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On m'a accusée de vouloir tuer mes camarades de classe

Les gens ont oublié la fusillade de Newton, d’innombrables tueries de masse lui ont depuis succédé à la Une des journaux. Ces tragiques événements suscitent plus en moi qu’une immense tristesse : ils me rappellent l'époque où j'étais ado et où...

L'auteure au lycée

Les gens ont oublié la fusillade de Newton, d’innombrables tueries de masse lui ont depuis succédé à la Une des journaux. Ces tragiques événements suscitent plus en moi qu’une immense tristesse : ils me rappellent l'époque où j'étais ado et où on m'a soupçonnée de planifier un tel massacre.

J'ai grandi dans le Vermont, à Barre, une ville très pauvre entourée de ghettos. Mais, Barre est aussi une ville rurale où les centres de réinsertion côtoient les magasins en faillite. La ville a donné naissance à un paquet de drogués et de mecs chelou qui sont morts prématurément. Mais apparemment, j'étais encore plus bizarre qu'eux parce que j’étais la seule gothique de la ville. Je n'avais que des amies « par défaut » – puisqu'on se faisait maltraiter par les meufs populaires du lycée, on restait ensemble en gardant toujours à l'esprit que notre alliance n'était pas fondée sur un sentiment d'amour ou d’admiration mais bien sur des problèmes communs.

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J’étais le mouton noir. Mon style suscitait chez mes camarades autant de dégoût que de fascination, je me faisais agresser verbalement et physiquement et je recevais des menaces de mort environ une fois par mois. Les profs ne prenaient pas la peine de me défendre : ils me traitaient aussi mal que mes camarades. Malgré tout, j’ai décidé de continuer à m’habiller comme bon me semblait plutôt que d'essayer vainement de rentrer dans un moule dans lequel je serais, au mieux, tolérée.

J’avais un cahier dans lequel je consignais des comptines et des petites histoires – des pages noircies de mal-être, de frustration et de cruauté jubilatoire. J’en profitais pour tuer quelques personnes dedans. Je faisais référence à eux avec des noms que j'inventais, et je décrivais des morts comme celles qu'on voit dans les dessins animés ; la plupart mourraient écrasés sous une boule disco du Elks Club.

Quand j’étais en seconde, seules deux personnes ont accepté de signer au dos de ma photo de classe.

L'auteure posant pour une photo qui avait peut-être une signification à l'époque

Le 1er mai, onze jours après la fusillade de Columbine, ma vie a pris un tournant radicalement débile.

Des camarades de classe ont parlé de mes écrits à qui voulait l’entendre, et les plus folles rumeurs ont commencé à circuler à mon sujet. La suite était prévisible : des gens ont appelé la police et les responsables de l'école m'ont contactée pour « parler ». En fait, tout ce qu'ils voulaient entendre, c'étaient des précisions sur mes « intentions meurtrières ». Apparemment, mes anciens camarades avaient expliqué à la directrice adjointe que mes récits du Elks Club n'étaient pas fictionnels mais que c’était bien un manuel sanguinaire décrivant mon plan meurtrier. Selon eux, mon but était de tuer un paquet de jeunes lors du prochain bal de promo, qui était  prévu, comme par hasard, au Elks Club (ce qui n'était pas une coïncidence étonnante : tous les événements de cette putain de ville avaient lieu là-bas). Une âme bien intentionnée a également informé le lycée que j'étais en train de façonner des bombes.

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En quelques jours, les rumeurs à mon sujet ont pris une ampleur considérable, si bien qu'elles ont fait la Une des journaux locaux. De toute ma vie, mon nom n'avait jamais été mentionné, mais là, il y avait tout un tas de titres à propos de « la fille qui a écrit l’histoire de la tuerie qu’elle voulait commettre à son bal de promo ».

Extrait du Times Argus de Barre-Montpellier, du 7 mai 1999 :

« [Le Principal William] Sullivan a déclaré qu'il n'y avait rien d'illégal dans ce mot. Il n'a fait que le condamner en supposant qu'il aurait pu être rédigé par un autre élève désirant créer encore plus de rumeurs douteuses… Sullivan a expliqué qu'il n'y avait ni crucifix recouvert d'un manteau noir planté dans la pelouse de l'école, ni explosifs dans les machines à pop-corn et aucune preuve tangible laissant à penser que les élèves bosniaques de l'école prévoyaient de se venger contre l'assaut aérien de l'OTAN en Yougoslavie… Il a ajouté que les rumeurs sur des histoires de tueries lors des bals de promo étaient très fréquentes. »

