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Des inconvénients de l’asphyxie érotique

J'ai discuté avec trois hommes qui se masturbent en se privant eux-mêmes d'oxygène.
asphyxie érotique
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Par définition, l'asphyxie érotique – ou AE – est un acte sexuel qui implique une suffocation. La manière de procéder dépend de chacun. Corde, mains, sacs, cellophane, eau – le choix se fait en fonction de l'effet désiré. Pour certains, le frisson de la soumission que procure une main contre leur trachée, pour d'autres l'intensification de l'orgasme, sublimé par un cerveau privé d'oxygène. D'autres encore recherchent une perte de connaissance totale. Les effets indésirables vont de la crise cardiaque aux dommages cérébraux irrémédiables. Les probabilités pour que ce genre d'accident survienne augmentent lorsque l'AE est exercé en solitaire – c'est ce qu'on appelle l'auto-asphyxie érotique.

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N'importe quelle personne ayant vu une poignée de vidéos porno ou connu une relation sexuelle allant au-delà d'un coup d'un soir saura pertinemment de quoi je parle. Mais à une échelle plus grande, en tant que société, nous ignorons le nombre de décès occasionnés par l'AE et l'AAE. Un grand silence plane autour de ceux que l'on retrouve dans des pièces sombres aux côtés d'un ordinateur portable. Les proches des victimes ne semblent pas vouloir en parler. Il arrive que la police ne soit pas non plus en mesure d'aborder la question, puisque cordes et sacs plastiques sont souvent dissimulés avant leur arrivée sur place par des membres de la famille plongés l'embarras. Il est fréquent que les rapports du coroner n'aboutissen tà aucune conclusion, ce qui nous empêche d'appréhender la suffocation sexuelle comme le phénomène social moderne que nous le soupçonnons d'être.

Parler d'AE est peut-être difficile – et potentiellement dangereux si l'on ne s'y prend pas de manière judicieuse –, mais c'est également nécessaire. Une discussion réfléchie, éclairée et publique doit se mettre en place car, comme l'a si bien expliqué Dominic Davies, fondateur de Pink Therapy – un organisme indépendant spécialisé dans le travail avec un large éventail de diversités sexuelles et de genres – « sombrer dans l'alarmisme ou se réfugier dans le silence n'a jamais aidé qui que ce soit ».

Quand les anulingus tournent au drame

Les mécanismes psychologiques à l'œuvre en matière d'asphyxie érotique sont à la fois extrêmement intéressants et incroyablement confus. Au cours d'une discussion avec Jess, une femme d'affaires, portant sur les modalités de la pratique de l'étranglement dans sa sexualité avec son partenaire, il est apparu que la sensation la plus importante pour elle résidait dans la dynamique de pouvoir que cela créait. Jess m'a avoué que la capacité de son partenaire à déchiffrer son corps, à réagir au moindre signal lorsqu'elle était en train de convulser, en proie aux affres de son emprise, les avait rapprochés sur le plan émotionnel. « Pour moi c'est une façon de se sentir en sécurité avec quelqu'un : je veux être avec quelqu'un qui peut lire en moi, lire mon corps et comprendre que lorsque je crie il doit s'arrêter – qu'il se peut que je ne sois pas capable de dire le « safe word ». Tout tourne autour de cette confiance que l'on a l'un en l'autre. »

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Mais les histoires d'AE peuvent également revêtir des teintes bien plus sombres. J'ai discuté avec trois hommes qui se masturbent en se privant eux-mêmes d'oxygène, une pratique qui pouvait parfois remonter jusqu'à l'âge de 10 ans. Ils n'étaient pas au courant que ce qu'ils faisaient pouvait être défini comme de l'auto-asphyxie érotique, ni même que cette pratique était prisée par d'autres personnes dans le monde. Un homme de 44 ans appelé John m'a raconté son histoire

« Très tôt, l'idée d'être étranglé m'a paru excitante. Ma première expérience remonte à mes six ou sept ans, alors que je jouais avec le fils d'un voisin et une corde à sauter. Je ne sais plus qui était à l'origine de cette idée mais je me souviens que nous sommes allés dans le garage, et que je me suis tenu debout sur un carton pendant qu'il attachait la corde autour de mon cou, bien serrée, avant de la fixer sur un crochet. Heureusement quelqu'un est arrivé et nous a interrompus – sinon, qui sait ce qui aurait pu arriver. Le fait d'être interrompu m'a appris à avoir honte de ce que nous avions fait. Je suppose que c'est la même chose pour la plupart des autres personnes et que c'est pour cette raison que cette pratique demeure très secrète ».

