à ce moment-là, des groupes qui avaient le look de Mötley Crüe, mais qui sonnaient pop-punk. Ils savaient qu'on avait notre propre truc, et ils le respectaient. Ils l'ont toujours respecté.

3. No Heroes (2006)

Si You Fail Me est un peu plus ambient, celui-ci marquait un retour à un son plus extrême.
Il est plus metal, c'est clair. Je le vois comme le résultat d'une évolution naturelle, et il contient certaines chansons qu'on avait commencé à bosser à l'époque de You Fail Me. Je crois que « Bare My Teeth » fait partie de ces chansons dont les éléments traînaient depuis un moment. Comme beaucoup de groupes, on est toujours plus ou moins en train d'écrire. On a toujours une « banque de riffs », un fichier où on met toutes nos idées laissées en plan. Certaines d'entre elles ont fini sur No Heroes. Je crois aussi que Kurt devenait plus confiant, en tant qu'ingé-son. C'était la première fois où il enregistrait et mixait intégralement un album de Converge. Il avait repris le mix de You Fail Me en cours de route, mais on était très pressés par le temps parce que le label avait fixé une deadline, et qu'on avait plein de trucs prévus autour de ça. En plus, il y avait eu plusieurs coupures de courant au studio de Kurt pendant qu'on mixait. C'était l'enfer, parce qu'à chaque fois, il fallait tout arrêter et revenir le lendemain pour tout recommencer.

Sur No Heroes, Kurt voulait vraiment aller au bout du truc, et j'ai le sentiment qu'il a réussi. Faire ce disque a vraiment été un plaisir pour moi, c'était vraiment épanouissant, et je suis assez content du résultat.

  1. Axe To Fall (2009)

Axe To Fall contient beaucoup plus de collaborations que les disques précédents. On y croise Stephen Brodsky, Steve Von Till de Neurosis ou Genghis Tron au complet - il y a beaucoup plus d'apports extérieurs. Qu'est-ce qui vous a poussé à intégrer plus de gens sur celui-ci ?
Ça peut être assez éprouvant de tout faire soi-même. Kurt peut avoir une idée de morceau ou entendre un style de chant particulier qui peut coller avec ce qu'on fait, ou alors on va croiser quelqu'un en tournée qui aura envie de bosser avec nous. On s'est juste dit que ça serait cool de partir là-dessus et de faire bosser un certain nombre de gens sur ces morceaux avec nous. Après, ce n'est pas vraiment un disque collaboratif. On a enregistré tous les morceaux, et c'est ensuite qu'on a su quelles parties on voulait faire faire par les autres. L'implication de tous ces gens étaient donc assez limitée. Je crois que le seul morceau qui a vraiment ce côté collaboratif, c'est « Wretched World », sur lequel Genghis Tron jouent avec nous – et il y a vraiment tous les membres de Gengis Tron. C'était un groupe extrêmement talentueux, vraiment spécial, et travailler avec eux sur un morceau comme celui-là a été vraiment marrant.

En ce qui concerne les autres invités, Steve Von Till est brillant. C'est quelqu'un que j'ai toujours admiré, depuis que je suis ado. Qu'il propose de travailler avec nous sur un morceau a été incroyable. Tous les autres chanteurs invités sur ce disque ont été incroyables, et ont chacun ajouté leur propre couleur. On voulait juste prendre du plaisir, et je crois que ça s'entend.

1. All We Love We Leave Behind (2012)

Comment est-ce que tu fais pour trouver sans cesse de nouveaux moyens de pousser Converge en avant, d'explorer de nouveaux territoires ?
Eh bien, la vie est complexe, non ? Je ne sais pas toi, mais en vieillissant, elle ne m'a pas apporté plus de réponses, ni plus de paix. Ma vie a évolué, dans différentes directions. Je m'efforce de mener une vie aussi positive que possible. Ceci étant dit, il demeure encore une grande part d'ombre. Beaucoup de choses complexes sur lesquelles je dois travailler. Je pense que tout le monde est confronté à ça, pas seulement les personnes créatives. Étant dans une position privilégiée, au sein d'un groupe agressif, intense, avec une grosse charge émotionnelle, je peux faire quelque chose de cette émotion, de ce bagage, de toutes ces choses dans ma vie qui ne sont pas réglées. Je continue à faire un travail sur tout ça, au travers de mes chansons. Pour moi, ça a été un truc tellement positif de pouvoir faire ça, et je pense pouvoir dire que c'est le cas de beaucoup de gens que je connais qui jouent dans des groupes. Ils utilisent leur groupe comme une porte de sortie. C'est aussi ma porte de sortie. J'ai 40 ans maintenant, et ma vie est très différente de ce qu'elle était quand j'en avais 20. Mais, pour le meilleur et pour le pire, je dois continuer à faire face aux mêmes problèmes que quand j'avais 12 ou 10 ans. Le même poids des émotions, certaines choses qui ne sont pas totalement réglées. Et je m'échappe de tout ça grâce aux chansons, et je suis vraiment reconnaissant d'avoir cette opportunité.

L'accueil de ce disque a été incroyablement positif, ce qui montre que vous comptez toujours beaucoup pour les gens, même des années après un album aussi majeur que Jane Doe. Est-ce que ça a un effet libérateur, de savoir que les gens seront derrière Converge jusqu'au bout ?
Faire de la musique est vraiment un truc égoïste, et faire de l'art est vraiment un truc égoïste. La seule chose à laquelle je pense dans mes activités artistiques - et c'est sûrement le bon moment pour en parler, vu que je viens de finir les prises voix de notre nouvel album aujourd'hui - la seule chose qui a vraiment compté là-dedans, c'est de saisir l'émotion et l'intention de mes textes. J'ai le sentiment de ne faire qu'un avec eux. Je n'essaie pas de faire un morceau heavy pour sonner heavy, ou un morceau violent pour sonner violent. J'essaie juste de rendre l'émotion contenue dans les mots écrits. Quand j'écris, je suis honnête. Je ne suis pas là à me dire « Hmm, il faut que j'écrive une chanson aujourd'hui. De quoi ça va parler ? » J'écris quand j'en ressens l'envie, et c'est quand on commence à mettre en place un morceau que je commence à me demander quels textes peuvent coller avec ce qui se dégage de la partie instrumentale. Ce qui fait qu'au moment d'enregistrer, je suis en pleine possession de mes moyens, en totale confiance.

Je suis perfectionniste. Je joue dans ce groupe depuis très longtemps. Je n'ai pas envie de me dire : « OK, cool. J'ai gueulé un bon coup, c'était pas mal. » Je ne suis pas en train de dire que ce que je fais est parfait, loin de là. Nous avons tous nos défauts, et ça explique pourquoi on sonne comme ça. Les artistes essayent tous de prendre de la distance avec ce qu'ils font, parce que le résultat de ton travail ne correspond jamais à l'intention initiale. Tu as une vision en tête, et à l'arrivée, ça ne correspond jamais à ce que tu avais prévu de faire. Mais c'est ça qui est si particulier. Tant qu'on continuera à fonctionner dans cet état d'esprit, et qu'on continuera à faire des choses qui nous poussent dans cette direction, je serai heureux.

David Anthony est sur Twitter.