Le même jour, pour son JT du soir, la filiale locale de CBS a diffusé des images de mon lycée et du Elks Club mélangées à celles des jeunes sortant du lycée de Columbine les mains sur la tête. « Le bal de promo des lycéens, a dit le présentateur, une soirée de fête pour les jeunes, sera surveillé par des patrouilles de police, ce samedi soir. Les rumeurs d'une menace – d'une menace de fusillade – ont valu le déploiement des forces de sécurité. Kristin Kelly va nous en dire plus sur les raisons de ce vent de panique. »

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Personne n'a essayé de me contacter, moi, la responsable de ce danger potentiel. Au lieu de ça, ils ont préféré interviewer au hasard des groupes d'élèves qui fumaient devant le lycée. Ma petite ville était prise d’une frénésie médiatique et les reporters recevaient toujours les mêmes réponses : toutes ces histoires n'étaient rien d'autre que des rumeurs. Beaucoup d'élèves savaient que c'était des conneries. Mais ils savaient aussi qu'en alimentant la rumeur, ils se garantissaient des petites vacances, car l'école resterait fermée.

Dans cette petite ville, tout se savait. Tout le monde savait donc que j'étais à l’origine de ces histoires et, pire, la plupart croyaient vraiment que j'étais animée par une rage meurtrière. Même mes parents, qui bossaient dans des villes voisines, entendaient leurs collègues dire qu'ils me trouvaient très tourmentée. D'autre part, personne ne cachait sa peur ou sa haine. Quand je rentrais dans le hall de l'école, c'était comme si je séparais la mer Rouge en deux ; la cafétéria bondée restait silencieuse quand je la traversais, munie de mon plateau-repas, et les élèves – effrayés à l'idée d'être sur ma liste noire imaginaire – séchaient les cours qu’on avait en commun. On a lancé des œufs sur ma maison et un jour, on m'a jeté des frites et du Coca à la gueule quand j'ai foutu les pieds à la cantine.

L'année de mes 16 ans, j'ai passé de longues heures à répondre aux interrogatoires organisés par les responsables du lycée à propos de mon « complot meurtrier ». De combien de manières peut-on demander à une personne d'expliquer la façon dont elle voulait tuer des gens ? Je pense les avoir toutes entendues. Ils ont voulu lire mon petit cahier. Mais bien sûr, j'avais la suffisance caractéristique des écrivains célèbres. Je ne voulais pas le faire lire tant qu’il n’était pas terminé et je me gardais bien de leur dire que s’ils le lisaient, ils me prendraient pour une malade mentale. Je subissais de nombreuses pressions – dans le pays, l'hystérie post-Columbine battait son plein. Tous les JT étaient consacrés à des histoires de gamins qui se faisaient arrêter parce qu’ils voulaient refaire ce qu’ils avaient entendu à la télé. J'étais persuadée que mon histoire était assez dérangeante pour que je finisse en taule.

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Mes parents m'ont beaucoup aidée et ont pris le temps de rencontrer le directeur du lycée, même s'ils étaient épuisés par tout ce cirque. Il faut savoir que mon statut de paria ternissait leur réputation dans la communauté. Je voulais riposter et me battre contre mes accusateurs, mais mes parents n'avaient pas vraiment les moyens de le faire : ni financièrement ni émotionnellement. Ils se sont longuement entretenus avec un avocat – à qui je n'ai parlé qu'une seule fois – qui leur a dit qu'il fallait que je donne mon petit cahier à l'école afin de leur montrer que je n'avais rien à cacher et de prouver mon innocence.

J'ai suivi son conseil en le confiant à la directrice adjointe ; elle et le psychologue du lycée ont pu le lire. Étonnamment, ils ne l'ont trouvé ni violent ni menaçant. Si peu menaçant qu'ils m'ont harcelée jusqu'à me demander de leur donner la « vraie version », une fois mon diplôme obtenu.

J’ai eu interdiction de me rendre au bal de promo. L'école m'a expliqué que si je m'y pointais, je me ferais buter. Apparemment, des parents avaient informé la direction qu’ils m’attendraient, armés, sur le parking du Elks Club.

On m'a également expliqué que j'étais quelqu'un d'émotionnellement perturbé et que j'allais devoir suivre une thérapie avec le psychologue du lycée, à raison de deux rendez-vous par semaine. Je le détestais. Il était hypocrite et condescendant. Quand je lui ai dit que j'en avais ras le cul d'être harcelée, il m'a répondu que les réactions des autres étaient normales : ils ressentaient un besoin de se défouler. Il a également prétendu que je me victimisais toute seule. Quand il m'a raccompagnée à la porte à la fin du premier rendez-vous, deux types ont hurlé « espèce de tarée ! » juste devant lui. Ça n’a pas eu l’air de le faire changer d’idée.