C'est à ce moment-là que John a réalisé le danger encouru et qu'il a essayé d'arrêter. « Cela n'a pas marché, a-t-il continué. C'était toujours là : lorsque je voyais une scène d'étranglement à la télé ou dans un film, lorsque je voyais deux gars se battre dans la cour de récréation… Le simple fait de mettre ma cravate le matin et de faire glisser le nœud vers ma gorge me donnait une érection. De l'école primaire jusqu'à la vingtaine, j'ai pratiqué l'AAE seul, isolé, en pensant que j'étais la seule personne au monde à le faire. »

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Comme John, de nombreux adolescents semblent découvrir l'AE par eux-mêmes, et plutôt que de l'intégrer dans leurs vies sexuelles de façon positive, ils en font un aspect réprimé de leurs sexualités. DanielGuy, qui écrit des livres érotiques, m'a expliqué qu'il avait découvert l'AE en essayant de surmonter sa peur du noir : « je l'utilisais pour tester mes limites et survivre. Je pense que je dois avoir érotisé cette peur, au point de la désirer. Donc la nuit, au lieu d'être effrayé par ces monstres, j'ai commencé à les inviter à venir vers moi. Par la suite ce fantasme a continué à évoluer. J'ai fini par avoir l'idée du sac plastique, et à l'instant même où je l'ai fait, c'est devenu une drogue dure. »

Lors de ces discussions, le champ lexical de la folie est revenu de nombreuses fois. Au cours d'une conversation particulièrement bouleversante, un mec répondant au nom de Craig m'a dit que c'était une malédiction dont il ne parvenait pas à se débarrasser. Les premiers mots que j'ai entendus lors de notre conversation téléphonique étaient les suivants : « je me hais pour cela. Je considère parfois que c'est une malédiction, et la culpabilité que cela engendre me ravage régulièrement. » Il n'est jamais parti à la recherche des fondements psychologiques susceptibles d'expliquer son attirance pour les vidéos montrant des femmes en train de se noyer, mais il s'est avéré que quelqu'un, au sein de sa famille proche, s'était noyé quand il était jeune. Craig avait la cinquantaine et il n'avait jamais parlé de cela à haute voix avec qui que ce soit d'autre que moi.

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C'est ce genre de honte, alimentée par le secret, qui semble le plus dangereux avec l'AE car cela contraint les gens à la pratiquer en solitaire, sans se renseigner correctement. DanielGuy m'a dit qu'avec le recul, il pouvait voir à quel point la voie sur laquelle il s'était engagé était périlleuse. « Je faisais les choses d'une manière si dangereuse que ce n'était qu'une question de temps avant que je sois retrouvé mort. » Craig s'est lui aussi exposé à des situations de plus en plus risquées, sans avoir la moindre idée du danger encouru. Il m'a expliqué que lorsqu'il était plus jeune il avait l'habitude de « sortir dans un endroit isolé, mettre un sac plastique sur [sa] tête et mettre ensuite [son] casque de vélo par-dessus pendant quelques instants. » Il a marqué une pause avant de reprendre son récit. « Une fois il m'est arrivé de ne pas réussir à desserrer la sangle de mon casque, j'étais en train de suffoquer. J'ai eu le sentiment que j'allais mourir mais finalement j'ai réussi à relâcher la sangle. »

Pourquoi n'ont-ils pas cherché une communauté susceptible de les aider et de les soutenir dans leurs expériences ? Malheureusement, le lien entre les adeptes de l'AE et la communauté BDSM, en dépit du fait que tous deux reposent sur l'interaction psychologique entre dominants et dominés, reste trouble et incertain.

Quelques-unes des figures faisant autorité en matière d'éducation sexuelle ou dans les communautés BDSM, parmi lesquelles Pink Therapy, m'ont signalé que le label BDSM recouvrait l'AE et autres « RACK » (risk-aware consensual kink /« déviances sexuelles consensuelles délibérément risquées ») ou pratiques sexuelles à hauts risques tels que le chemsex – l'usage de drogue dans un contexte sexuel. Un gourou du BDSM répondant au nom d'Ambrosio m'a précisé via internet que « bien que l'AE soit partie intégrante du BDSM et ne fasse pas l'objet de discrimination au sein de cette communauté très ouverte, elle n'est pas pratiquée aux soirées BDSM tout public. Tout le monde n'est pas à l'aise avec le fait de cautionner ouvertement le fait que d'autres personnes le fassent devant elles. » D'autres comme Susan Wright, qui fait partie de la National Coalition for Sexual Freedom (Coalition Nationale pour la Liberté Sexuelle) m'ont répondu avec véhémence que l'AE « n'est pas BDSM – c'est un acte propre à certaines personnes, et les membres de la communauté BDSM sont particulièrement conscients des risques que cette pratique comporte. »

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Ce flou qui règne entre les deux camps continue de poser problème : « c'est une honte pour les ceux qui pratiquent l'AE seuls », a déclaré Ambrosio, sur le point de mettre fin à la conversation pour retourner à son bureau. « Ceux qui le font dans leur coin ne font même pas partie de la communauté. Ils pourraient trouver des amis avec qui le faire, et ainsi minimiser – sans éliminer – les risques induits. »

En supposant que quelqu'un soit suffisamment chanceux pour trouver un ami ou un partenaire susceptible de garder un œil sur lui, cela n'empêche en rien l'histoire de se terminer de manière tragique, comme c'est souvent le cas. Ce genre de situation est d'autant plus effroyable que lorsqu'un adepte de l'AE meurt, il n'y a généralement aucun moyen de prouver que l'autre personne impliquée n'avait pas un comportement violent et n'est pas un meurtrier. La possibilité qu'un « gardien » puisse faire l'objet de poursuites pénales (non-assistance à personne en danger, homicide involontaire ou même meurtre) si les choses tournent mal n'a-t-elle pas un fort effet dissuasif ?

