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La Femme aura toujours une longueur d'avance sur l'Homme

En cette rentrée, vous allez lire tout et surtout n’importe quoi sur La Femme. Rassurez-vous : de « Thalassa » aux Red Hot Chili Peppers, cette interview ne parle que de sujets cruciaux.

Faites bien attention. En cette rentrée, vous allez lire un peu tout et surtout n'importe quoi sur La Femme. Post-situationnistes, néo-dadaïstes, et pourquoi pas Plastic Bertrand Burgalat ou moules marinières de Montebourg sous crack, tant qu'on y est ? Ces comparaisons navrantes n'engageant que leurs auteurs, elles risquent quand même de vous faire perdre de vue l'essentiel, à savoir que son très attendu deuxième album paru le 2 septembre constitue un formidable virage vers une variété pop de qualité qui se hisse plus vers la beauté des Hardy (Linda autant que Françoise) qu'il ne sombre dans la déglingue urbaine et nihiliste d'un Taxi Girl. L'album s'appelle Mystère, titre bien moins tarabiscoté que Psycho Tropical Berlin, son aîné paru voilà trois ans. Il affiche aussi une plus grande cohérence malgré un foisonnement toujours aussi frappant tout au long de ses 15 titres désespérément accrochés aux rêves et aux désillusions du post-ado.

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La bile punk d' « Antitaxi », le groupe la garde pour la scène où il constitue toujours le meilleur bordel organisé hexagonal. Comme on dit au foot, Marlon Magnée et Sacha Got, les fondateurs et cerveaux du groupe, mouillent le maillot bien qu'à paillettes. Devant, ça pogote, tandis que les deux surfent sur les premiers rangs. En interview, Marlon et Sacha se livrent dans ce même esprit hérité du punk : des réponses lapidaires qui virent parfois à la déconnade, mais se raccrochent rapidement aux branches du sérieux dès que la passion les colle au sol. Pas pour rien que leurs disques vinyles sont l'affaire du label Born Bad quand le CD reste chez la major Universal : la Femme offre la version surf de Frustration destinée à la génération des vingtenaires addicts à Snapchat. Un groupe capable de dégainer un accordéon au détour du concert. Un accordéon. Yé-yé, garage-punk, techno-pop, cold-wave, rockabilly, c'est comme si tout ça coulait déjà dans leur veine dès leur naissance, comme si leur ADN embarquait les décennies de musiques ingurgitées par leur parents. 60 ans de pop pré-enregistrés sur les disques durs connectés à leurs cerveaux. Forcément, leurs contemporains auront du mal à lutter. Noisey : On sent une nouvelle direction chanson sur ce deuxième album, c'est un truc voulu ?
Marlon : Carrément, c'est un disque qu'on peut vraiment chanter à la guitare, et ça, ça fait plaisir. C'est une évolution même si c'est globalement la même chose que le premier, mais en plus chanson comme tu le disais. Une chose est restée, c'est votre goût pour les « sensations », elles ont survécu de « Sur la planche » jusqu'à « SSD », c'est votre truc ça ?
Sacha : Oui, dans « SSD », c'est un peu un clin d'œil à « Sur la planche » : « est-ce que tu ressens les sensations… » « SSD » est pourtant un morceau très éloigné de la plage vu qu'il parle de Strasbourg Saint-Denis à Paris, c'est du vécu ?
Marlon : Il y a une part de vécu même si l'histoire est un peu fantasmée. C'est une sorte d'avancée dans Paris. Vous écrivez toujours les textes à vous deux ?
Sacha : Oui mais les autres participent de temps en temps. C'est un bonheur pour nous d'enchainer un titre chanté par une fille et un autre par une voix masculine. L'argumentaire du nouvel album précise d'ailleurs que vous avez embauché de nouvelles voix féminines, y'en avait pas assez ?
Sacha : Oh, juste une ou deux en vrai.

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Marlon :

C'est pas un harem non plus !