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Finalement, mes parents m'ont pris un rendez-vous avec une psychiatre en ville qui venait de s’installer. Elle ne voulait rien entendre à toutes mes histoires et le seul commentaire qu'elle m'avait fait à propos de cette rude épreuve se fondait sur ce qu'elle avait entendu aux infos. Quand j'étais dans son cabinet, elle n'arrêtait pas de se tortiller sur son fauteuil. L'unique truc dont elle voulait bien parler, le seul truc qu’elle daignait me dire, c’est que j’étais au fond du trou. Elle m'a prescrit de la fluvoxamine, la molécule que prenait Eric Harris (l'un des tueurs de Columbine) pendant qu’il se constituait un stock d’armes. Je lui ai dit que je ne pensais pas être en dépression et que j'étais une nana optimiste par nature. Après avoir jeté un rapide coup d’œil à mon vernis noir, elle m’a dit qu’elle était sûre que je me battais contre la dépression. J'ai mal réagi au Luvox : ça m'a rendue insomniaque. Dès que je fermais les yeux, j’avais des hallucinations. Ensuite, j'ai pris du Prozac et, après une réaction similaire, j'ai fini par prendre du Zoloft. A posteriori, je ne pense pas avoir été dépressive. J'ai sans doute été victime de troubles anxieux mais les médicaments étaient pires que mon stress. J'étais hantée par tout ce qui m'arrivait, je me sentais super faible et ne me contrôlais plus.

Extrait de mon journal intime, le 17 octobre 1999 :

« Aujourd'hui, je suis sortie de l'école en courant. Je ne sais pas du tout ce qui s'est passé. J'ai eu plein de vertiges et j'avais envie de vomir. Je suis montée dans ma voiture et j'ai commencé à rouler. Mais j'ai dû m'arrêter pour vomir. Puis, je suis retournée à l'école et j'ai complètement zappé ce qui venait de m'arriver. J'ai l'impression de ne plus pouvoir réfléchir normalement. »

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Ma vie était devenue extrêmement stressante et je ressentais le besoin d’en parler avec quelqu’un de confiance. Tout le monde prenait plaisir à parler DE moi, mais j'étais sûre que personne n'avait envie de parler AVEC moi. Je m'enfonçais dans la solitude. Nos proches et nos amis, avec qui mes parents et moi avions l'habitude de partir en vacances, ont soudain coupé les ponts avec nous. Puis, ma dernière année de lycée est arrivée. J'étais sur la liste noire de tous les cours où étudiait l’une de mes prétendues « victimes ». Les profs avaient tous peur de moi. Je faisais flipper tous les adultes de l’établissement : une seule prof a accepté que je m'inscrive à son cours, mais elle a toujours refusé de m'adresser la parole. Elle aurait dit aux élèves et aux autres professeurs qu'on n’avait pas trouvé de lieu pour me placer en ville, que je ne serais jamais capable de m'intégrer dans la société et que je ne serais plus de ce monde avant l'université. Elle me connaissait quand j’étais en primaire, et elle disait à tout le monde que j’étais douée. J'étais devenue un monstre. J'ai laissé tomber son cours et me suis inscrite dans un parcours professionnel.

Extrait de mon journal intime, le 3 novembre :

« Je suis trop triste. Monsieur X a expliqué à mes parents que les professeurs ne faisaient que me critiquer. Quand j'ai essayé de m'inscrire dans son cours, mes parents étaient genre “tu sais pas dans quoi tu t'embarques, là…” et pensaient que j'étais complètement folle. Les professeurs ne sont pas forcément meilleurs que les élèves. Monsieur X n'a rien voulu savoir, heureusement. Il a dit que j'étais la meilleure élève de sa classe. Ce qui était normal étant donné que les autres s'en foutaient complètement. Je veux réussir mon année sans avoir de problèmes mais j'aimerais aussi me venger. »

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Mes parents m'ont expliqué que je pouvais arrêter l'école si je le voulais. Mais c'était hors de question. Quitter l'école, ç’aurait été reconnaître que j’avais tort. Bizarrement, j'étais attachée à cet endroit et aux gens avec qui j'avais grandi. D’autant que je me disais que je pouvais jouer avec ma nouvelle réputation, chèrement acquise, en me faisant passer pour une maniaque potentiellement meurtrière ? C'était presque libérateur. Je pouvais faire ce que je voulais. J’avais déjà une réputation de merde.