Apparemment non. Le cœur de ce débat très technique, et souvent particulièrement houleux, réside dans le fait que, quels que soient les dangers encourus, les adeptes d'AE et d'AAE continueront leurs pratiques. Pour certains, l'attrait pour l'AE tient en partie à son issue potentiellement fatale. « Avant comme après, je suis extrêmement consciente du fait qu'il pourrait me tuer. Mais, d'une certaine manière, c'est ce risque qui rend la chose appréciable – parce que l'on repousse les limites de ce qu'on pense pouvoir faire avec son corps », a précisé Jess.

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Ceux à qui j'ai parlé m'ont déclaré qu'avec l'expérience et après quelques recherches, ils avaient le sentiment d'avoir un contrôle total sur leurs actions. Jess m'a expliqué qu'elle posait sa main sur le genou de son partenaire pour lui dire d'arrêter et DanielGuy a affirmé qu'il pouvait tout simplement déchirer le sac plastique qu'il mettait sur sa tête avant de s'évanouir. Mais Jay Wiseman, un éminent porte-parole de la communauté BDSM américaine, a affirmé résolument qu'il était impossible « d'atteindre le risque zéro » avec l'AE. Il a souligné un point essentiel : personne ne sait vraiment qu'il va s'évanouir jusqu'à ce que l'évanouissement se produise… jusqu'à ce que l'on oublie de déchirer le sac plastique ou de poser sa main sur le genou de l'autre.

Alors, cette pratique devrait-elle être interdite ? « On ne peut pas réglementer le risque », a dit DanielGuy. « Je mets l'AE dans la même catégorie que le parachutisme ou le saut depuis une falaise – des gens en mourront mais je ne l'interdirais pas pour autant. L'essentiel, c'est que l'on ait bien connaissance des risques avant de s'adonner à ces pratiques. » Peut-être que ce besoin qu'ont certains de condamner l'AE vient en partie de cette subjectivité morale que tout débat autour d'une « perversion » sexuelle implique – malheureusement, les discussions purement physiologiques n'existent pas, et c'est d'ailleurs particulièrement vrai dans le cas des médias grand public. DanielGuy a affirmé que son docteur lui avait déjà proposé de consulter un psychothérapeute pour se débarrasser de son attrait pour la suffocation.

De manière générale, le point d'accroche de tous les témoignages que j'ai pu recueillir semble être la rapidité avec laquelle internet s'est saisi de cette pratique. Alors que les plus jeunes peuvent très facilement accéder au porno hardcore, il semble évident que la législation ne peut pas se tenir au courant de ce que tout un chacun découvre par lui-même, sur lui-même. Selon Jess, « rendre un sujet tabou ne fait que le rendre plus intéressant, en particulier pour les adolescents et leurs hormones, qui risquent de mal l'interpréter. On estime que la moitié de ces adolescents ont déjà regardé du porno de toute façon. Les gens devraient être éduqués, parce que si l'on tombe sur ce genre de chose sans l'être, il y a de fortes chances que l'on comprenne les choses de travers ». DanielGuy a déclaré avec fermeté que « sans débat digne de ce nom, les jeunes vont explorer cette piste et le faire à leur manière, en privé, sans que l'on n'en sache rien. »

Il est difficile d'infléchir le nombre de personnes pratiquant les AE tant que celles-ci auront des corps et des pièces sombres à disposition. La seule responsabilité que nous ayons consiste à limiter au maximum le nombre de morts. Pour cela, la meilleure chose à faire est d'associer la prévalence du porno avec une information fiable, honnête, objective. Même Jay Wiseman considère que davantage d'informations sur l'AE seraient bénéfiques. « J'ai remarqué que lorsque les gens sont informés de la gravité des risques encourus et leur imprévisibilité, ils s'aventurent de moins en moins dans cette zone et ceux qui continuent à s'y aventurer ont tendance à le faire à une moindre fréquence. »

La forme que prendrait une éventuelle éducation autour de l'AE est peu claire. Il est difficile d'imaginer que l'on puisse enseigner ce genre de chose dans les écoles. La seule évidence en matière d'asphyxie érotique, c'est que cette pratique est définitivement marginale et l'on ne peut ni ne doit chercher à la faire rentrer dans les clous.

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