Est-ce que ce deuxième album vous a fait considérer le premier comme une sorte de dépucelage du studio ?
Sacha : Ouais mais on s'est aussi fait dépuceler sur le deuxième ! C'est vrai que le premier est un vrai dépucelage. Tu ne t'y connais pas en matos… Là, on s'y connait mieux et ce sera encore mieux pour le troisième, c'est logique. Qu'est-ce qu'il vous reste encore à améliorer ?
Marlon : C'est souvent une histoire de sons. Des fois ça sonne bien directement, d'autres fois non. Il faut trouver les réglages, peut-être un autre instrument. En tout cas, le titre de l'album sonne plus simple que celui du premier, c'est un signe, non ?
Sacha : On a pourtant failli faire très pompeux, très casse-couilles et compliqué. « Elle ne t'aime pas» est la chanson parfaite de l'album, pour vous aussi c'est un titre spécial ?
Marlon : Oui, il est spécial au niveau du son, il n'a été fait qu'avec des boites à rythmes et des synthés. Et au niveau du texte ?
Sacha : Il est spécial aussi même si on parle souvent de l'amour et des déceptions. Je sais plus quel magazine a évoqué Plastic Bertrand après un de vos concerts en festival cet été, ça vous énerve ce genre de raccourci ? En même temps quand on écoute « Tatiana» pour la première fois, elle démarre à fond comme « Ça plane pour moi»
Marlon : Ah oui, on nous a dit ça aussi ! C'est complètement inconscient même si on a kiffé Plastic Bertrand. Après, c'est aussi une question d'attitude qui renvoie à Marie et les Garçons ou Marc Charlan, un gars qui chante un peu comme lui. Parmi les influences, on sent un peu d'Ennio Morricone, vous l'avez beaucoup écouté ?
Marlon : Pas vraiment, ou alors indirectement via des films. Et puis aussi à travers des gens qu'on a écoutés et qu'il a influencés.

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Sacha : Sam, notre bassiste, est à fond dedans. Dans François de Roubaix aussi, et puis les orchestrations avec de gros violons et de belles basses. Pour ce deuxième album, vous êtes-vous collé une pression particulière ?
Marlon : Non, juste la pression habituelle de faire un bon disque. Et avez-vous senti une responsabilité vis-à-vis de toute cette nouvelle scène française qui ne serait peut-être pas née sans vous ?
Sacha : Oui mais par définition il y a toujours des gens qui viennent avant, d'autres qui viennent après. Tout se serait quand même passé si nous n'avions pas été là. On ne sent donc responsables de rien du tout mais ça nous fait plaisir de représenter la France à l'étranger et de montrer qu'il y a des trucs intéressants qui s'y passent. Y'a quand même plein de jeunes artistes qui osent le français et c'est nouveau ça, non ?
Sacha : Oui clairement, un label comme Entreprise a été créé pour la musique en français par 3rd Side Records après qu'il a sorti notre premier EP.

Marlon : Fishbach c'est vachement bien d'ailleurs.

Le dernier morceau embarque un titre caché, c'est encore un pied de nez de votre part ?
Sacha : Il s'appelle « Always In The Sun » et il est mis dans les crédits de l'album du livret.

Marlon : C'est un autre morceau que Sacha ne voulait pas forcément mettre sur l'album. On aimait bien l'idée d'avoir un titre caché, comme les groupes à l'époque. Un titre qui dure 13 mn comme « Vagues» prouve que vous imposez tout ce que vous voulez.
Sacha : Il est né d'un sample qu'on avait fait avec un ami, que tu entends au début et qui fait penser à une espèce de vague qui revient tout le temps.

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Marlon : C'était une guitare que Sacha avait enregistrée il y a cinq ou six ans.

Sacha : On en a d'abord fait un instru de rap mais ça s'est transformé en morceau un peu aquatique avec ses boucles.

Marlon : Un petit côté Thalassa !

