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On a rencontré l’un des créateurs des robots-journalistes du « Monde »

Le week-end dernier, à l'occasion des élections départementales, ces engins d'un nouveau genre ont pondu 36 000 articles en une nuit.

Image d'illustration

Dimanche dernier, alors que 51 % des Français inscrits sur les listes électorales venaient d'accomplir leur devoir de citoyen, cinq robots-journalistes embauchés par Le Monde pondaient 36 000 articles peu ou prou les mêmes présentant les résultats dans chaque canton ou ville du pays.

En charge de cette prouesse, la société Syllabs et sa marque data2content, qui s'est spécialisée dans l'analyse et la rédaction automatique d'articles et de textes. Si cette révolution des machines avait déjà causé quelques vagues l'année dernière, alors que Buzzfeed et Associated Press faisaient leurs premiers pas vers l'automatisation de leurs articles, elles ont cette fois accompli un boulot d'une ampleur qui semblait encore inédite.

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Nous avons posé quelques questions à Claude de Loupy, co-fondateur de Syllabs, pour qu'il nous explique le pourquoi du comment de ce procédé et pour savoir quelles étaient les chances que je me fasse voler mon boulot par un ordinateur dans un futur proche.

Article de Syllabs sur le résultat des élections dans la commune d'Eu (Seine-Maritime)

VICE : Dans combien de temps les journalistes risquent d'être remplacés par des robots ?
Claude de Loupy : C'est une question intéressante. Un des problèmes que soulèvent régulièrement les articles sur le sujet, c'est : les journalistes vont-ils disparaître, remplacés par des robots ? Clairement, non, parce que les robots ne sont pas journalistes. Je comprends néanmoins la suspicion et la peur qui peuvent découler d'une telle interrogation, mais la question qu'il faut se poser est : de quoi sont capables les robots ? Selon moi, dans un journal papier, un robot est capable de s'occuper seulement de la rubrique météo.

Comment le projet avec Le Monde a-t-il été mis en place ?
Nous avons travaillé dessus depuis décembre, en collaboration avec Luc Bronner, directeur adjoint des rédactions du Monde. Il y a quelques jours, il a écrit un article sur le sujet sur le blog Back Office pour répondre à tous les commentaires des réseaux sociaux affirmant que Le Monde avait traité les élections avec un robot alors que 70 journalistes se trouvaient sur le terrain. Samuel Laurent des Décodeurs était également impliqué, ainsi que d'autres personnes au niveau de la technique et de la gestion du projet.

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Comment s'est passé le processus ?
Le Monde nous a fourni toutes les données nécessaires – à savoir les caractéristiques de chaque canton et municipalité, les données INSEE et celles du ministère de l'Intérieur. Le robot n'intervient qu'au moment de transformer des datas en textes. Ce ne sont pas des textes à trous, contrairement à ce que certains articles ont affirmé. Il y a des changements de syntaxe et de vocabulaire. Par exemple, quand le robot reçoit les données d'une municipalité et qu'il y a une triangulaire, il va employer les formulations liées à ce cas précis. Et dans cette formulation, il ne s'agit pas de choisir entre plusieurs phrases exprimant la même chose, mais plutôt de combiner des segments de phrases de manière aléatoire.

Robert Redford dans le film Les Hommes du président de Alan J. Pakula

Selon vous, quelles sont les prochaines évolutions plausibles dans ce domaine ?
La prochaine évolution sera une acceptation de la société sur le fait que les robots nous apporteront beaucoup. Les robots peuvent faire énormément de choses, de manière très bien.

Et d'un point de vue technologique ?
Il y a des progressions qui peuvent être faites, notamment dans la narration des textes – actuellement, elle est relativement simple. On peut créer des robots qui vont prendre des données complexes et qui sortiront des textes qui n'auront pas une profondeur d'analyse plus grande mais qui pourront présenter davantage de choses, comme des corrélations. L'idée est d'arriver à donner un peu plus de rythme et de caractère aux textes et de rendre ce qu'on fait actuellement un petit peu plus vivant. Le reste relève du fantasme. On n'a pas « cracké » le fonctionnement du cerveau et on en est très loin.

Avez-vous été contacté par d'autres médias français ?
Oui, ils sont très intéressés. Il y a eu une très forte évolution dans les mentalités des médias, même s'il y a toujours une certaine méfiance. Il est pourtant absurde de dire que les robots vont prendre la place des journalistes. En réalité, si vous ne mettez pas de robots, les entreprises médiatiques risquent de s'effondrer. Les Américains arrivent avec des méthodes automatisées qui marchent très bien. Il y a déjà Buzzfeed en France, le Huffington Post… Ils représentent cette nouvelle génération de médias américains qui ont une vision beaucoup plus moderne de l'idée journalistique. La différence de langue nous protège encore un peu, mais c'est une barrière assez faible.

@GendarmeFred