Haltérophile du dimanche et paysage incendié : la France a trouvé son meilleur photozine

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Culture

Haltérophile du dimanche et paysage incendié : la France a trouvé son meilleur photozine

Les deux créateurs de « Tell Mum Everything is OK » nous ont expliqué comment on pouvait réussir dans l'art sans avoir l'ombre d'une thune.

Dana Lixenberg, Nu Nu, 2009, from "Imperial Courts", 1993-2015. Toutes les photos sont tirées du sixième numéro de Tell Mum Everything is OK.

L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique a-t-elle perdu son aura ? Selon Walter Benjamin, oui – effrayé qu'il était à l'idée que l' ici et maintenant disparaisse à jamais dans un vaste océan de reproductions désincarnées et de consommation assumée de produits culturels. Aujourd'hui, il est vrai que tout est art, et plus rien n'est sacré. On avale les séries, dévore les musées, parcourt les expositions et collectionne les revues. Et c'est à peu près tout.

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La photographie n'est pas en reste, tant elle devient omniprésente au sein des champs médiatique et culturel. Quoi de plus banal qu'une visite à la Maison européenne de la photographie, quoi de plus éphémère qu'une indignation à la vue d'un enfant syrien mort sur une plage ? L'image est là, devant nous, disponible sans peine, consultable à l'infini.

Alors, qu'est-ce qui différencie la masse informe de l'œuvre unique ? Difficile à déterminer. Subjectivement, je pourrais dire que l'œuvre unique fait 20 centimètres sur 27, compte 100 pages, et qu'elle n'est en fait pas unique au sens originel du terme car elle a été éditée à 1 000 exemplaires. Le sixième volume de Tell Mum Everything is OK, projet photographique créé par Maxime Milanesi et Claire Schvartz, est en tout cas la preuve qu'en France, on n'a toujours pas de pétrole, plus aucune idée, mais des éditeurs et des artistes plutôt convenables. Je les ai rencontrés afin d'en savoir plus sur la difficulté de donner naissance à un photozine élégant quand on n'a pas d'argent.

Rinko Kawauchi, Untitled, from "Ametsuchi", 2012

VICE : Salut Claire, Maxime. Tout d'abord, pouvez-vous me dire d'où vous est venue l'idée d'un photozine ?
Claire : On est tous les deux originaires de Rennes et on se connaît depuis le lycée. Notre intérêt pour les magazines et l'édition remonte à cette époque-là. Un magazine nommé L'œil électrique proposait à ses lecteurs d'être acteurs de la revue en envoyant des textes, photos ou reportages. Le concept nous plaisait bien.

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Maxime : Je pense qu'on a toujours été curieux de ce qui se faisait en photographie. L'idée de publier des travaux s'est assez vite imposée. En 2007, il n'y avait presque pas de magazines indé consacrés à la photographie.

Claire : En fait, on ne trouvait pas notre bonheur dans les photozines trop « amateurs », souvent mal conçus ou mal imprimés.

Maxime : C'est justement à cette époque qu'on a découvert le photozine « Je Suis Une Bande de Jeunes », au Monte-en-l'air – une librairie parisienne. Ce zine, trouvé un peu par hasard, représentait vraiment ce qu'on voulait faire. Une publication sans prétention, au tirage limité, avec des travaux peu vus pour l'époque et surtout très éloignés des canons de la presse spécialisée.

C'est à ce moment-là que l'on a décidé de monter notre propre maison d'édition – FP&CF – afin de donner naissance à Tell Mum Everything is OK. On a obtenu une subvention de quelques centaines d'euros du Ministère de la Jeunesse, qu'on a complétée avec notre propre argent afin de publier le premier numéro à 150 exemplaires.

Yoav Friedländer, Manhattan, Forest Park, New York, 2013

Comment avez-vous créé ce premier numéro ?
Maxime : On a lancé un appel à participer via Flickr, et ça a fonctionné. Le numéro s'est bien vendu, ce qui nous a permis d'en créer un deuxième, et de plancher sur de nouveaux projets – dont des fanzines d'illustrations, comme le Ebenezer avec Hector de la Vallée.