Sacha : Il y a juste eu débat sur la batterie, s'il fallait en mettre ou pas. On n'en voulait pas, pour garder l'ambiance calme. Il reste quand même cette impression que vous avez toujours envie d'en mettre un max de titres sur vos albums.
Sacha : Ouais c'est vrai, on a un peu tendance… ça peut être un défaut parfois. Et apparemment, vous aviez deux fois plus de titres en stock que les quinze retenus ?
Marlon : Oui, on a commencé avec vingt-quatre morceaux enregistrés. Il y avait des vieux titres dans le tas ou que des nouveaux ?
Sacha : Certains dataient de cinq ans, d'autres de deux ans, l'ensemble des compositions est assez étalé en fait.

Marlon : On a fait un choix. On a pris les titres les plus aboutis, ceux où on sentait le plus d'inspiration et qui nous semblaient les plus forts. D'autres étaient super forts mais auraient pris trop de temps avant d'être finis. Ça a été important de prendre du recul. Les textes aussi ont évolué, ils racontent plus d'histoires qu'avant, non ?
Marlon : Avant, il y avait aussi des histoires mais beaucoup plus de fictions.

Sacha : Il y a plus de réalité dans ce qu'on raconte, alors que le premier t'embarquait plus dans des situations.

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Le meilleur exemple d'histoire, c'est « Septembre».
Sacha : Oui, ça raconte un vrai truc, d'autant que le début peut paraitre assez décalé et tu ne le comprends pas. Alors que le deuxième couplet t'amène vers quelque chose de beaucoup plus concret. Tout ça s'est fait consciemment ?
Sacha : Ça s'est fait naturellement au fur et à mesure que le morceau avançait. On s'est rendu compte qu'on voulait parler d'autres trucs liés à la rentrée plutôt que de ce truc innocent du début. Des choses comme le système éducatif, à quoi il ressemble aujourd'hui, l'école, l'apprentissage, les jeunes qui ne savent pas trop quoi faire… L'incertitude…
Sacha : …que nous-mêmes nous avons vécue. Parce qu'on n'était pas sûrs de pouvoir y arriver dans la musique, d'être musiciens, de pouvoir en vivre. Au final, qu'est-ce que tu vas faire de ta vie ? L'école, ça vous saoulait ?
Marlon : Non c'était vachement bien, c'est juste que tout le monde n'a pas la même chance.

Sacha : Moi, y'a des côtés que j'aimais bien mais d'autres qui me saoulaient, comme se lever super tôt, avoir des trucs à rendre, des notes… et ça, c'est revenu à la fac et ça m'a tout de suite fait lâcher.

Marlon : Des fois, tu peux avoir de la chance et tomber sur des profs qui vont te faire aimer une matière. Tu vas devenir super bon parce qu'ils expliquent bien. Alors qu'avec d'autres, ça va être horrible. Des élèves vont juste se sentir bêtes parce qu'ils ne vont pas réussir alors qu'en fait, c'est juste la faute au système, à la façon dont les questions sont posées…

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Sacha : C'est énervant aussi cette opposition entre les grandes études à faire pour devenir médecin ou avocat, et puis des études comme la fac de lettres où je suis allé et où tout le monde me disait que ça ne servait à rien.

Marlon : Même si beaucoup font une fac de lettres, tu as quand même des spécialités qui dominent. Et je ne te parle même pas de ceux qui font des bacs professionnels ou des formations manuelles qui sont archi-méprisés. Et la musique à l'école, ça vous branchait ?
Marlon : C'était mal foutu, à l'époque on t'apprenait encore la flûte. Chacun devrait pouvoir choisir son instrument pour l'année, avoir accès à des instruments pas cher. Et puis pouvoir jouer ensemble, qu'on puisse apprendre la guitare…

Sacha : Bon, en théorie, la flûte c'est pas mal quand même. Ça permet d'apprendre les bases du solfège. Et puis il doit y avoir de super profs de musique, aussi. Vous vous dirigiez vers quoi s'il n'y avait pas eu la musique ?
Marlon : Je voulais faire les Arts Décoratifs pour être designer ou plasticien. Nunez et Sam voulaient aussi faire les Arts Déco. Alors que Sacha, tu étais plus littéraire. Il paraît que vous aviez un nom bien débile avant de vous décider sur La Femme ?
Marlon : Jeunes Cadres Dynamiques ! Mais il y avait plein d'autres noms à la con comme les Puceaux.