J’ai adopté un style et un comportement encore plus marginaux – je pensais que surenchérir était une solution raisonnable. Je souhaitais créer un personnage qui atténuerait le harcèlement dont j'étais victime. Je voulais me transformer en une version hyperréaliste de ce qu’ils pensaient de moi, en encore pire. Dès que je faisais un pas, ça déclenchait une scène. Tout ce que j’avais à faire, c’était de me pointer quelque part.Un jour, j'ai participé à un cours de danse d'une quinzaine de minutes. Je portais une robe courte argentée. Ces quinze minutes ont suffi pour déclencher des semaines et des semaines de potins et de ragots – des histoires sur ma robe de « folle-dingue » ont circulé jusqu'à ce que j'entende dire qu'elle avait des motifs à carreaux, ou encore des clous. C'était à peu près pareil qu'être une célébrité finalement. Lors d'une réunion parents-professeurs organisée par le lycée, un sujet a même été abordé : celui de mon éviction de toutes les activités périscolaires.

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J’essayais d'ignorer les remarques et, pour m’amuser un peu, de faire des conneries devant eux. Souvent, je faisais fuir les gens, littéralement. Ils se barraient en courant. C'était drôle. Vous voulez une psychopathe ? Je vais vous montrer ce que c’est, une psychopathe. C’est devenu une sorte de jeu pour moi.

Pendant cette période de solitude, j’ai développé un véritable sentiment de haine – une haine bien réelle, cette fois-ci. Je commençais à me sentir émotionnellement malade. Parfois, je rêvais que Dylan Klebold, l'un des tueurs de Columbine, m'appelait au téléphone. D'autres nuits, je rêvais qu'un orage tuait des gens à l'intérieur du gymnase du lycée.

Extrait de mon journal intime, du 19 novembre :

« Cette nuit, j'ai encore fait un cauchemar. La foudre tuait des gens. Pas pendant le bal de promo, mais à l'intérieur du lycée. J'entendais des gens hurler pendant qu'ils se faisaient tuer. Il y avait aussi cet horrible bruit qui ressemblait à celui des vélociraptors de Jurassic Park. »

Je me suis mise à m'identifier à d'autres responsables de fusillades scolaires, non pas parce queje voulais tuer des gens, mais parce que leurs vies étaient les seules comparables à la mienne. Je me sentais similaire au personnage de Carrie. Avant qu'elle ne tue tous les gens de sa promo, elle avait l'impression que toute la foule se moquait d'elle. Mais en réalité, ils n’étaient que quelques-uns à la persécuter – les autres avaient juste peur d’elleet de son comportement. Sa perception des choses et son univers entier avaient été altérés. Comme moi. La petite fille tourmentée que j’étais était devenue son propre bourreau. Je commençais à devenir un peu tarée. J'avais même écrit « JE SUIS DIEU » sur plusieurs de mes fringues.

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Aujourd'hui, la plupart des gens ne sont pas très à l'aise quand ils reparlent de toute cette histoire avec moi. J'en discute parfois avec mes anciens camarades de classe mais c'est comme leur arracher les vers du nez. « Je ne me souviens absolument pas de ça », m'a déjà dit une fille avant de reconnaître quelques verres plus tard qu'elle s'en souvenait parfaitement. « Comment veux-tu qu'on puisse oublier cette histoire ? » m'a-t-elle même dit. « Je ne voulais pas te faire de peine. »

Cette expérience m’a fait prendre conscience de ce que vivent les jeunes « étranges ».Quand je suis rentrée à l'université, j’ai rencontré d’autres gens qui m’ont tout naturellement accueillie et acceptée. Mais, cette année infâme avait laissé des traces en moi. D'un point de vue émotionnel, j'avais l'impression d'avoir pénétré dans un endroit duquel il était impossible de ressortir. J'avais pris l'habitude d'avoir tous les regards posés sur moi et j’avais besoin de me sentir normale à nouveau – mais plus que ça, je ressentais le désir profond de prendre ma revanche. Pas une revanche du style « je vais buter tout le monde d'un coup » ; je devais prouver quelque chose, même si je n'étais pas sûre de quoi et encore moins à qui. C’est difficile à dire, mais je ressens un vide depuis que j’ai été lavée de cette infamie, comme si elle me manquait un tout petit peu.

J'avais donc connu le goût de la notoriété – celui qu'éprouvent les gens qui ont fait quelque chose de mal – et, le plus terrible dans tout ça, c'est que j'ai peut-être encore en moi ce truc qui motive les vrais tueurs. Quand on est désespéré, se transformer en méchant peut devenir étrangement tentant.

Gina Tron collabore à la rédaction de LadygunnMagazine et est directrice artistique pour le Williamsburg Fashion Weekend. Elle adore dessiner des trucs morbides et a publié quelques petites histoires fictionnelles. Elle est actuellement en train d'achever l'écriture d'un livre. 

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