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Entre 2008 et 2011, on a beaucoup bossé – on a créé cinq numéros de Tell Mum Everything is OK. Après cela, l'activité d'édition étant très chronophage, il est devenu de plus en plus compliqué de trouver du temps.

Je vois. Sinon, vous faites quoi en parallèle de FP&CF ?
Claire : Je suis graphiste et illustratrice.

Maxime : Après avoir été enseignant, puis photographe, je m'oriente aujourd'hui vers un poste de chargé de mission dans le secteur public.

Delphine Schacher, Elizenda et la poule, from "Robe De Fête"

Vous n'avez pas envie de devenir éditeurs à plein temps ?
Claire : On y réfléchit… On pense depuis quelque temps à faire évoluer la structure, à passer par un diffuseur et à proposer d'autres activités comme davantage d'expositions, des ateliers, des rencontres… Mais le dilemme de la professionnalisation existe. L'évolution de l'association pourrait avoir pour conséquence d'influencer nos choix éditoriaux. C'est toujours tentant de faire appel à des artistes plus « reconnus » pour assurer le succès d'un projet.

Maxime : En fait, j'aurais peur de gâcher mon plaisir en faisant de FP&CF mon projet professionnel. Actuellement, nous ne gagnons pas un centime avec la maison d'édition. Nous n'avons pas de diffuseur – ce qui explique la complexité pour nous de diffuser des tirages importants. Par exemple, nous avons mis un an pour vendre mille exemplaires du Tell Mum #5 , ce qui n'est pas si mal. Aujourd'hui, avec le #6, la donne a un peu changé et certains points de vente avec qui nous bossions ont fermé, d'autres tardent à nous payer, ce qui met parfois la structure dans un équilibre un peu précaire. Nous ne faisons pas non plus beaucoup de salons, car les places sont souvent chères et le déplacement engendre des frais qu'on ne pourrait couvrir.

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Du coup, on compte pas mal sur les ventes via notre site !

Delaney Allen, "Untitled n°13", from "In Visibility"

Comment avez-vous sélectionné les photographes présents dans ce numéro ?
Maxime : On a encore eu recours à Flickr afin de se laisser l'opportunité de découvertes – notamment Don Hudson, un photographe américain amateur d'une soixantaine d'années. On a fini par publier une monographie de son travail.

Pour Tell Mum Everything is OK, une fois passées en revue toutes les photos reçues, on a demandé à des photographes dont on apprécie le boulot et dont l'identité correspond au numéro qu'on souhaite créer s'ils voulaient participer. En fait, dès le premier numéro, on s'est fait remarquer parce qu'on a fait l'effort de donner naissance à un bel objet, avec une belle couverture, du beau papier. Par la suite, les gens nous ont contactés naturellement.

Malgré tout, il est totalement utopique de croire que l'on peut créer une revue uniquement avec des photos reçues. On préserve un mélange entre photos d'amateurs et de professionnels. Aujourd'hui, on peut se permettre de solliciter des photographes professionnels, comme Rinko Kawauchi. La plupart acceptent de collaborer.

Et quelle est la logique qui régit l'organisation de Tell Mum Everything is OK ?
Maxime : Pour Tell Mum Everything is OK, on ne veut surtout pas aboutir à un catalogue d'images. Il est indispensable que les clichés résonnent les uns par rapport aux autres. L'aspect narratif est essentiel à saisir.

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Claire : En fait, on construit une narration, sous forme d'un chemin de fer, avant de demander l'autorisation aux gens d'utiliser leur photo – ce qui est très risqué, car un refus nous force à tout modifier. On consulte les milliers de photos qu'on nous envoie, on les imprime et on retourne en Bretagne, au calme, pour créer une sorte de numéro 0. Le stress est toujours important, sachant qu'on n'est jamais sûrs d'avoir l'accord des photographes.

Je vois. Merci à tous les deux.

Procurez-vous sans attendre le dernier numéro de Tell Mum Everything is OK.

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Plus de photos ci-dessous

Estelle Hanania,_ Chloé_, 2008

Lucas Foglia, Roger Weightlifting, Jonah Natural Gas Field, Wyoming, from "Frontcountry, Nazraeli Press, 2014", Courtesy of Michael Hoppen Contemporary, London__

Dan Boardman, from "The Citizen"