Sacha : Et même Point ! La première fois qu'on a fait un MySpace, on avait mis juste un point.

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Au stade de votre carrière et de votre vie, est-ce que vous avez l'impression d'avoir digéré toutes vos influences ?Marlon : On n'a toujours pas fini d'en digérer.
Sacha : On découvre toujours des nouveaux trucs qu'on digère, qu'on recrache par-ci par-là.

Ça a été important d'avoir des parents qui écoutaient de la bonne musique ?
Marlon : Oui, ça m'a appris des choses.

Sacha : D'une manière générale, écouter de la musique a été un plus par rapport aux familles où elle est absente. Après, quand j'étais petit, ce qu'écoutaient mes parents me saoulaient parfois, comme par exemple des trucs brésiliens de bossa que j'aime bien aujourd'hui. Mais le fait d'avoir de la musique à la maison te rend forcément plus ouvert. Mon père écoutait Brassens et ça m'arrive encore de l'écouter aujourd'hui. Vous arrivez à vous intéresser encore à l'actu musique ?
Marlon : Ces deux dernières années, j'ai surtout écouté l'album. L'album ? Votre deuxième album ?
Sacha : Oui, parce que pour repérer les erreurs que tu as faites, tu dois l'écouter de nombreuses fois. Et tu arrives encore à l'écouter ? Plein d'artistes ne peuvent plus et passent à autre chose ou au suivant !
Marlon : Franchement, si tu ne peux pas écouter ton propre disque, c'est que tu as foiré le truc. Il m'arrive même parfois de réécouter notre premier album et de kiffer. Faut pas renier ce que tu as fait, même si c'est ce qu'on fait avec notre premier EP qu'on n'aime pas trop réécouter parce qu'on a fait du mauvais boulot. Vous avez l'impression d'avoir trouvé l'équilibre idéal entre l'indépendance et l'appui d'une grosse structure ?
Marlon : On ne l'a pas trouvé totalement mais ça commence à être bien. On reste un groupe en construction. On n'a pas de modèle défini. Par exemple, c'est nous qui sortons toujours le disque à l'étranger.

En même temps c'est important vu que vous avez beaucoup tourné à l'étranger, non ?
Sacha : Oui, on a fait des endroits improbables comme le Laos. On a aussi beaucoup joué aux Etats-Unis dans des salles de plus en plus grandes.

Marlon : On a joué trente ou quarante fois en Angleterre. Mais le public le plus à bloc, c'était au Mexique. Il paraît que c'est sauvage, le Mexique.
Marlon : C'est exactement ça, sauvage ! Sur un concert des Growlers, il n'y avait plus de place et j'ai vu les gens partir en mode bélier pour défoncer la porte et entrer sans payer. C'est ça le Mexique. Et la suite, vous y pensez déjà après ces deux longs albums qui ont pris du temps ?
Marlon : On ne va peut-être plus sortir d'album mais plutôt des morceaux comme ça, c'est un peu notre délire du moment. Un album, c'est beaucoup de pression, faut finir un grand nombre de morceaux au même moment… Oui mais vous êtes tellement prolifiques, faut bien des albums pour sortir tous vos morceaux !
Marlon : C'est pour ça que c'est compliqué !

Sacha : On réfléchit aussi aux formats. On pourrait sortir des albums plus souvent mais plus courts. De toute façon, vous vous embarquez dans une tournée gigantesque…
Marlon : D'ici le Zénith de Paris fin janvier, on va tourner comme des brutes : en Europe, en Amérique du Sud, aux États-Unis. Et puis en Europe en première partie des Red Hot Chili Peppers. Ça vous a fait quoi cette proposition ?
Marlon : Onze dates avec eux, ça nous a fait super plaisir. C'est un grand honneur, mais aussi un super challenge car c'est toujours délicat de jouer en première partie.

Sacha : Il va falloir ressortir les futes dorés. Pascal Bertin n'aime pas non plus la rentrée. Il est sur Twitter.